Ce qu’il pouvait faire chaud sur cette planète ! Nova ne s’en remettait pas. Elle avait beau boire des gallons de flotte tous les jours, passer son temps à grappiller quelques secondes sous un ventilateur ou à s’éventer avec le premier objet qui lui tombait sous la main, garder les cheveux résolument attachés sur le sommet de son crâne, rien n’y faisait. Nova avait continuellement l’impression de marcher dans une boule de feu. Une boule de feu dont elle ne pouvait rien faire pour se débarrasser. Mais en dehors de ce fait, elle était très contente d’être sur Byblos. Peut-être pas dans tous les aspects de sa mission au sein de la délégation, en particulier lorsqu’elle était nommée d’office sous-fifre en raison de son jeune âge, mais pour tout ce qui touchait à la découverte de la planète elle-même, la brune démontrait en enthousiasme peu commun. Pour les mœurs des locaux, pour la nourriture et les spécialités, pour la musique et les différentes formes d’art, pour les espèces vivantes et particulièrement pour la flore de Byblos. Dès qu’elle pouvait, elle sautait sur le premier prétexte pour s’éloigner et voleter dans tous les sens pour découvrir de nouvelles espèces à ses pieds.

Ce qu’elle était justement en train de faire. On lui avait demandé d’aller récupérer du matériel médical et elle s’était tout naturellement proposé. De toute manière, c’était se proposer ou se voir refiler le bébé parce que personne ne voulait aller se mettre en plein le soleil tout le temps qu’il faudrait pour rejoindre le bâtiment donc… Nova avait dégoté un carton entier de kits de secours et retournait à son rythme vers le reste de l’équipe, à l’aguet au cas où elle passerait devant quelque chose d’intéressant quand elle entendit le vaisseau qu’elle dépassait grogner. Mais étant quelqu’un de sensé et de rationnel, la brune se dit qu’il devait y avoir quelqu’un derrière et fit le tour jusqu’à voir une silhouette masculine qu’elle reconnut. Comme elle, il faisait partie de la délégation, mais ce n’était pas pour cela qu’elle reconnaissait cette silhouette.

Cette silhouette passait régulièrement non loin de sa cabine car elle habitait non loin. Cette silhouette avait été synonyme de défiance et de peur pendant un bon bout de temps. Cette silhouette appartenait à un homme qui l’avait sortie d’un bien mauvais pas il y a quelques temps de cela. Et qui pour ça avait son éternelle reconnaissance, même si elle ne lui avait jamais dit et qu’elle avait du mal à le lui faire comprendre quand elle le croisait sur la Flotte. Même à cet instant, elle hésitait à avancer vers lui.

Quand même... elle ne pouvait pas le laisser se débrouiller tout seul comme ça... La plupart des autres membres de la délégation étaient en train de rentrer vers Oyera et la plupart des locaux devaient être occupés à chasser les fantômes parce qu’elle n’avait vu personne depuis un petit bout de temps déjà. Sans compter qu’elle avait justement un kit des premiers soins sur elle. Ne pas aller l’aider alors qu’elle avait tout sur elle aurait été vraiment cruel. Et pour ce que cela valait, Nova avait plutôt l’impression d’être une bonne personne en règle générale. Elle ne comptait pas déroger à cette règle aujourd’hui. Prenant son courage à deux mains, la brune posa son carton par terre, attrapra un kit, redressa la tête, rejeta ses épaules en arrière et s’avança doucement vers Ordo qui se passait de l’eau sur la main.

— Oh attendez, je vais vous aider ! On ne peut pas laisser ça en état...

Elle agita la petite trousse de secours dans sa main comme pour justifier son intervention et s’avança d’un pas qu’elle espérait léger. Les préjugés pouvaient avoir la peau dure, encore plus chez quelqu’un comme Nova pour qui les apparences faisaient tout. Cependant, après l’intervention de l’ancien prisonnier en sa faveur, elle se sentait nulle de ne pas avoir pu le remercier dans les formes. Son aide, si elle était acceptée, ne serait pas assez mais constituerait un assez bon point de départ. La brune cala la trousse contre une plaque de métal qu’il avait délogée et l’ouvrit pour sortir un spray cicatrisant et une grosse boule de coton.

— Vous me montrez cette main ?

