ENFANCE Emilia est née avec une cuillère en argent dans la bouche, loin des conflits du monde. Il n'y a pas de meilleure manière d'expliquer les vingt deux premières années de sa vie : jamais elle ne manque de quoi que ce soit. Son père est un grand architecte et artiste, réputé pour ses bâtisses aussi ravissantes que celles des anciens Terriens, mais aussi pour ses sculptures et ses tableaux. Sa mère, issue d'un milieu moins aisé, est professeur de piano. Le chemin d'Emilia est tout tracé. Rapidement, elle se passionne pour la création ; quand son père la voit bricoler des appareils avec pas grand chose, il la destine à un avenir d'ingénieur. C'est ainsi qu'elle entre en école d’ingénierie mécanique. L'année de ses vingt deux ans, elle s'apprête à se spécialiser en domotique, le domaine qui l'intéresse le plus. Mais avant la rentrée, ses parents l'emmènent faire une croisière de quelques mois dans l'espace ; ce n’est pas la première, mais elle n'imagine pas que ce serait la dernière.

révolte du Tiantang L'annonce de la rébellion sur Terre, la création du Triumvirat : l'ordre de rentrer. Légère déception pour ses parents. Quand à Emilia, elle serait presque pressée de rentrer, s'il n'y avait pas eut cette amourette pour l'occuper. Une autre gosse de riche, une certaine Lydia. Les rendez-vous secrets à la piscine ont quelque chose d'excitant, pour elle qui ne connaît pas encore grand chose de l'amour.
Jusqu'au pire jour de sa vie. Aucune des deux ne comprend ce que signifient les hurlements, au début. L'arrivée des ouvriers de Chronia ne leur a pas paru si étrange, encore moins inquiétant. Jamais Emilia ne se serait doutée de la colère grondante de ces colons, ayant ignoré les signes. Quand elle court jusqu'à la cabine de ses parents, c'est l'horreur qui l'attend. Avachie contre le mur, sa mère enveloppe encore de bras protecteurs sa petite sœur. Elles ont toutes les deux les yeux fixes, leur front tâché d'une marque rouge là où la balle a traversé. La porte est entrouverte et des bruits de lutte en viennent ; mais Emilia est pétrifiée, incapable de réaliser ce qui est en train de se passer. Quand la porte s'ouvre à la volée, c'est pour laisser apparaître son père, qui lui ordonne de fuir. Mais il s'écroule aussitôt, le sang maculant l'arrière de son crâne sous l'impact de la barre de fer.
Enfin, elle parvient à courir. La barre s'abat dans son dos mais ne fait que toucher son épaule, lui tirant un cri de souffrance. Elle continue de courir, son cœur frappant dans sa poitrine comme une horloge déréglée ; elle croise d'autres passagers en panique, d'autres meurtriers qui tentent de l'arrêter, mais glisse hors de leur portée aussi vite qu'ils l'aperçoivent. Même quand plus personne n'est à sa poursuite, elle ne s'arrête pas. Il n'y a que la sensation insupportable que ses poumons sont en feu qui finit par la jeter au sol. Une porte au hasard, et la voilà dans ce qui semble être un débarras peu utilisé. Derrière les cartons, tout au fond, elle se faufile et se cache. Combien de jours y reste-t-elle ? Elle-même l'ignore encore aujourd'hui. La faim finit par la faire sortir, bien après qu'elle ait épuisé toutes ses larmes. Son épaule lui fait terriblement mal et elle tient son bras contre elle pour éviter les mouvements trop brusques. Il n'y a pas de sang pourtant, mais la douleur est brûlante.
Elle devient un fantôme ; l'insaisissable qui survit tant bien que mal, en se servant dans les cuisines, en se cachant dans les rares ombres du vaisseau. Elle écoute les murmures, constate que tous ceux qui sont attrapé sont désormais jetés dans l'espace. Les ouvriers craignent que les passagers survivants fassent tout pour contacter la Terre, sans doute à raison.
Il arrive un moment où l'on s'imagine avoir accepté la mort comme une possibilité, être prêt à faire face à un destin court et expéditif. Emilia se rendit compte qu'il ne s'agit là que d'une illusion, d'une impression factice que notre conscience tente d'imposer pour nous faciliter les choses. La vérité, c'est qu'on cesse pas vraiment d'espérer. La survie finit par prendre le dessus, d'une façon ou d'une autre. Plus d'une fois, Emilia faillit se laisser mourir de faim. L'univers paraissait ne pas lui offrir la moindre issue de secours. Elle n'était qu'un minuscule chaton face à un immense mur. La vie était de l'autre coté, et nombreux étaient ceux à espérer l'écraser sous leur chaussure.
L'aide vint d'un lieu inattendu. Felicity, la cuisinière d'un des restaurants finit par remarquer ses passages, et se mit à lui laisser des repas. Puis des petits mots, lui assurant qu'elle pourrait lui offrir refuge dans sa cabine.
Et Emilia finit par accepter. Les premiers jours, tout se passa bien. Jamais un lit ou une douche ne lui avait paru si merveilleux. Puis Felicity pensa qu'elle pourrait convaincre le leader des ouvriers de cesser les hostilités et décida de faire connaître la présence d'Emilia dans sa cabine. Celle-ci vit arriver dans la cabine des hommes armés, qui l'amenèrent devant cette gouvernance fantoche de rebelles, d'assassins. Elle découvrit qu'ils n'étaient pas aussi unis qu'elle l'avait pensé, et que son cas suscitait nombre de dissensions. Regardez la, c'est une gamine ! assénait Felicity pour éveiller leur pitié. Jouant le jeu, Emilia gardait les yeux baissés et laissait les larmes souiller ses joues ; inutile de se forcer, la perspective d'être jetée dans l'espace la plongeant dans une profonde terreur.
Ils cédèrent face à cette scène, et il fut déclaré que tout passager qui se rendrait de lui-même serait épargné bien qu'emprisonné, mais que la moindre tentative de résistance serait passable de mort.

