Ils étaient venus dans un endroit incroyable à n’en pas douter.

Rien ne ressemblait à la flotte. Ni de près. Ni de loin. Il y avait une chaleur écrasante qui l’avait mise au tapis à peine arrivée. Il lui avait fallu un petit moment pour passer au delà de l’impossibilité de se mouvoir dans un tel environnement. Mais son envie d’être ici avait fini par aller au dessus de tout malaise et très vite elle était sortie. Elle était parmi la délégation en tant qu’ingénieur et s’occupait du projet de terraformation. Après plusieurs heures à avoir aidé des locaux en peine et noué quelques liens, Aileas s’était éloignée de son groupe de travail dans l’espoir de trouver ses amis. Akum et Nova étaient aussi de la partie, et Aileas avait apprécié être entourée de visages aimés pour partager cette expérience.

On lui annonca que ses amis étaient dans l’oasis le plus proche, et elle décida de les rejoindre, offrant au passage ses services, et rejoignant l’espace d’un moment l’équipe de ses amis. L’homme qui la mena jusqu’à eux accepta avec un sourire et l’amena rapidement jusqu’à l’endroit nommé. Alors qu’ils traversaient les espaces immenses et que les yeux de la demoiselle se perdaient à travers la vitre du véhicule, il lui raconta les secrets de Byblos. Elle écoutait fascinée et ne pouvait s’empêcher de l’assomer de questions.

Arrivée enfin sur place, elle entreprit de rejoindre Akum et Nova, affairés à leurs tâches respectives. Echangeant quelques remarques rapides avec eux, elle se mit ensuite à s’affairer à leurs côtés. Une heure bien entamée défila ainsi, au rythme des gestes d’empaquetement des possessions des bybliens, qu’il fallait mettre à l’abri, en prévision des températures extrèmes dues au soleil puissant. Quand un des gars annonca soudain qu’il était temps de partir, son sismographe ayant repéré une activité intense dans le sol, tout le monde décida de se mettre à l’abri. On entassa tout à l’arrière des véhicules. Ils avaient encore du temps devant eux mais il valait mieux ne pas prendre de risque.

Ses amis n’étaient pas là. On lui signala qu’ils n’étaient montés dans aucun véhicule mais on lui montra la direction qu’ils avaient pris. Lâchant tout ce qu’elle faisait, Aileas décida d’aller les prévenir. Après tout peut-être n’avaient-ils pas entendu les directives s’ils s’étaient éloignés. Sans perdre de temps, elle marcha vers eux, au milieu des édifices.

Elle les découvrit rapidement.

La première pensée et unique qui lui traversa l’esprit fut qu’ils s’étaient juste mis à l’écart pour s’embrasser, une pensée qui ne lui déplaisait pas, parce qu’elle s’était souvent dit qu’ils iraient ensemble tous les deux. Ce n’était pas faute d’avoir essayé de mener discrètement Akum à draguer Nova ou l’inverse, mais ils étaient restés amis, du moins de ce qu’elle en savait. Avaient-ils décidé de franchir le pas ? Après tout ce temps ca restait encore possible.

Sauf qu’ils ne semblaient pas spécialement en train de roucouler.

Elle plissa les yeux en les voyant soudain très gênés.

- Qu’est-ce que vous faites ?

On aurait pu penser qu’un premier séjour sur Byblos l’aurait immunisée contre les malaises dus à la chaleur et à la gravité différentes de ce qui se faisait sur la Flotte. On aurait pu croire qu’être déjà passée par les nausées, les suées et les vertiges rendraient les suivants faciles à endurer et plus rapides à passer. Mais on aurait tort. Le retour de Nova sur Byblos faisait bien pâle figure comparé à celui qu’elle avait imaginé, enjolivé par le souvenir romantique et nostalgique qu’elle avait de sa dernière venue. Elle qui soupirait après les couchers de soleil sur Oyera, les figues sanguines et l’eau-de-vie locale refaisait cruellement connaissance avec cette partie moins glamour des expéditions sur Byblos. La brune en venait à penser que son cerveau avait volontairement oublié cette partie de son premier voyage pour ne lui laisser que les souvenirs chamarrés et agréables.

Heureusement, elle n’était pas seule cette fois-ci pour affronter les désagréments du voyage. Aileas et Akum étaient de la partie, pour son plus grand plaisir de se plaindre. Et pour son plus grand plaisir tout court, aussi. Certes Nova était aux anges à l’idée de pouvoir retourner sur Byblos avec des amis, de pouvoir partager ce qu’elle savait de la planète et son enthousiasme à l’idée de fouler une vraie planète avec une vraie gravité et une vraie atmosphère, mais elle était encore plus ravie – sans vraiment l’admettre – d’avoir quelqu’un auprès de qui se plaindre. Elle n’avait pas pu le faire lors de la première excursion, faute de connaître les autres membres de la délégation et soucieuse de vouloir garder un air vaguement professionnel et digne. Mais avec Aileas et Akum, Nova n’avait besoin ni d’être digne ni d’être professionnelle puisqu’ils avaient sûrement vu depuis longtemps le pire d’elle. Ce qui lui permettait une économie d’énergie faramineuse en évitant de faire semblant.