Demanda-t-elle gentiment en se tournant vers lui, ses « outils » en main pour commencer le rafistolage. Sans être une experte de la médecine, Nova pratiquait couramment la gestion des bobos du quotidien, plus ou moins graves, et connaissant parfaitement ses limites à force de fréquenter un certain secouriste, elle saurait les reconnaître ici aussi si besoin. Elle avait beau être une épouvantable vantarde pour tout ce qui était sans importance, elle était loin de faire la maline face à un situation « sérieuse ». Ce qui était le cas dans cette situation précise à n’en pas douter.

Le mécanicien sembla hésiter à lui confier sa main et elle ne pouvait que le comprendre. Nova n’aurait pas non plus confié ses membres à quelqu’un comme elle. Elle ne les aurait confié à personne qui n’aurait pas une accréditation médicale, mais elle n’était pas connue pour son courage et sa résilience… Jyreese finit par lui tendre la main avec un soupir, comme s’il se résignait à dépendre d’elle. Elle essaya très fort de ne pas s’attarder sur cette pensée et lui fit un petit sourire encourageant en commençant à éponger le sang et vaporiser le spray.

Heureusement qu’elle ne s’effarouchait pas à la vue du sang, auquel cas elle aurait été bien incapable de lui venir en aide. À peine avait-il remué un peu les doigts que du sang se remettait à couler. Nova dû se débarrasser de la boule de coton déjà rouge pour en prendre une nouvelle. Elle s’appliqua à dégager de nouveau la peau pour vaporiser le spray et ne releva la tête qu’en l’entendant desserrer les lèvres. Il était à la fois plus formé qu’elle en matière de bobos et beaucoup plus résistant qu’elle à la douleur. C’était assez impressionnant, et aussi bien pratique, parce qu’elle n’était pas la meilleure personne pour réconforter les blessés.

— Pardon?

Un bras et une jambe de métal ? De quoi parlait-il ? La jeune s’arrêta une seconde pour le regarder sans comprendre ce qu’il entendait par là et reprit son œuvre.

— Euh… en fait je ne suis pas exactement médecin…

Fit-elle remarquer avec une grimace d’excuse. Elle voulait bien faire son possible mais force lui était de constater qu’elle n’arriverait peut-être pas à le rafistoler avec juste du spray. Au moins un petit point de suture aiderait sans doute le produit à prendre, surtout considéré la profondeur de son entaille, mais ce n’était pas avec ses rudiments de connaissances qu’elle allait pouvoir faire ça pour lui, même avec toute la bonne volonté du monde.

— Je peux continuer à vaporiser et voir si ça tient mais vous devriez sans doute aller voir le docteur Trasam, il sera plus compétent que moi dans ce domaine… Surtout si vous devez continuer à travailler après.

Nova lui aurait bien proposé bien d’être ses mains si elle pouvait l’aider d’une manière ou d’une autre mais elle n’était pas très douée avec les machines en dehors de celles de la production agricole. Avec son habilité, elle trouverait le moyen de détruire le tas de ferraille qu’il essayait de réparer. Et puis si lui, qui était formé à cet art, avait réussi à se blesser, Nova était presque certaine qu’elle ne réussirait qu’à se tuer et lui avec.

— Oh… à moins que…

Le principe de se trimballer des kits de premiers secours, c’était d’avoir à portée de main tout le matériel nécessaire pour gérer une urgence médicale sans importance. Une entaille ne nécessitait tout de même pas un chirurgien pour être traitée, si ? Nova posa le coton et le spray pour farfouiller dans la trousse. Elle finit par trouver ce qu’elle cherchait et sortit un paquet de sutures adhésives pour l’ouvrir et en récupérer deux qu’elle posa sur l’entaille de Jyreese. Si elle pouvait la maintenir fermée, le spray pourrait peut-être mieux faire son office. Une demi-douzaine de vaporisation plus tard et elle eut la confirmation que son intuition avait été la bonne. Il ne restait plus qu’une ligne rose là où l’entaille se tenait mais elle ne se sentait pas de s’affirmer médecin et aller plus loin. Elle laissa en place les sutures et posa une fine bande de gaze sur la blessure avant d’enrouler une bande de coton autour de sa main et de son poignet.

— Bon, c’est du rafistolage, mais je ne crois pas pouvoir faire plus que ça… Laissez la bande, surtout si vous remettez les mains là-dedans, elle gardera votre blessure au propre un minimum.

