LA TERRE Les souvenirs de la planète bleue sont vifs dans l'esprit de Jyreese. Il a eu beau quitter cette planète alors qu'il n'était âgé que de huit ans, il en a des souvenirs et il s'y accroche comme le fou qu'il est. Parce qu'il l'aimait sa planète bleue. Parce qu'il l'aime toujours infiniment. Parce qu'il voudrait y retourner, pourquoi pas peut-être se reconstruire loin du vide et du froid de l'espace. Comme il rêve de revoir les montagnes enneigées, l'eau glacée, les arbres verts. Comme il rêve de se rallonger dans l'herbe, d'en respirer le parfum, d'entendre les animaux sauvages autour de lui. Il aimait ça, quand il était gosse, se rapprocher de la nature. Il aimait tellement ça qu'il en rêve toutes les nuits. Quand il ne cauchemarde pas, c'est bel et bien de cela qu'il rêve : de ce que la Terre lui a laissé dans son esprit, de ces images uniques et magnifiques. Il veut rentrer.

L’ARMÉE Une évidence pour lui. Une telle évidence. Son père, son héros, était militaire et il voulait suivre ses pas, il voulait faire aussi bien, il voulait le rendre fier. Alors oui, l'armée a été une réelle évidence pour Jyreese. Tout comme le pilotage et la mécanique. Des heures passées à s'entraîner avec son père. Des heures passées à apprendre tous les rouages de la mécanique des vaisseaux. Des heures à boire les paroles d'un homme qu'il voyait comme grand, fort, parfait, impossible à arrêter. Un roc son père, un roc auquel il voulait tant ressembler... Et il l'a aimée l'armée, de tout son cœur, de toute son âme, de tout son être. Il a aimé se dévouer corps et à âme à la défense, à la justice. Il a aimé l'armée et l'aimera toute sa vie. Il regardera toujours avec nostalgies les récompenses reçues par son père, encadrées, que sa mère a choisi de lui donner. Il regardera toujours avec nostalgie ses propres récompenses, obtenues au fil du temps par une loyauté sans faille et un travail irréprochable. L'armée fera toujours partie de sa vie. Toujours.

LE JUMEAU Sa moitié de vie. De faux jumeaux qui auraient pu naître similaires et identiques physiquement mais qui pourtant sont nés différents. Cependant, même s'ils avaient partagé le même physique, leurs mentalités et leurs caractères auraient de toutes les façons été différents. C'est flagrant et cela a toujours été flagrant. Malgré ce lien inexplicable entre eux, malgré cet amour puissant qui les lie, bien qu'ils soient très proches, ils sont véritablement différents et ces différences entre eux les éloignent inexorablement. Pas d'amour partagé pour l'armée. Pas de vocation similaire partagée malgré des entraînements ensemble, des coups fraternels échangés sous les yeux de leur paternel. Trop de différences pourtant. Trop de différences. Une réelle dévotion de la part de Jyreese pour la loi, la justice. Des mensonges de la part de Willhem, un flirt trop insistant avec ce qui est illégal. Et de l'incompréhension de la part de Jyreese. Aujourd'hui, s'associe de la rancune à cette incompréhension parce que si Willhem n'avait jamais flirté avec l'illégalité, Jyreese n'en serait pas où il en est aujourd'hui. Amour toujours présent, c'est certain mais colère sourde et rancune silencieuse.

LA MORT DU PÈRE Une manœuvre banale. Véritablement banale. Le père qui s'installe, qui se prépare. Jyreese qui échange un regard avec lui alors qu'il est en train de s'occuper de la maintenance de son vaisseau. Un sourire. Et dans le vaisseau du père, un enchaînement qui va mener à sa perte. Un faux contact. C'est tout. Une petite étincelle. C'est tout. Et une explosion. Bruyante. Violente. Qui tue le paternel sur le coup. Qui blesse d'autres militaires trop proches du vaisseau. Qui projette au sol ceux qui sont plus loin, comme l'est Jyreese. La tête qui cogne le sol mais il ne perd pas connaissance. Il est alerte. Assez pour se redresser et comprendre que c'est le vaisseau de son père. Comprendre que son père est mort. C'est violent. Si violent. Et Jyreese ne s'en remettra jamais véritablement. Jamais. Sa mère lui donnera les médailles de son père et comme il s'y accrochera pour essayer de le rendre fier, même après sa mort. Il fera de son mieux mais son mieux ne sera malheureusement pas suffisant.

