Les restes de l'avant-poste.
Delaani & Rhil

L’astronome renverse sa tête en arrière, laissant retomber ses cheveux blonds dans sa nuque, et remonter son regard jusqu’au ciel, au-delà de l’ascenseur, au-delà de l’Hypatia. Sirius rayonne dans les vastes nuances d’un parme cotonneux. Pour exactement la deuxième fois en trois jours, Rhil s’accorde une bonne minute pour observer la danse du soleil, familier à force de tourner autour de ses données, en boucle, depuis plusieurs mois. S’il n’avait tenu qu’à lui, il serait resté à observer la révolution de l’astre toute la journée, et les nuits qui n’en étaient pas, prenant des notes sans regarder son terminal, juste charmé par la beauté du système solaire qu’il découvrait de ses propres yeux.
Il n’avait pas eu beaucoup de temps pour rester, catatonique, face aux hublots. Les analyses, au retour de Yourke, coïncident parfaitement avec les vieux rapports qu’il a appris par coeur, au mot, au chiffre près. Il tutoyait Sirius, mais n’avait pas encore eu le temps de faire les présentations convenables. Il avait pourtant fait partie des premiers à avoir l’honneur à respirer Qiang, à y mettre les pieds, à contempler l’horizon rougeoyant de ses propres yeux - le genre de souvenir dont on parle une fois grand-père centenaire, et qui est un peu flou, parce que votre coeur était occupé à battre la chamade, votre bouche desséchée comme Byblos, tandis que vos poumons sont les seuls à encore penser à faire leur boulot en essayant de s’acclimater au nouvel oxygène délicatement terraformé pour vous. Comme si traverser l’espace en supraluminique ne suffisait pas à son bonheur ( légère frustration, malgré la prouesse technique, scientifique, et le fait de poser pied sur Qiang de son vivant : entrer dans le nouveau système par la petite porte… le voir se déployer sous ses yeux… Fantasme. Le scientifique ne s’était pas fait d’illusion.).

A sa gauche, il entend clairement Esmai fredonner dans sa barbe et Rhil lui jette un regard amusé, tandis qu’ils progressent dans le climat tropical. Une kellarienne avec qui Rhil n’avait pas encore eu le temps de parler les accompagnait, et surtout Delaani, avec il avait déjà pu travaillé, sur la flotte - il était plutôt content du sort qu’il avait tiré. La jeune femme faisait clairement partie de son top 3 pour devenir chef… des personnes avec qui il aurait eu envie de farfouiller “- Exactement là où ils sont supposés être.” Le regard est sémillant derrière ses lunettes, le sourire canaille d’un gosse le jour de son baptême stellarien, le même indécrottable depuis trois jours, il en aurait des rides cachée sous la barbe. Il aurait grandit là, il aurait passé ses journées à observer les mouvements de la couche d’ozone rosâtre, et à galoper entre les fougères carmins, à rêver d’ailleurs, d’étoiles, de flotte rebelle, de voyage éternel au milieu de l’espace. Byblos avait été une phase intéressante, mais sa curiosité avait été vite étanchée. Sa soif de découverte ne s’étancherait pas - il avait besoin de repousser les limites de l’espace. Mais mettre sur pied la colonisation de Qiang, surtout, la découverte de son système et éco-système ? Il en était jusqu’au bout. Il adresse un signe de tête à ses camarades, nonchalant, camouflant à peine l'enthousiasme qui pétille dans ses yeux : “ - QG scientifique, ou avant-poste d’habitation d’abord ? ” L’un long terme, l’autre court terme. L’un avec ses capteurs et ses antennes, l’autre, les ancêtres des abris avec lesquels d’autres bataillent à l’heure qu’il était. Il avait presque 40 ans, et la pression de se rendre utile, de prouver qu’il avait sa place ici outrepassait son envie d’exploration, de fouine, même si Rhil s’approche avec intérêt de la porte de l’avant-poste, tranquille. Il commençait à avoir les pieds sur terre, l’astronome.

- BLACK PUMPKIN

La chanson d’Esmai ne cessait de titiller un souvenir enfoui bien au chaud de son hippocampe. L’opératrice était incapable de dire si elle la connaissait et n’arrivait pas à replacer ni titre ni parole ou si l’imagination de l’électromécanicien la façonnait à mesure qu’il la fredonnait en s’appuyant sur une rythmique qui lui rappelait vaguement une autre chanson. Le problème était important pour sa santé mentale et, bien malgré elle, la distrayait de tout le chemin qu’il fallait parcourir depuis l’Hypatia jusqu’aux camps des derniers résidents temporaires de Qiang. Non pas qu’elle ne s’intéresse pas à la planète – elle n’aurait pas été là si c’était le cas – mais il y avait quelque chose d’excessivement agaçant dans le fait de ne pas savoir qui gardait son esprit focalisé sur le timbre de son coéquipier plutôt que sur les paysages qui s’étendaient autour d’elle dans un camaïeu de rouge, et de vert dans une moindre mesure.

La voix de Rhil la tira de ses vaines tentatives de chanter des vieilles chansons dans sa tête pour comparer leurs airs à celui d’Esmai. Delaani redressa la tête pour regarder les restes du camp et tomba sur le regard pétillant de l’astronome. À force de partir avec lui en mission, la brune commençait à se familiariser avec son enthousiasme débordant pour tout ce qui avait trait à la nouveauté de la découverte et de l’exploration. S’il faisait du blond un collègue entreprenant et motivé avec qui elle appréciait de travailler, elle savait qu’il pouvait aussi parfois le mettre en danger. Elle comptait beaucoup sur son envie de bien faire pour que la mission se passe dans les meilleures conditions. Personne n’avait envie d’être la raison de l’échec de la mission d’exploration… Quant à savoir par où ils allaient commencer, la question était plutôt facile à trancher.