Regardez-là ! À déblatérer comme si elle savait de quoi elle parlait ! Nova finit de ranger le matériel qu’elle avait sorti en rassemblant tous les cotons usagers dans le paquet vide de la bande. Maintenant que son œuvre était terminée, la brune sentait l’agitation remonter, sentant qu’elle n’aurait bientôt plus de raison de rester et donc aucun moyen de ramener sur le tapis le sujet qu’elle brulait d’aborder. Elle s’était bornée à traiter la situation avec détachement mais n’avait pas encore eu l’occasion de glisser un mot gentil ou un simple remerciement. Vu de l’extérieur, elle-même n’aurait jamais deviné qu’elle lui était reconnaissante. Pourquoi était-ce si difficile de juste dire « Hey, au fait, merci pour la dernière fois ». Cinq mots, c’était tout ce que ça prenait.

— Pourquoi il ne marche pas ?

Demanda-t-elle après s’être raclé la gorge en désignant l’amas de déraille d’un mouvement du menton, faute d’inspiration.

Un faible sourire répondit à ses remerciements. Dans l’esprit de la jeune femme, c’était plutôt elle qui aurait dû le remercier, mais, encore une fois, elle semblait incapable de sortir de simples mots. L’instant n’allait pas… peut-être qu’il avait oublié et ne comprendrait pas… elle serait totalement ridicule à ramener sur le tapis un sujet qui datait… Tout un flot d’excuses lui traversèrent l’esprit, toutes aussi irrecevables que la précédente. « Merci pour la dernière fois », ce n’était quand même pas la mer à boire. Bon d’accord, connaissant l’animal, il était fort à parier que Nova se mette en tête de partir dans des explications plus poussées qui se perdraient en bredouillements confus. Mais quand même… Ce n’était pas si compliqué ! Faute de pouvoir faire ce qu’elle souhaitait vraiment faire, la brune se trouva une excuse pour rester – comme pour se donner le temps de trouver le courage de dire ce qu’elle avait sur le cœur – en l’interrogeant sur son activité du moment.

Et bon, même si elle était tout à fait à même de comprendre des termes simples comme « fil endommagé » et « érosion », Nova était loin d’être une spécialiste en matière de mécanique et même en comprenant l’idée générale, elle aurait été bien incapable de faire des suggestions pour l’aider dans son travail. Ce que Jyreese sembla réaliser assez vite en s’arrêtant tout d’un coup dans ses explications. Il avait dû percevoir qu’il avait laissé Nova loin derrière lui. Elle hocha tout de même la tête, l’air de maîtriser le sujet, lorsque le mécanicien lui expliqua sa stratégie pour réparer le vaisseau avant de la regarder de nouveau.

— Euh…

Nova songea d’abord à cette blague cosmique qui était en train de se dérouler. Non, en effet, elle était loin d’être médecin et dût-il se faire une blessure plus grave que cette première estafilade, elle aurait été bien en mal de l’aider. Au fond de son esprit, il y avait aussi le souvenir qu’à la base, la brune traînait dans le coin parce qu’on lui avait demandé de rapporter quelque chose, à savoir les kits de premiers soins qu’elle devait ramener bientôt. Mais d’un autre côté, Jyreese lui offrait sur un plateau d’argent une belle excuse pour s’attarder dans le coin et elle ne pouvait pas cracher dessus. Quand elle pensait à quel point elle avait pu se comporter comme une belle garce avant qu’il ne lui sauve la mise, elle se sentait mal à l’aise. À sa place, Nova n’était pas certaine de faire montre de la même ouverture en lui venant d’abord en aide et ensuite en se comportant parfaitement convenablement avec elle. D’un autre côté, il lui suffisait d’un seul regard de travers pour la réduire à néant et lui faire remettre en question toutes ces certitudes sur elle-même, donc…

— Oui, bien sûr… si je peux aider, hein !

Elle rangea maladroitement une mèche derrière son oreille avant de relever un peu les yeux vers elle. Maintenant qu’elle avait l’excuse et le temps, il serait tout à faire à propos de faire ce qu’elle brûlait de faire, non ? Adossée au véhicule en attendant qu’il se remette au travail, Nova se tritura les mains en essayant d’ignorer sa gorge qui se nouait un peu plus à chaque seconde qui passait. Après un petit moment dans le silence, Nova finit par se décider à se lancer et après s’être raclé la gorge, elle releva la tête vers Jyreese.

— Dites…

Tout le courage qu’elle avait pu rassembler ces derniers instants sembla s’évaporer sous la chaleur de Gattaca. Elle hésita avant de prendre une grande respiration et se lancer.