Sans compter qu’elle était aussi venue avec un plan, et qu’elle avait un allié de taille cette fois pour ne pas avoir à tout faire toute seule. Il faut croire que des semaines de culpabilité et de mensonges ne lui avait pas suffit, Nova avait l’intention de refaire ses stocks de graines. Histoire d’expérimenter… Entre autres… Et elle avait Akum dans son équipe pour lui donner un coup de main cette fois-ci. Il aimait venir croquer les plantes dans sa cabine, et elle lui avait promis de nouveaux sujets après une visite dans une nouvelle serre. Nova avait guetté le bon moment, la bonne mission pour faire un saut impromptu, et le moment était finalement arrivé. Aileas travaillait non loin, occupée comme les autres à passer des paquets à empiler les uns sur les autres dans un véhicule de transport, mais tout le monde avait les mains prises. Le moment parfait pour s’esquiver. Discrètement, elle alla se poster à côté d’Akum et lui fit comprendre par un habile jeu de regard qu’il était temps. Quand il comprit son manège, Akum et elle se détachèrent de l’équipe en prétextant devoir remplir leurs bouteilles d’eau et s’éloignèrent tranquillement avant de changer de cap pour entrer dans une réserve. Nova s’approcha des étagères en sentant son cœur se gonfler et dévora les étiquettes des yeux, à la recherche des noms qui l’intéressaient.

— Hiii ! Regarde tout ce qu’il y a !

S’extasia-t-elle en secouant Akum par le bras avant de se pencher de nouveau vers les étagères pour en trier le contenu et commencer à réfléchir à ce qu’elle allait emmener. La porte de la réserve claqua derrière eux et Nova se retourna comme une gamine prise en faute. (Ce qui n’était pas très éloigné de la vérité.) Sauf que ce n’était pas un local, mais seulement Aileas. Enfin “seulement”… c’était à la fois une bonne et une mauvaise chose. Bonne parce que ce n’était pas quelqu’un pour leur faire des ennuis, mauvaise parce que… Aileas n’était au courant de rien.

— Aaahh… euuuh… rien…

Si elle avait pu avoir l’air encore moins sûre d’elle, ça aurait été trop. Avec ça, ils étaient foutus.

— On s’embrassait.

Nova manqua de s’étouffer en respirant. Elle tourna le regard vers son comparse qui venait de sortir le plus gros mensonge imaginable.

— Euh…

— Oui, fougueusement, même.

— Quoi ?

Nova lui jeta un regard effaré.

— Mais on s’est dit que si quelqu’un nous interrompait c’est que ça pourrait pas marcher entre nous. Le destin tout ça.

Tout ça sans la moindre hésitation. Elle devait au moins lui reconnaitre un certain talent d’acteur. Mais quand c’était à son tour de sortir la bonne réplique, c’était la panique complète…

— … Euh… je…

— Aileas, tu es la seule responsable de cet échec de couple en devenir.

— C’est peut-être aller un peu fort…

Fit-elle remarquer, le regard encore perdu avant de lever les yeux, toute penaude, vers son amie. Pour être déjà passée par là, Nova était à présent certaine que l’accumulation de mensonges n’était pas vraiment la meilleure stratégie à appliquer… mais elle faisait entièrement confiance à Akum. Elle était certaine qu’il était le meilleur à même de gérer ça, mais s’il prenait étrangement le chemin le plus abracadabrant pour cela…

Malgré la chaleur étouffante, malgré la lourdeur présente dans chacun de ses membres à cause de la gravité de Byblos, bien différente que celle de la flotte et malgré les nausées et autres malaises, Akum ne pouvait être plus heureux qu'en étant ici. Fouler le sol d'une véritable planète avait longtemps été son rêve, tant il souhaitait s'échapper un peu de la morne flotte sur laquelle il avait grandi. Or, Byblos tenait toutes ses promesses. Sa palette de couleur ne ressemblait en rien à celle de la flotte, son climat dépaysant le rendait fou de joie et les us et coutumes locales, bien que proches des leurs, avaient suffisamment d'originalité pour piquer à vif la curiosité du secouriste qui s'efforçait de tout apprendre, de tout savoir au sujet des Bybliens.