Dans les jours qui suivirent, la cellule où l'on a placé Emilia se remplit progressivement, d'inconnus pour la plupart... et de Lydia. Les deux jeunes femmes se raccrochent l'une à l'autre, ayant toutes deux perdu leur famille. La relative paix entre ouvriers et passagers est fragile, malgré les efforts d'Emilia pour la renforcer. Certains de ces riches touristes sont incapables de se taire, et nombre de fois elle les maudit pour leur attitude méprisante et provocatrice.
Puis Lydia décide de monter un plan pour s'échapper. Chacun a le droit à une douche par semaine, et ne sort de la cellule qu'à ce moment là ; c'est l'occasion pour agir et envoyer un message au Triumvirat. Emilia tente de l'en dissuader, mais Lydia est trop obsédée par la perspective de retourner sur Terre pour changer d'avis. Alors Emilia prétend la soutenir dans son plan, tandis qu'elle s'empresse de tout répéter à son garde le jour où elle-même sort de cellule. Lydia fait sa tentative mais est arrêtée, puis jetée dans l'espace. Emilia obtient dès lors la confiance, certes hésitante, des ouvriers ; elle tremble pourtant de honte quand elle songe à son acte. Mais combien seraient morts, si elle avait laissé Lydia faire ? Les semaines passent et ils sont enfin libérés, quoi que surveillés de près.
Finalement, peut-être que le chaton finira par savoir grimper ce mur.