— Pour la dernière fois… enfin je veux dire quand vous êtes venu m’aider… enfin quand vous avez… enfin bref… je voulais juste vous dire merci. Je… je n’ai pas eu l’occasion de le faire jusqu’ici mais… mais il fallait que je le fasse. Enfin… voilà… merci encore…

Bon, la fin de sa phrase s’était perdue dans des tonalités presque inaudibles mais au moins l’essentiel était passé. Enfin, s’il avait compris… elle espérait avoir au moins été assez intelligible pour qu’il capte l’essence de ses remerciements. Timidement, Nova redressa la tête pour observer la réaction du mécanicien.

Nova ne s’attendait pas à une réaction particulière de la part de Jyreese. Elle ne le connaissait pas assez pour espérer une réaction positive ou redouter un rejet : elle était dans le flou total concernant ce à quoi s’attendre. Néanmoins, des relents de culpabilité tentaient de la préparer pour un recadrage sec et efficace. Elle-même ne savait pas si elle aurait eu la bonté d’âme de passer l’éponge sur son comportement de péteuse. Mais en relevant la tête vers le mécanicien, la brune eut la surprise de découvrir non pas un regard inamical mais un sourire franc et simple sur son visage. Agréablement surprise, Nova redressa la tête et les épaules pour écouter Jyreese que ce n’était rien. Mais pour la jeune femme, ce n’était pas rien et ça n’avait pas été rien le jour où il lui était venu en aide. Sur le moment, son intervention valait le monde et n’était absolument pas méritée. Elle n’était même pas sure que sa petite intervention aujourd’hui suffise à le remercier, contrairement à ce qu’il semblait penser.

En tout cas, ils partageaient le même avis sur son comportement d’avant, même si le mécanicien ne le disait pas clairement. Nova rabaissa les yeux sur ses pieds, honteuse d’elle-même et de son comportement qui avait blessé quelqu’un qui n’avait pas hésité à agir pour elle. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il avait bien pu faire qui mérite un séjour sur le Lady Grace à l’époque mais cela ne l’avait pas empêché de le juger comme une personne infréquentable qu’il fallait éviter à tout prix. Si un jour Nova devait affronter la défiance et les préjugés des autres, elle savait qu’elle le prendrait mal, que ce serait une souffrance indicible pour elle. Elle pouvait tout à fait comprendre que Jyreese ait souffert de ce regard qu’on avait posé sur lui. Sans compter qu’au vu de toutes les interactions qu’elle avait eues avec lui, il lui semblait être quelqu’un de très calme, posé, serviable et agréable. Quelqu’un de tout à fait fréquentable… et de très indulgent. Indulgent au point de lui pardonner son comportement d’un claquement de doigt.

Nova hocha piteuse de la tête, comprenant parfaitement qu’il ait envie d’un nouveau départ, d’une nouvelle chance en somme, sans préjugés ni regards accusateurs. De quoi lui donner envie de passer les dix prochaines minutes à s’excuser de nouveau, pour elle… et pour les autres car quelque chose lui disait qu’elle n’avait pas dû être la seule à le blesser. Elle leva les yeux en l’entendant changer de sujet, prenant la voie d’une conversation que deux personnes qui venaient de se rencontrer auraient pu avoir. Une discussion normale. Nova était plus que prête à la lui offrir cette discussion.

— Oh… euh… Je travaille à la production maraîchère là-haut. Je m’occupe de surveiller la croissance des fruits et légumes pour assurer la production… pour qu’on ait des fibres à manger…

Expliqua-t-elle maladroitement en lissant une mèche de cheveux derrière son oreille. Quant à ce qu’elle faisait ici… disons que sa mission était bien moins claire et définie que semblait être celle de Jyreese.

—  Et ici, disons que j’aide un peu tout le monde comme je peux… Officiellement, c’est « aide humanitaire » mais je ne sais pas trop à quoi cela correspond, on dirait que je suis un peu comme une assistante pour tout le monde ou de la main d’œuvre…

Conclut-elle avec un sourire en coin. Il n’y avait pas le moindre reproche dans sa voix. La mission lui permettait de poser les pieds sur une véritable planète pour la première fois en vingt-sept ans d’existence, ce n’était pas rien ! Même si elle était transformée en assistante polyvalente le temps de leur séjour, elle n’allait pas se plaindre pour s’y peu. Elle gardait ses forces pour se plaindre de la chaleur étouffante et de la gravité qui engluait chacun de ses mouvements. Quant à Jyreese, lui retourner la question aurait été un peu maladroit. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas comprendre ce qu’il faisait dans les entrailles de la machine.