Cependant, ce qui l'emmenait au comble de la satisfaction était bien entendu les superbes paysages et illustrations qu'il avait déjà commencé à faire pour l'occasion, sur chacun de ses maigres temps de pause, bien décidé à revenir avec un dossier complet sur tout ce qu'il avait vu à Byblos, afin de le partager avec ceux de la flotte qui ne pouvaient pas ou avaient peur de se rendre sur la planète. Bien entendu, il n'était pas venu seul ici, accompagné par les deux femmes les plus importantes de sa vie comme s'ils étaient simplement partis en vacances entre amis. À l'une d'entre elle, il aurait confié sa vie sans hésiter et c'est un peu ce qu'il faisait en la lui déroulant au fil de ses confessions. Pour l'autre, il aurait été prêt à servir de passeur illégal simplement pour lui faire plaisir et ô coïncidence, c'était aussi un peu pour ça qu'il était là, à se faire secouer le bras par la jeune maraîchère.

Les deux criminels étaient présentement dans une réserve, les yeux fixés sur des dizaines d'étiquettes indiquant la présence de graines tout à fait exotiques pour les deux stellariens qu'ils étaient, leur enthousiasme pas loin de crever le plafond. Cependant, alors qu'ils allaient entrer dans le vif du sujet et commencer leur récolte, la porte claqua soudainement derrière eux, provoquant un volte face synchronisé des deux jeunes adultes qui leur dévoila la présence de leur amie et non pas de la police locale. Il n'y avait pas de petite victoire.

Immédiatement, le cerveau d'Akum se mit à fonctionner à toute vitesse. Il aurait sans doute tout dit à Aileas bien plus tôt si ce secret avait été le sien. Il était difficile de cacher une partie de sa vie à la jeune femme, cependant ce secret n'était pas le sien et s'il avait plongé dedans avec un certain enthousiasme, il lui fallait à présent vivre avec les conséquences de la responsabilité qu'il avait prise. À savoir, mentir à Aileas pour protéger le secret de Nova. Un véritable écartèlement mental. Bien entendu, une seul question posée avec un brin de soupçon sembla suffire pour terrasser Nova, qui perdit globalement l'usage de son vocabulaire et déclencha des sirènes d'alarme un peu partout dans l'esprit du secouriste, qui lança la première chose qui lui passa pas la tête.

-On s'embrassait.

Il avait assené ça avec une conviction sans doute un peu trop forte, loin de sa nonchalance habituelle ou de son enthousiasme commun. Il regretta presque immédiatement de l'avoir dit, mais était certain que c'était la meilleure façon de détourner l'attention d'Aileas de ce qu'ils étaient en train de faire. En effet, Aileas avait déjà plus ou moins subtilement essayé de les pousser dans les bras l'un de l'autre et Akum savait qu'elle n'avait pas perdu toutes ses prétentions à ce sujet, aussi il n'hésita pas longtemps avant de pousser plus avant cette déclaration, insistant sur ce baiser imaginaire tout en lançant des regards à Nova pour essayer de l'encourager à lui porter assistance, ce qu'elle ne fit pas, bien entendu.

-Maaaaiiis, commença-t-il en s'avançant vers Aileas d'un pas tranquille, c'est pas grave ! La vie poursuit son cours et qui sait, peut-être qu'on trouvera notre bonheur ici à Byblos ! Déclara-t-il avant de glisser un bras autour des épaules de son amie pour la faire se retourner vers la sortie, faisant des signes dans son dos pour faire comprendre à Nova de prendre le plus de graines possible avant de les suivre. Et donc pourquoi tu étais là toi ?

Il se dit soudainement qu'il aurait simplement pu prétendre qu'ils étaient venu observer les différentes variété et graines qu'il y avait ici, de façon à pouvoir les dessiner plus tard ou s'en servir pour un rapport. Trop tard pour les bonnes idées, malheureusement.

Très proche d’Akum depuis de nombreuses années, il était devenu son meilleur ami, et évidemment tout naturellement, elle souhaitait qu’il finisse avec une personne qui serait parfaite pour lui. Okay il était encore jeune. Il n’avait pas peut-être pas vraiment envie de se poser. Aileas se montrait parfois trop entreprenante quand on parlait de lui, mais il lui semblait normal, qu’elle se soucie de lui trouver la perle rare. Une facon de faire assez gonflée de sa part étant donné que personne ne semblait l’obliger elle-même à se trouver un partenaire.

Mais elle passait outre. Nova était une fille encore mieux que bien. Aileas ne doutait pas qu’ils formeraient un parfait couple.

Ainsi lorsqu’Akum lui avoua qu’elle les avait interrompus en plein milieu d’un baiser, elle se mit à froncer les sourcils.