L'HOMICIDE INVOLONTAIRE Il est en visite chez sa mère, c'est l'occasion de revoir Willhem et de passer du temps avec son jumeau dont les choix le dépassent de plus en plus mais il l'aime trop pour s'y attarder. S'il est loyal à la Fédération, il ne peut pas être déloyal envers son jumeau, envers sa moitié, alors il a jusqu'à présent fermé les yeux sur ce qu'il savait Jyreese et il savoure malgré tout chaque instant passé auprès de son frère. Ce jour-là, il n'est plus très loin et les exclamations lui parviennent. Alors il s'approche, curieux et surtout désireux de faire régner l'ordre si désordre il y a. Et désordre il y a. Il voit Willhem en pleine bagarre avec deux hommes. Les gens forment un cercle autour d'eux et dans l'esprit de Jyreese tout va très vite. Il n'hésite pas : comment pourrait-il hésiter ? Il fonce. Simplement, il fonce. Il lui suffit d'un coup bien placé pour en calmer un et son uniforme incite l'homme de toutes les façons à rester au sol. L'autre, par contre, c'est différent. L'autre, il s'acharne sur Willhem au sol qui pourtant ne manque pas de force mais il a visiblement pris un mauvais coup sur la tête et ne bouge plus beaucoup. Alors Jyreese attrape l'autre, l'éloigne, lui intime d'arrêter. L'autre ne l'entend cependant pas de cette oreille et fond sur Jyreese qui prend un très violent coup dans la mâchoire. Sonné ? Juste une seconde ou deux. Il se défend tout de suite et les coups pleuvent d'un côté comme de l'autre. Bientôt les deux hommes se retrouvent au sol. Jyreese encaisse des coups très violents, il sent le goût métallique du sang dans sa bouche mais ses poings ne sont pas en reste et il cogne. Jusqu'à ce qu'il essaye de maîtriser l'autre. L'autre qui, tout en débattant, en profite pour donner un coup de pied à Willhem, toujours au sol à moitié sonné, et rien ne semble pouvoir le calmer. Pourtant il essaye Jyreese. Il lui dit de se calmer mais l'autre se débat comme un diable, joue des coudes et des poings. Assez pour reprendre le dessus. Assez pour que ses mains viennent se refermer autour de la gorge de Jyreese qui se débat, l'air commençant à lui manquer, sous les yeux écarquillés des gens effrayés autour d'eux. Après tout va très vite. Très, très vite. Les mains de Jyreese attrapent, serrent et le mouvement est si vif que la nuque en est brisée. Comme ça. Juste comme ça. Et puis plus rien. Le silence après ce bruit absolument monstrueux et terrifiant des os qui se brisent. Le corps de l'homme tombe inerte sur celui de Jyreese qui a du mal à faire de nouveau rentrer l'air dans ses poumons. Sa trachée qui a été malmenée et compressée lui fait un mal de chien. Puis, au-delà de la douleur, il réalise soudain ce qu'il vient de se passer. Ce qu'il vient de faire. Son hurlement est déchirant.

LE LADY GRACE : PURGATOIRELa condamnation est justifiée. Il ne s'y oppose pas. N'a pas l'envie de le faire. Il a pris la vie d'un homme. Oui, c'était involontaire. Oui, c'était de la légitime défense mais il aurait dû réussir à faire autrement. Il aurait dû réussir à se contrôler. On lui a reproché son impulsivité. On lui a reproché de ne pas avoir été chercher la milice plutôt que d'intervenir lui-même. On lui a reproché d'avoir usé de son savoir appris en matière de combat au cours de sa vie de militaire pour tuer son assaillant. Il aurait dû l'arrêter et non pas le tuer. Ce qui a joué en sa faveur ? Les témoignages. Tous les gens ont corroboré son récit. Tous les gens ont confirmé que l'homme était en train de l'étrangler. Et c'est cela qui lui a évité la peine capitale mais pas la condamnation à être incarcéré sur le Lady Grace pour une durée indéterminée. Au moins un an. Des larmes des siens quand il y est envoyé mais pas de larmes de sa part, non, parce qu'il y va le cœur alourdi par ce qu'il a fait. Et là commence son purgatoire. Une première année difficile de travail dans des conditions exécrables. Une première année à ruminer ce qu'il a fait. Une première année qui ne le rend pas plus instable que lorsqu'il a mis les pieds sur le Lady Grace. Alors, au bout de cette première année, on reconduit sa sentence pour une année supplémentaire. Difficile à entendre pour ses proches alors qu'il se contente de retourner sur le Lady Grace sans sourciller. C'est au bout de cette deuxième année qu'on estime qu'il a non seulement purgé sa peine mais qu'il est prêt à tenter une réinsertion. Après deux ans dans l'enfer de glace, dans son purgatoire.