— Avant poste ?

Affirma-t-elle plus qu’elle ne demanda aux deux autres sur le ton de l’évidence en leur jetant un regard l’un après l’autre. Ils avaient déjà tout le matériel dont ils pourraient avoir besoin pour le moment et même si rien ne les protégeait d’un disfonctionnement ou d’une avarie, ils pourraient toujours aller récupérer de quoi réparer tout ça plus tard. En revanche, si leur sécurité était compromise, mieux valait qu’ils aient de quoi y remédier sous la main le plus vite possible. Et puis de toute manière, Rhil s’était déjà engagé vers la porte. La brune s’assura que personne n’avait d’objection avant de rejoindre l’astronome d’un pas rapide qui s’en allait déjà vers les vieilles infrastructures. Elles étaient fermées – paranoïa ou besoin de bien faire de la part de leurs anciens locataires – et par acquis de conscience, Delaani tapota le boitier qui ne devait pas être là dans le seul but de faire joli, mais sans grand succès. Question de courant ou vétusté ? Ses connaissances ne couvraient pas ce sujet mais elle avisa qu’en s’y mettant à plusieurs, ils pouvaient peut-être réussir à faire bouger le pan de métal et puis sinon… il lui semblait qu’Esmai faisait des trucs de mécanicien, c’était du moins ce qu’elle avait compris pendant le temps le temps qu’ils avaient tous passés les uns avec les autres pour se préparer à leur temps sur Qiang.

— On force comme des bourrins ou on cherche une autre entrée en croisant les doigts pour qu’ils n’aient pas tout fermé à clef en partant ?

Demanda-t-elle en se retournant vers ses coéquipiers.

— Sauf si tu penses pouvoir faire quelque chose pour la porte, Esmai…

Les restes de l'avant-poste.
Delaani & Rhil

Rhil s’écarte de la porte, lorsque le battant de métal ne donne pas de jeu sous ses doigts. Son pouce fait tourner l’une de ses bagues autour de ses doigts, tandis qu’il observe Delaani ne pas avoir plus de talent que lui. Il sent un peu de l’appréhension qui l’avait saisi en sentant la résistance s’évaporer sous Sirius. Ce n’est pas une erreur de tirer, pousser, coulisser vers le haut ou le côté - c’est juste fermé. Est-ce qu’il allait faire foirer la mission parce qu’il n’arrivait pas à ouvrir une porte ? ” Logiquement, ça veut dire qu’ils ont laissé du matériel.” acquiesce le scientifique, se reculant un peu pour observer l’infrastructure. Vétuste, le métal s’est visiblement pris les éléments et la faune locale, mais il tient toujours d’aplomb. Possible que les anciens explorateurs aient simplement fermé la porte par habitude ou acquis de conscience. “- Il ne doit plus y avoir d’éléctricité…” murmure doucement Roxanne, et Rhil lui jette un coup d’oeil - oui, ou ça. “- Je vais faire le tour.” averti Rhil, tandis qu’il entend répondre à Delaani sur un ton faussement outré - pour qui le prenait-on ? Cela fait sourire l’astronome, malgré une légère jalousie. C’était idiot, pour l’enfant des étoiles privilégié, qui n’avait jamais eu à se battre pour quoique ce soit ( exception : sa vie dans l’arène, son classement dans sa promotion, sa place ici, son addiction ) mais il aurait bien aimé savoir faire ça. A la place il était ce qu’il était, et apparemment, son statut de scientifique était ce qui l’avait amené ici et il était utile. Ils étaient arrivés à bon port, après tout.

Il pourrait attendre sur place que Esmai réussisse à ouvrir la porte, mais il est ce qu’il est : impatient et sans repos. Le métal chauffé sans répit est brûlant sous ses doigts tandis qu’il effleure la surface du bâtiment, en faisant lentement le tour, curieux. Les feuilles rougeâtres effleurent ses jambes, mais il porte toujours son regard vers les hauteurs. Pas de porte secondaire pour l’instant, mais il y a bien un accès en hauteur, de forme carré, les commissures de la fenêtre servant à encastrer le volet métallique. Clos. Il a grimpé toute sa vie dans les coursives - la seule différence c’est que le ciel n’est pas une simulation et que le lierre qui s’effrite sous ses doigts ne porte pas de chlorophylle terrienne en lui. L’escalade est facile, mais même si rien ne menaçait les colons de l’époque, le pan de métal renâcle à se déplacer - il parvient à le faire coulisser d’une dizane de centimètres avant que cela ne bloque, et s’acharner ne sert à rien à part à faire grincer le métal. “- Par les astres…” La lumière danse dans la nouvelle lucarne et Rhil y jette un coup d’oeil avant de redescendre précautionneusement - lentement, n’importe quelle chute, même d’un tabouret risque de lui casser un os et on ne voudrait pas cela, n’est-ce pas ? Il revient, s’essuyant les mains pleines de rouilles et de lierre effrité sur le pantalon de son uniforme. “- Il y a une fenêtre, entrouverte, un étage."  indique l’astronome avec un signe de tête envers Esmai devant le boîtier qui a repris des couleurs pendant son absence, mais Rhil a perdu le fil du temps - le suintement de la porte est poussiéreux, autant qu’un son peut l’être, mais l’intérieur plongé dans la pénombre et les ombres du matériel s’ouvrent devant eux. Il siffle doucement, admiratif. “- Bien joué.”

- BLACK PUMPKIN