UN May n'a pas de famille. Plus jeune, elle s'est beaucoup demandé ce qui n'allait pas chez elle : pourquoi l'avait-on abandonnée dans la rue comme on jette un vase fêlé ? N'était-elle pas assez jolie, pas assez intelligente, pas assez adroite ? Sentait-on qu'elle tomberait malade ? Pendant une longue période, elle s'est considérée coupable avant que progressivement en grandissant, elle ne finisse par rejeter la faute sur ses parents. Ses géniteurs. Aujourd'hui, il y a dans son coeur une certaine rancoeur à leur égard : elle les déteste de l'avoir abandonnée et une part d'elle-même continue de lui faire croire que peut-être elle n'est pas si innocente que cela dans son malheur. Un jour, elle a considéré une poignée de personnes comme sa famille de substitution : les Wūtuōbāng Bastards. Jamais les maîtres, toujours les esclaves. Mais quand elle a été jetée dehors comme une chienne ils n'ont pas bronché : depuis, elle n'a d'autre choix que de les détester, que de se sentir trahie par ceux en qui un jour elle pensait pouvoir avoir confiance. Ces deux abandons consécutifs l'ont rendue méfiante et distante et sont à l'origine de cette peur rongeante d'être à nouveau laissée.

DEUX Achetée très tôt par les Wūtuōbāng Bastards pour sa silhouette plus fluette que les autres enfants de la rue elle n'a connu la liberté que bien plus tard. Néanmoins, elle n'a pas jamais été seule : deux garçons étaient avec elle. Choisis pour d'autres raisons surement, sans qu'elle ne les connaisse, sans être du même endroit même. Elle apprendra plus tard à les apprécier, les considérer comme une famille sans vraiment savoir ce que cela peut vouloir dire. Elle se faufilera dans leurs lits de fortune les nuits de cauchemars, épongera le sang sur leurs jointures, rira aux semblants de blagues, cachera les plus terribles mensonges. Et pourtant, ils la trahiront. Ils baisseront les yeux lorsqu'elle criera leurs noms. Et May se souviendra toujours de ce moment, gravé dans sa mémoire comme étant la pire des trahisons, le pire des sentiments. Trop blessée pour comprendre et pour se mettre à leur place.

TROIS C'est une battante, May. Surtout lorsque sa vie ou sa dignité est en jeu. Achetée et à moitié élevée par des pirates, ils l'ont façonnée comme on taille la pierre : à force de coups. Alors quand un des maîtres à tenté de s'en prendre à elle à l'aube de ses dix-sept ans, quand il a maladivement arraché les boutons de sa chemise avant d'enfoncer sa bouche contre sa poitrine elle s'est débattue. Forcément, sans surprise. Mais elle l'a fait si brutalement qu'il n'a pas su éviter la lame qui traversa sa gorge : résultat des courses, un corps à expliquer et pas des moindres. Si le meurtre est accepté chez les pirates (même encouragé) celui d'un maître l'est beaucoup moins. Alors quand on l'a su, son statut d'esclave a été suffisant pour qu'on décide de l'abandonner sur Merry Fields au hasard, loin des villes : qu'elle crève sur la planète qui a eu le malheur de la voir naître. Que la poussière qui la composait redevienne poussière et qu'elle meure lentement comme un chien. Voilà ce qu'ils avaient voulu faire. Mais quatre jours après qu'ils l'aient abandonnée, May croisa le chemin de pilleurs qui acceptèrent de la prendre avec eux. Un miracle. Un rien : sa vie était passée à un fil de s'éteindre sous le soleil trop ardent des déserts de Merry Fields.

QUATRE Elle avait dix-sept ans lorsqu'ils lui sauvèrent la vie. Et esclave, marquée à vie derrière la nuque d'une cicatrice qui cachait autrefois une puce, elle était esclave elle resta. Les pilleurs firent d'elle leur sous-fifre, leurs petites mains. May ne s'en plaignit pas pour autant, habituée à ce mode de vie depuis toujours mais ce qui avait semblé être une seconde chance tourna rapidement à l'enfer un an après. C'est certainement ici qu'elle appris plus qu'ailleurs dans sa vie à ne jamais se fier aux apparences et à toujours, toujours se méfier et se préparer au pire. Parce que les mains tendues ne sont pas forcément là pour nous relever, elles peuvent aussi n'être que le début d'une longue descente aux enfers.