— Et toi… j’imagine que tu dois être… mécanicien ?

Mince, voilà qu’elle se remettait à croire les apparences et en tirer des certitudes. Avec Jyreese, la brune redoutait de faire un faux pas.

— C’est ça ?

Ajouta-t-elle pour se rattraper maladroitement.

— Qu’est-ce que tu fais ici quand tu n’es pas en train de jouer les mécaniciens imprudents ?

Demanda-t-elle avec un petit sourire sur les lèvres.

Le sourire de Nova s’agrandit en se rendant compte qu’elle ne se faisait pas rabrouer et même qu’il la suivait dans ses questions bancales. Elle avait redouté un reproche de toujours vouloir continuer à s’accrocher aux apparences mais il fallait croire qu’elle avait su les décrypter correctement. Sa petite victoire lui assurait quelques instants d’auto-satisfaction propices à la mettre à l’aise mais elle savait que la sensation ne serait que de courte durée. Dès qu’elle devait parler avec quelqu’un d’extérieur à son cercle de proches, la brune avait l’impression d’être constamment à côté de la plaque, incapable de réagir de manière appropriée ou de tenir une conversation cohérente et surtout pertinente. S’entraîner plus lui aurait sans doute permis depuis longtemps de se débarrasser de cette timidité maladive mais, comme un parasite heureux de son sort, celle-ci l’avait toujours emporté sur ses bonnes résolutions. Elle pouvait se répéter à l’envi qu’elle allait faire des efforts, essayer même de s’auto-persuader, sa timidité était toujours là pour la tétaniser une fois mise face à la situation. Pourtant le blond semblait, au contraire, de plus en plus à l’aise.

Imperturbable dans sa tâche, Jyreese parvenait à continuer sa discussion avec elle tout en réparant le véhicule. Sa capacité à faire deux choses en même temps épatait la jeune femme. À sa place, elle aurait sûrement passé son temps à bafouiller, retrouver le fil de sa pensée ou rater complètement ce qu’elle faisait à côté. Pourtant, pour lui semblait affronter la tâche avec une simplicité déconcertante. Autant impressionnée par ce talent qui restait hors de sa portée que par l’altruisme de ses paroles à des années-lumière des intérêts qu’elle lui aurait prêté avant, Nova restait là comme un piquet à acquiescer à tout ce qu’il disait.

— Euh... oui. Oui, oui...

L’observant avec de grands yeux, surprise qu’il continue de vouloir l’intégrer à ce qu’il faisait, la brune le suivit maladroitement à l’intérieur du vaisseau. Elle le regarda s’installer dans le siège principal et se tint plantée derrière lui, un bras replié sur son ventre pour accrocher son coude, ne sachant pas bien ce qu’elle faisait encore là puisqu’il n’avait plus besoin d’elle mais quelque part contente qu’il ne la chasse pas. Elle l’observa tapoter la console, très professionnel, avant que le grondement du moteur annonce la victoire de l’homme sur la machine. Nova ne put s’empêcher de rire doucement, contaminée par l’enthousiasme de Jyreese, et lui sourit en croisant son visage tourné vers elle.

— Bien joué !

Dit-elle en réponse. Mais sa timidité la reprit dans son juron en entendant sa question. Ce n’était pas tant un problème d’aimer voler ou non...

— Je ne m’inquiète pas. C’est juste que...

C’est plutôt lui qui aurait dû s’inquiéter. Du temps où elle enchaînait péniblement les simulations de vol dans l’espoir de pouvoir prétendre au rang de navigatrice pour faire plaisir à ses parents, Nova en était venue à se dire qu’elle portait la poisse à tous les vols qui la portaient. Comment expliquer autrement la succession d’échecs toujours plus impressionnants les uns que les autres au cours de sa formation ? Au début, et comme tout le monde sûrement, la jeune femme avait pensé qu’elle était juste nulle et que ses erreurs venaient d’elle. Mais 499 échecs sur 500 simulations, ça faisait beaucoup d’incompétence pour une seule personne... Une fois, il lui était même arrivé d’éternuer si fort que sa tête avait cogné contre la console et non contente de s’être à moitié assommée, elle avait aussi réussi à crasher son véhicule fictif dans un astéroïde tout aussi fictif. Non, si ce véhicule devait se conduire, il serait plus que prudent de. E pas la laisser toucher à quoi que ce soit d’autre que sa harnais de sécurité.

— Non, c’est rien... un petit tour, ça peut être sympa. Mais j’y connais rien au pilotage...

