Am On ne va pas se mentir, la déception de voir Priya Mugheri l’emporter sur Zafy est toujours aussi amère, même presqu’un an plus tard. Les ambitions de l'ingénieur étaient les mêmes que celles du concepteur et il aurait adoré voir la Fédération voguer sous un nouveau pavillon qui les propulse toujours plus loin vers l'inconnu. Savoir qu’ils auraient pu découvrir de nouvelles étoiles et de nouvelles planètes est une frustration permanente. Qiang n'est qu'une maigre consolation. Il a passé plus de temps dans le vide sidéral qu'à la surface de la Terre et, s'il fallait choisir, il préférerait rester dans l'espace. Au moins, la demande pour de nouveaux modules spécialement conçus pour la mission lui demande tout son temps et rien ni personne ne saurait le faire quitter le bureau lorsqu’il est lancé.

StramDe son enfance, il n’y a pas grand chose à dire. Il en garde de bons souvenirs mais quand s’est présentée la possibilité de partir et découvrir de nouveaux horizons, il n’a pas tergiversé mille ans. Sa cousine Meg dirait qu’il a juste pris la barque en route mais l’envie d’explorer et de découvrir de nouvelles choses y était pour beaucoup. Si on lui demandait directement, Ulysse ne se dirait pas ambitieux, mais ça ne l’empêche pas de rêver d’avoir son nom dans les pages de l’histoire, même en tout petits caractères, et de pouvoir dire qu’il y a été pour quelque chose. Qu’il faisait partie de ceux qui ont fait quelque chose, qui ont été les premiers, qui ont vu de l’or là où les autres voyaient de la boue – euh… ouais, ça il l’a entendu dans un film… Mais l’idée est là. Déjà sur Terre, la Fédération le faisait rêver, même s’ils n’étaient qu’une minorité dans sa famille à penser de cette façon. Tout le monde rêvait à cette terre ancestrale qu’ils avaient dû fuir et à ce que ça demanderait pour se refaire une vie, des traditions. Lui s’en fichait de ce bout de poussière avalé par les eaux qu’il n’avait jamais connu qu’à travers de vieux films et des photos. Ce qui le faisait rêver, c’était ce qu’il n’avait jamais vu. Et c’est toujours le cas aujourd’hui.

Gram Arrivé comme simple soudeur en apprentissage sur la Flotte, Ulysse a su profiter de l’enseignement dispensé au sein de la Fédération. Pas le plus appliqué des élèves – et de loin –, il a réussi à se débrouiller pour finir à la conception de modules spatiaux grâce à son enthousiasme constant et sa volonté de contribuer au rêve sidéral. Refusant d’imiter ce qui a déjà été fait, le concepteur est plutôt du genre à aller voir les premiers concernés et leur demander leur avis sur les appareils qu’ils utilisent. Qu’est-ce qu’il manque ? Qu’est-ce qui ne sert à rien ? Qu’est-ce qui gène ? font partie des premières questions de son questionnaire pratique en comprenant cent-vingt-et-un. On ne peut pas dire que l'organisation et la patience le caractérise, mais quand on en vient à discuter avec des gens, parler de travail, d'espace ou de nouveauté, c'est une autre affaire. C'est juste qu'il aime bien discuter avec les gens, et c'est aussi en partie pour ça qu'il s'est porté volontaire pendant quelques années pour être parrain des nouveaux arrivants, quand il avait une belle femme à impressionner par son investissement et sa sociabilité.

Pic et Pic Il y a eu un moment où son travail ne faisait pas toute sa vie. Quand il a rencontré Estia, une jeune assistante ambitieuse, qui Dieu seul sait ce qu’elle a vu en lui. Ils sont restés ensemble presque dix ans et ont eu un fils, Timoti, mais qu’Ulysse sacrifie une bonne partie de son temps libre en heures supplémentaires sans vouloir évoluer plus loin a fini par lasser la belle. Le fils dont il partage la garde semble être un sujet de dispute inépuisable pour Estia qui saisit n’importe quel prétexte – un repas pris au distributeur, une nuit passée dans l’atelier à dormir sur deux chaises, un retard à l’école – pour lui sauter au cou. Pourtant, ça n’a pas l’air de déranger le principal intéressé, et c’est tout ce qui importe à Ulysse, même s’il se passerait bien de ces délicieux moments qu’elle passe à le houspiller comme une furie.

Et Colegram D’aussi loin qu’il se souvienne, cousine Megumi a toujours été là, pas loin, prête à en découdre pour lui, à prendre sa défense ou à l’emmener danser jusqu’au petit matin, à l’écouter parler, douter, à lui filer des coups de pieds au cul quand elle en avait marre de l’entendre chouïner… C’est grâce à elle qu’Ulysse s’est retrouvé sur la Flotte. Âgée de cinq ans de plus que lui, elle n’avait eu aucun mal à rejoindre la Fédération. Meg l’a convaincu d’envoyer une demande d’apprentissage et, la connaissant, elle a dû être sur le dos des Ressources humaines de la réception du dossier à la signature du contrat. C’est aussi elle qui a juré sur sa vie à Maman Waiwiri qu’il n’arriverait rien à son rejeton. Il lui a largement retourné son attention en la ramenant chez elle après des soirées dignes d'entrer dans la légende, en faisant tampon entre son caractère de putois et le reste du monde ou encore en négociant en sa faveur auprès de toutes les personnes qu'elle a réussi à froisser. Et même s’ils ont leurs vies respectives aujourd’hui, les deux cousins sont restés très proches et espèrent tous les deux faire partie de la mission qui emmènera leur deuxième maison sur Qiang.

Bourre et bourre Bon, Ulysse n’est pas non plus un robot qui ne vit que pour le travail. Comme pendant ses études à l’Académie, il lui arrive de tout lâcher pour aller se détendre, rejoindre des amis dans un des bars du Tiangtang, boire une xangji fraiche, se faire une double-ration d’un bon repas, jouer aux fléchettes ou rejoindre Meg pour une dance battle dans une boite de nuit. Une de ses activités préférées, d’ailleurs, c’est que – selon lui – il a des mouvements divins que le reste de l’humanité lui jalouse. Un certain manque de jugement et un sens de l’humour en acier trempé lui permettent de survivre au quotidien. Mh. Ça doit être ça.

Et Ratatam Même s’il serait incapable de voir si sa tête est digne d’un méchant de film d’horreur ou non à cause de sa vue digne d’une taupe, ça n’empêche pas Ulysse de complexer un peu parfois sur ses traits qui se détendent ou son ventre un peu mou. Ni de râler contre son dos en piteux état qui lui vaut des sciatiques récurrentes. Des accès de coquetterie rares qu’il ne fait rien pour satisfaire – ni sport, ni achat de crème, ni même une simple opération des yeux qui pourrait le débarrasser de ses lunettes – par manque de temps, et surtout d’envie.