CINQ Pendant trois ans, le couple qui l'avait accueilli, puis gardée précieusement comme on conserve un bon outil, un beau meuble, l'obligea à vendre son corps pour arrondir leurs fins de mois. Sur Merry Fields, elle vécu le calvaire des prostitués qui ploient l'échine contre leur gré. C'est là les années les plus sombres de sa vie, là qu'elle a fini par appréhender les mains des hommes et les contacts trop abrupts. C'est là que son coeur s'est scellé, soudé, fermé. Jamais avant elle n'avait pensé pouvoir regretter sa vie avec les Wūtuōbāng Bastards.

SIX C'est l'année de ses vingt ans qu'elle décidé qu'elle avait assez. L'année de ses vingt-ans qu'elle pris son courage à deux mains pour racheter sa liberté par la force de ses poings : forte de sa vie de piraterie, elle est parvenue à se rebeller contre ceux qui se pensaient maîtres. Elle les a menacé, les a battus, leur a volé leur vaisseau et elle s'est envolée vers le seul endroit qu'elle connaissait autre que Merry Fields et le vaisseau des Wūtuōbāng Bastards. Keller.

SEPT Habituée des travaux ingrats, elle y vivote d'abord en acceptant toute tâche qu'on réserve d'ordinaire à la plus basse des races vivant sur la station. Elle fait de son mieux, a tout juste de quoi manger, boire tandis qu'elle dort dans la minuscule cabine de son vaisseau. Et c'est la chance qui lui sourit à nouveau quand une femme lui propose d'acheter ses services de manière récurante : à vingt-deux ans, elle devient la femme-à-tout-faire d'une quinquagénaire qui se dit médecin. Mais cette fois, elle est payée pour les tâches qu'elle accomplie. Les premiers mois, elle travaille sans s'occuper du reste puis peu à peu ses yeux trainent ça et là. Ses oreilles aussi et elle développe un intérêt particulier pour le métier de la dame qui ne tarde pas à s'en rendre compte. Amusée, s'ennuyant certainement, elle prend à coeur de partager au compte goutte ses savoirs et les ficelles de son métier. May ne devient pas médecin pour autant, pas tout de suite.

HUIT Le temps passe, la vie continue. Et la femme lui donne peu à peu plus de responsabilités faisant d'elle lorsque l'envie lui prend son apprentie d'un jour, d'un moment, d'un patient. Le reste du temps, May continue de s'afférer, de vivre aussi enfin. Keller lui rappelle un mélange de Merry Fields et des Wūtuōbāng Bastards : et elle n'a aucun problème à zigzaguer entre les allées sombres, ni n'a-t-elle peur. Elle a vu et vécu pire après tout.

NEUF Ce n'est que lorsqu'elle atteint la trentaine qu'elle décide, à la mort de son ancienne employeur, de tenter l'aventure de la flotte. A force d'en entendre parler, May est piquée par la curiosité d'y vivre et quelque part ses yeux brillent un peu trop fort lorsqu'elle pense à cet endroit qui semble être paradisiaque comparé à tout ce qu'elle a connu. Elle n'a pas tord. Pas du tout même : parce qu'elle passe les tests, qu'elle est affectée au Regina Mercy. Au début, on la forme pour s'assurer qu'elle connaisse les basiques puis les années passent et défilent. Doucement, elle avance sans jamais oublier d'où elle vient et l'horreur qui continue de se passer au-delà des étoiles.

DIX Fuyez le naturel et il revient au galop. May n'a jamais trainé que dans des histoires sombres, dans des environnements où l'illégalité était plus présente que la légalité. Alors n'a eu aucun scrupule à profiter du marché noir sur la flotte. Cliente régulière, elle a longtemps économisé et gardé des objets plus ou moins de valeur pour les échanger contre une arme savamment cachée dans sa cabine. Pour le reste, elle y traine pour se procurer tout ce que la flotte interdit et interdisait jusqu'à aujourd'hui. C'est en y trainant souvent qu'elle fait la connaissance de Wilhem avec qui de fil en aiguille elle va s'associer devenant depuis trois ans aujourd'hui son bras droit.

ONZE Aujourd'hui, May est une secouriste parmi tant d'autres. Elle vit, maîtresse de son destin et chaque matin lorsqu'elle se réveille, il lui faut encore un temps d'arrêt pour se souvenir qu'elle est bien sur la flotte. Ce n'est pas qu'elle oublie, c'est qu'elle a encore du mal à croire que ça c'est sa vie, quand elle sait d'où elle vient, ce qu'elle a vécu pour en arriver là. Elle est plus que reconnaissante envers la flotte, les stellariens et tente de le redonner en s'impliquant dans son travail, quitte à faire des heures supplémentaires.