Préféra-t-elle en secouant la tête et en s’asseyant dans le siège du copilote, regardant anxieusement les voyants et les boutons qui lui rappelaient de biens mauvais souvenirs.

Nova nota à peine son hésitation, la remarquant sans s’y arrêter. Qu’il ait été ou soit actuellement pilote, peu lui importait tant qu’il était capable de manœuvrer la carcasse de métal sans la planter dans le décor. Son caractère aidant, la brune se laissa convaincre par le ton et les gestes assurés du mécanicien… et son sourire confiant. Sa naïveté finirait sans doute par la perdre mais la maraichère aurait été prête à suivre n’importe qui jusqu’aux Enfers s’il lui avait assuré avec assez de conviction qu’elle y trouverait une plage de sable fin. Et puis, l’aura mystérieuse et dangereuse que l’imaginaire de la jeune femme prêtait à l’ancien taulard y était peut-être un peu pour quelque chose. Dans son esprit, il était tout à fait normal qu’il sache piloter – mieux qu’elle en tout cas, même si ce n’était pas bien compliqué –, allez savoir pourquoi… Lui rendant un faible sourire, Nova tâcha de se détendre un peu dans le siège de copilote, essayant de relâcher ses muscles et de se décrisper.

Tâche des plus difficiles. Au premier à-coups du véhicule, ses mains agrippèrent tout ce qui pouvait être agrippé et elle sentit son cœur tomber comme une pierre au fond de son estomac. La réalité venait de lui rappeler douloureusement qu’ils n’étaient pas dans une simulation et que si son pilote avait exagéré ses compétences de pilotage, ils ne verraient pas le soleil se coucher. Jyreese s’excusa pour cette accélération imprévue mais elle osa à peine répondre, comme si ouvrir la bouche signifiait leur perte. Il lui aurait proposé de redescendre bien tranquillement qu’elle aurait été incapable de dire oui même si elle en avait eu envie. Un petit tour et elle se retrouvait des années auparavant, en gamine si terrifiée qu’elle était incapable d’appeler à l’aide. C’était ridicule. Réalisant que sa crispation l’avait empêchée de respirer, elle ordonna à son ventre de se gonfler et de se vider. Respirer l’aida un peu à se détendre. Un peu. Suffisamment pour tenter de répondre à Jyreese qui semblait vouloir essayer de la rassurer en la prévenant à l’avance de tout ce qu’il entreprenait. Sa gorge était sèche et les mots eurent du mal à sortir mais elle les y força.

— Ok…

Ils ne volaient pas très haut, ni très vite. Pourtant, l’enthousiasme de Jyreese la laissait penser que sans sa présence, il aurait sans doute poussé un peu plus le véhicule, et qu’elle était la seule chose qu’il le retenait. Le regard fixé droit devant elle, Nova s’efforça d’embrasser le paysage qui défilait à un rythme régulier. De là haut, même si ce n’était que de quelques mètres, tout semblait encore plus impressionnant. Le fait qu’ils soient sur une vraie planète lui sautait d’autant plus aux yeux et après un petit moment, elle finit par se laisser aller dans son siège. Nova se surprit même à sourire et, doucement, son cœur sembla se remettre à la bonne place dans sa cage thoracique.

En fait, voler n’était pas si désagréable quand le pilote savait y faire. Et Jyreese savait y faire. En fait, voler n’était pas si désagréable tant que Nova n’était pas en charge de la navigation. Car, à bien regarder, n’importe qui aurait su mieux se débrouiller qu’elle. Quand il lui redemanda si ça allait, Nova se sentait déjà plus à l’aise pour que sa voix n’ait pas l’air de sortir d’un tuyau rouillé à moitié étranglé.

— Ça va !

Elle se tourna vers lui et lui sourit pour le rassurer autant lui qu’elle-même. Ça allait même très bien. Elle relâcha ses accoudoirs et se laissa aller au frisson de la vitesse.

— On dirait bien qu’il est réparé alors !

Nouveau sourire. Jyreese était bien plus qu’un simple mécanicien imprudent. « Homme à tout faire » qu’il avait dit ? Oui, il y avait de ça. Réparer des véhicules, piloter… si elle devait se retrouver perdue dans l’espace, Nova aurait été rassurée de le savoir avec elle. Un changement d’opinion radical mais mérité. Jusque là, il ne cessait de l’impressionner.