L'ACCIDENT Il ne sait plus trop comment c'est arrivé. Il se souvient juste de l'horrible douleur à sa jambe, de son impossibilité de bouger, des cris autour de lui alors qu'on appelle à l'aide. Après cela, il perd rapidement connaissance. Puis le néant. Jusqu'à ce qu'il se reprenne conscience avec une jambe droite toute neuve à la place de l'ancienne. Puisqu'il lui reste moins de six mois sur le Lady Grace et qu'il présente également des signes d'asthme assez sévères, on évoque une remise de peine mais il s'y refuse. Il est capable de poursuivre son travail alors il va le poursuivre. C'est ainsi qu'il retourne sur le Lady Grace pour terminer de purger sa peine, malgré l'accident. Un accident qu'il demande de taire vis à vis de ses proches.

LA MALADIE Le diagnostic tombe et il l'encaisse. Il n'a pas vraiment le choix, il va devoir vivre avec. Asthme persistant et modéré de stade 3 qui implique un traitement journalier quotidien, un traitement qu'il ne doit aucune oublier. Un asthme qui entraîne des crises régulières bien qu'il puisse avoir une activité normale. Un asthme qui entraîne des crises nocturnes au moins une fois par semaine. Un asthme qui pourrait bien s'aggraver et se transformer en une chose bien plus vilaine s'il ne se montre pas prudent. Alors il se montre prudent Jyreese. Il se montre prudent, pas qu'il s'inquiète pour lui mais il a bien conscience que s'il lui arrive quelque chose, sa mère ne s'en remettra pas. Elle a été assez éprouvée tant par la mort de son mari que par la condamnation de son fils.

LE RETOUR A LA VIE CIVILE C'est une semaine après avoir quitté le Lady Grace et après avoir passé une batterie d'examens, tant physiques que psychologiques, qu'on a estimé que Jyreese était prêt à retourner à la vie civile, qu'il était prêt pour tenter une réinsertion. Le travail de mécanicien lui a été trouvé par un ancien supérieur qui a beaucoup regretté la décision de Jyreese de ne pas retourner dans l'armée. Il aurait pu. On lui a bien laissé entendre qu'il pourrait finalement retrouver son poste à l'armée puisque malgré sa condamnation il s'agissait de légitime défense mais il s'y est refusé, ne s'estimant plus digne d'un tel honneur. Alors, il a pris ce travail de mécanicien comme il aurait pris tout autre travail. Il veut faire des efforts, réussir à se réintégrer ce qui n'est pas une mince affaire. C'est qu'on ne se défait pas de l'étiquette du Lady Grace facilement. Surtout pas quand on y a passé deux ans pour avoir tué un homme à mains nues, même si c'était en état de légitime défense. Alors Jyreese patauge un peu. Il va lui falloir se montrer patient.

LE MAL QUI RONGE La culpabilité est une chose bien puissante, bien difficile à supporter. Jyreese a les mains sales, c'est en tout cas ainsi qu'il voit la situation. Il a tué un homme. Il a pris la vie de quelqu'un qui certes essayait de le tuer mais il s'est laissé emporter et il n'a même pas hésité. Il a brisé la nuque de cet homme et après un peu plus de deux ans, il est toujours rongé par la culpabilité de cette vie prise. Le bruit de cette nuque qui se brise le réveille toutes les nuits depuis deux ans et s'il est à ce jour plus stable qu'il n'a pu l'être à ses débuts sur le Lady Grace, il n'en reste pas moins assombri par cet acte commis de ses propres mains. Et ça le ronge au quotidien. Il aimerait pouvoir un jour redevenir l'homme qu'il était auparavant mais il en doute fortement. Il a cette certitude que cette homme-là est mort en même temps que celui auquel il a pris la vie. C'est sans doute parce qu'il a cette certitude qu'il se refuse à raser sa barbe ou à se recouper les cheveux. Revenir au physique d'avant lui est impossible puisqu'il n'est plus l'homme d'avant.