La Flotte Ce n'est pas vraiment la vie qu'elle s'imaginait, loin de là. Les premiers mois sont les plus difficiles. L'insupportable, c'est le silence qui s'installe, les expressions gênées des ouvriers. Le plus difficile, c'est de soudain reconnaître le visage de l'assassin dans la foule, un visage fuyant qui disparaît sitôt qu'il la remarque. Un homme ordinaire, plus tout jeune. Un meurtrier, qui s'en sortira sans écoper de la moindre peine, car on préfère prétendre que rien est arrivé. Emilia se tait car elle ne peut faire autrement, car elle n'a qu'une chose en tête : survivre. Ce n'est pas le moment de faire des vagues. Elle n'est qu'une gamine sur un vaisseau rempli de personnes qu'on écoutera bien plus qu'elle.
C'est d'abord avec Felicity qu'elle s'installe. On lui propose de reprendre des études, et elle s'y plonge avec soulagement. Les cours lui occupent l'esprit, lui permettent d'oublier pour un temps le passé, le futur et tout le reste. Elle obtient son diplôme en domotique avec facilité puis commence à travailler et prend une cabine seule. Autrefois enfant expressive et sociable, elle se referme comme une coquille et les années qui suivent sont les plus dures. Le moindre bruit inattendu la fait bondir, la moindre voix un peu trop forte la fait se recroqueviller. À force de vouloir passer inaperçue, elle disparaît presque.

Sierra Puis vient Sierra. Le hasard les réunit, elle ne saurait même pas se souvenir de la première fois où leurs chemins se sont croisés. Sierra est pleine d'énergie, c'est un rayon de soleil pour les autres et surtout, elle déborde d'espoir. Les deux jeunes femmes tombent amoureuses, contre toute attente et malgré les différences flagrantes qui les opposent. Sierra s'avère être une véritable décharge électrique pour Emilia. Elle sort de son état proche de la catatonie, cesse de ne faire que se plonger dans le travail sans regarder autour d'elle. Après quelques années, elles emménagent ensemble. Sierra l'encourage à traîner en justice l'assassin de ses parents, mais Emilia sait que c'est inutile : le tabou est trop fort, sur le Tiantang. Jamais les jurés ne condamneraient cet homme, car le silence éclaterait et des dizaines d'autres suivraient sûrement. Une catastrophe pour la Flotte.

Ambitions Travaillant principalement auprès des habitants du Tiantang et pour le confort au quotidien de ses derniers, Emilia commence à tisser des liens. Elle entend les revendications de certains, et avec quelques autres, finit par former une petite cellule d'individus souhaitant faire entendre au Capitaine - de manière pacifique, bien entendu - leurs doléances. Plus tard, cette équipe est officiellement reconnue comme les délégués du Tiantang. Nombre d'années passeront avant qu'on estime qu'Emilia est assez expérimentée pour devenir représentante. Un rôle qui la passionne à n'en pas douter, mais qu'elle voit avant tout comme un moyen d'obtenir du pouvoir ; qu'un jour sa voix ait suffisamment de poids pour faire exploser la vérité au visage des gouvernants.
Ce qu'elle espère également, c'est mettre un terme à l'évident laisser-aller de la Flotte et plus particulièrement du Tiantang. Toute l'organisation, et l'absence de hiérarchisation, ne font à ses yeux que créer la discorde au sein du vaisseau. Beaucoup de passagers sont du même avis et estiment que l'actuelle Capitaine fait preuve d’ingérence, si bien qu'Emilia est indéniablement soutenue.

Musique Il est à noter qu'Emilia a un lien très particulier avec la musique. Elle aime cet art avec autant de force qu'elle le déteste. Elle a en effet grandi en baignant dedans, sa mère étant professeur de piano. Cet instrument est celui qu'elle maîtrise le mieux, et qu'elle évite pourtant avec application car il éveille des souvenirs dont elle se passe volontiers. Nul ne sait qu'elle est capable d'en jouer - ou du moins qu'elle savait en jouer il y a un peu plus de vingt ans. La vision d'un piano la met très mal à l'aise, et entendre en jouer finit de la faire fuir. Peu idéal sur le Tiantang, où les pianos ne sont pas rares.

relations Si en public, Emilia est plutôt sociable et sait plaire, en privé elle peine à entretenir la moindre de ses relations. Sierra l'a quitté il y a dix ans, ne supportant plus son obsession de vengeance et ses trop long silences. Elles sont restées en bons termes mais depuis, Emilia n'a pas su aimer à nouveau. Ou n'a pas essayé. Il y a bien eut des amantes mais rien qui n'ait su garder son attention, rien qui ne vaille de faire un effort - elle a d'ailleurs accepté de finir seule, sa seule aspiration étant de traîner en justice l'assassin.