Ses mains retrouvèrent le chemin des accoudoirs en entendant Jyreese prévenir de l’élévation imminente du vaisseau mais la transition fut bien plus douce que ce qu’elle craignait. Le paysage s’agrandit sous ses yeux et prit une ampleur à couper le souffle. La poussée du moteur, en revanche, accentua le poids de la gravité sur son corps et elle grimaça jusqu’à ce que le véhicule se stabilise dans un vol stationnaire. De là où ils étaient, Jyreese et Nova avait une superbe vue sur le désert bybliens. Le soleil tapait au point que le sable semblait briller et s’il n’y avait pas eu la vitre probablement pensée pour cet usage, la brune aurait sans doute souffert de la réverbération. Avec la luminosité maîtrisée, elle pouvait profiter de la grandeur de la vue sans plisser des yeux ou grimacer. Au bout d’un moment, son compagnon de voyage reprit la parole. Elle croisa son regard, ne comprenant pas bien où il voulait aller de prime abord. Le blond retourna les yeux vers le paysage et elle l’imita.

— Moi aussi…

Souffla-t-elle, le menton planté dans la paume de sa main, les yeux tournés résolument vers le paysage. Toute cette terre à portée de vue… Cependant Nova n’était pas naïve au point de penser qu’une planète comme Byblos était plus propice à la vie humaine que l’espace. Certes ici aucune brèche ne risquait de faire disparaitre tout l’air et les tuer, aucun défaut de pressurisation ne risquait de les précipiter dans le néant glacé du cosmos et les tuer, aucune erreur de navigation ne risquait de précipiter deux lieux de vie l’un contre l’autre et les tuer… mais cela ne signifiait pas pour autant que la vie était possible sur un caillou comme celui-ci. Pas pour une Stellarienne comme elle en tout cas. La gravité était trop forte, trop pénible. Tout comma la chaleur de Gattaca qui lui pesait et l’avait rendu malade depuis l’arrivée de la délégation. Et toute cette étendue de terre qui s’étirait devant elle lui donnait parfois la nausée à elle qui n’avait jamais connu que les endroits clos et fermés.

— Mais on finirait par ne plus voir la beauté du paysage si on l’avait tous les jours.

Nova se redressa sans pourtant quitter le désert du regard. Comment pouvait-on être lassé de l’espace ? La planète était belle, certes, mais pas autant que le cosmos et ses merveilles… Elle se redressa pour tourner le regard vers Jyreese.

— Et puis, l’espace n’est pas si mal. La vie sur la Flotte est quand même plus confortable qu’ici.

Sans comparaison possible d’ailleurs. Nova n’avait connu que l’espace toute sa vie. Avec Byblos, c’était la première fois qu’elle posait les pieds sur une planète véritable, avec une vraie gravité et un air qui n’avait pas été recyclé dieu seul sait combien de fois. L’ivresse de la découverte était là mais… elle avait aussi le mal du pays et attendait avec impatience de retrouver sa maison, sa famille et ses amis.

— La Flotte me manque.

Confia-t-elle d’une petite voix sans oser regarder dans sa direction. Aucune idée de ce qui la poussait à se confier comme ça. Jyreese ne semblait pas autant apprécier l’espace qu’elle et la brune ne voulait pas qu’il se sente obligé de dire quelque chose alors qu’ils ne partageaient pas le même avis. Elle risqua un petit regard embarrassé vers le pilote avant de changer de sujet.

— Nous serons bientôt sur Qiang de toute manière… La planète sera plus habitable que Byblos. C’est beau ici mais…

Comment pourrait-elle le dire ?

— Hm… ce n’est pas très accueillant…

Ah l’asthme ! Nova n’était donc pas la seule à avoir été acceptée parmi la délégation malgré quelques faiblesses dans ses poumons. Pour être parfaitement honnête, elle pensait vraiment voir sa candidature déclinée à cause de sa santé lorsqu’elle avait postulé. Ses poumons lui avaient toujours compliqué la vie, la brune avait pensé que la règle se vérifierait une nouvelle fois. Mais quelqu’un avait dû penser que les risques n’étaient pas aussi élevés que sur une planète de glace puisqu’elle s’était retrouvée embarquée sur Byblos parmi la toute première délégation stellarienne. Enfin, c’est qu’elle avait cru jusqu’à apprendre que Jyreese souffrait de la même affliction qu’elle. Peut-être que le responsable des affectations était juste inconscient. Ils seraient beaux tiens si deux des représentants de la Fédération sur Byblos s’effondraient un beau jour pour s’étouffer par Terre. Enfin, les Bybliens ne devaient pas s’attendre à beaucoup de leur part vu le pâle spectacle qu’ils avaient offert le jour de leur arrivée.

Elle hocha du cap, partageant les espoirs du mécanicien quant à la prochaine planète qu’ils visiteraient. Ce n’était pas que Byblos était horrible, mais tomber sur une planète ou chaque pas ne serait pas une épreuve et sur laquelle il ne perdait pas 10% de leur réserve d’eau toutes les heures serait une amélioration non négligeable. Nova se renfonça dans son fauteuil pendant que le véhicule perdait de l’altitude, laissant ses yeux savourer le paysage tant qu’ils le pouvaient. Elle attendit bien sagement que le pack de métal se soit arrêté pour défaire sa sécurité et se relever. Elle secoua la tête avec un sourire pour rassurer le pilote qui semblait prendre à cœur son confort de vol. Le pauvre n’avait pas idée qu’il était de loin bien meilleur pilote qu’elle ne le serait jamais. À côté d’elle, n’importe quel vol prenait des airs de procession céleste. Jyreese continua sur sa lancée, établissant un contact visuel que la jeune femme n’avait pas l’habitude de soutenir et la faisant rosir inconsciemment. Ses mots la ravissaient. Ils lui donnaient l’impression d’être quelqu’un d’appréciable. Elle avait d’autant plus honte de son attitude première vis-à-vis de lui. Alors quand il lui avoua qu’il était content d’avoir passé un moment avec elle et qu’il attendait de remettre ça, elle tomba des nues.

— Hm. Oui. Bien sûr…

Son pied droit joua maladroitement avec de la poussière imaginaire et elle se focalisa dessus le temps de se donner une contenance. Ce n’était pas tous les jours qu’on formulait clairement un désir de passer du temps en sa compagnie. Nova ne savait pas quelle attitude adopter et comment réagir face à une demande aussi directe et honnête. Elle était flattée d’une part mais aussi un peu apeurée. Les préjugés avaient la peau dure et malgré elle des craintes injustifiées empoisonnèrent ses pensées. La brune était bien contente que Jyreese soit trop occupé à rassembler son matériel pour contempler la gêne qui s’invitait sur son visage. Une partie d’elle prêtait des intentions au mécanicien dignes des pires romans d’horreur qu’il lui arrivait de lire, une autre se flagellait de les avoir. Même si son instinct de poule mouillée lui criait de faire des fausses promesses et de ne jamais les tenir, l’autre ne pouvait pas s’empêcher de repenser au vol qu’ils venaient de faire. Rien dans la facette qu’il lui avait montré ne lui donnait matière à croire qu’elle avait à craindre de l’ancien bagnard. Elle était puérile à penser de cette manière.

— Ce serait avec plaisir.

Ajouta-t-elle finalement avec plus de facilité. Jyreese lui avait montré qu’il n’avait rien du portrait digne du Croquemitaine que son imagination lui avait prêté. Il avait l’air honnête et peut-être un peu triste. Même si elle n’était pas bien certaine de la raison pour laquelle il voulait parler avec et la revoir – alors qu’il découvrirait bien vite qu’elle n’avait pas la moindre discussion et qu’elle était un bien pâle personnage –, elle était contente qu’il en ait envie et qu’il s’intéresse à elle. Assez pour lui accorder cette simple demande qu’elle devait s’estimer heureuse de recevoir. Elle se sentit un peu bête à rester plantée là comme un piquet, presque à attendre la confirmation du pilote qu’ils se verraient de nouveau et recula de quelques pas pour se donner une contenance, cherchant du regard une issue qui lui permettrait de partir avec un peu de dignité. Son regard tomba sur le tas de carton qu’elle avait laissés en accourant à son secours de l’autre côté de la vitre du véhicule et y trouva ce qu’elle cherchait. Rougissant un peu, elle passa une main dans ses cheveux avant de désigner l’assemblage du doigt.

— Bon… euh… Et bien moi je vais aller… rapporter ça…

Fuyons mes amis, fuyons pendant qu’on s’en sort encore peu ou prou correctement. Nova commença à reculer avant de se retourner vers Jyreese en recevant un rappel des bonnes manières par un flash de conscience.

— À plus.

« À plus ». À. plus. Nova se fendit d’un grand sourire pour cacher sa détresse face à son incapacité pathologique à se comporter en société. Elle chargea les cartons et s’éloigna d’un bon pas, droite et raide, pour cacher son visage brûlant d’embarras.