Qu’est-ce qui se passait entre eux ? Ils lui lancaient des messages opposés. Nova qui ne semblait plus où se mettre. Akum qui semblait sûr de lui. Ce qu’ils racontaient paraissait trop gros pour qu’elle y adhère, surtout qu’ils n’étaient pas du tout enlacés, et que pour se galocher, c’était quand même ennuyant. Et à la fois l’hésitation de Nova l’interpellait. D’accord la maraichère avait souvent cette réaction mais pas face à elle. Ce qui pouvait signifier qu’elle était effectivement en train de fricoter avec Akum.

Ce dernier venait de l’attraper par les épaules pour la diriger vers la sortie.

Ca aurait pu marcher si elle ne le connaissait pas aussi bien, et sans pouvoir dire s’il mentait vraiment, elle se doutait qu’il y avait un truc qu’ils ne voulaient pas montrer. Akum parlotait avec adresse. Il voulait l’amener loin de là. Aileas n’était pas dupe mais n’avait rien à rétorquer de pertinent.

- Vraiment….?

Elle se dégagea de l’emprise d’Akum en enlevant son bras de ses épaules, et se retournant à moitié, elle lança des regards de l’un à l’autre.

- Mouais quand même c’est un endroit un peu étrange pour….

Elle s’interrompit en se rappelant pourquoi elle était venue les voir.

- En fait….

Son expression jusqu’alors égarée devint soudain plus sérieuse.

- Vous me faites oublier le plus important ! Le sismographe a enregistré d’importantes secousses. Il faut partir là ! Ca va vite devenir le bordel. Tout le monde nous attend !

Elle avait haussé la voix en réalisant que ce n’était pas le moment de se perdre en discussions aussi futiles, même si elle ne les laissait pas totalement, et y reviendrait dès qu’ils seraient en meilleure posture pour en parler. Après tout si Akum avait vraiment embrassé Nova, il était normal d’en reparler, et surtout de pouvoir s’enthousiasmer sur le sujet. Elle était leur plus fervente admiratrice. En tant qu’amie spéciale dans le coeur de tous, ca aurait été bien impoli de la laisser hors de cette liaison. Mais pour l’instant ils avaient d’autres chats à fouetter, du genre remballer vite fait le matériel qui était le moins solide, reprendre la direction du reste de l’équipe, et quitter dare dare l’oasis pour se mettre à l’abri. Du doigt elle désigna l’intérieur de l’endroit où elle les avait rejoints.

- Y’a des trucs à ramener ?

Heureusement qu’Akum était là pour gérer la situation. Nova, elle, en aurait été totalement incapable. Mentir ne faisait pas vraiment partie de ses compétences. Petit mensonge et elle se mettait à sourire comme une idiote. Gros mensonge et elle perdait tous ses moyens. Si elle avait dû affronter Aileas toute seule – en partant du principe qu’elle ait une bonne raison de lui mentir, ce qui n’était pas si évident –, la brune se serait grillée toute seule à bégayer comme une idiote. Même si elle aurait pu trouver à redire sur le mensonge utilisé. Sachant les sous-entendus que faisait régulièrement Aileas comme si elle voulait les rapprocher, Nova n’était pas certaine que lui donner du grain à moudre soit très intelligent.

L’air parfaitement à l’aise, Akum s’éloigna vers leur amie pour l’envelopper de son bras et l’attirer plus loin en lui demandant pourquoi elle était venue à la base, la libérant de la pression du flagrant délit. Elle vit très bien la main du secouriste qui s’agitait dans son dos et comprit parfaitement le message. Gardant vaguement un œil sur le duo qui s’éloignait – au cas où –, Nova se retourna à moitié vers l’étagère et parcourut les étiquettes à la recherche de ce qu’elle était venue récupérer à la base. Le scepticisme dans la voix de son amie l’alerta et la brune se retourna pour lui faire face un quart de seconde avant qu’Aileas ne se débarrasse de la poigne d’Akum et se tourne vers elle. Plantée comme un piquet, les mains « innocemment » rangées dans son dos, la brune la fixa en espérant avoir l’air le moins coupable possible, songeant qu’elle avait vu pire comme endroit pour… faire ce qu’ils disaient être en train de faire. Si on s’y connaissait en anecdotes sur les végétaux, ce serait même parfait.

Mais bon, là n’était pas la question.

L’air sérieux apparaissant soudain sur le visage de son amie lui retira son angoisse vis-à-vis de leur mensonge. De nouvelles secousses s’en venaient vers eux. Assez importante pour qu’on évacue les gens sur place. C’était déjà un événement semblable qui avait retardé le retour de la première délégation la dernière fois. Les tremblements de terre de Byblos n’étaient pas une partie de rigolade. Mais l’angoisse la pinça un instant en entendant Aileas leur demander si elle pouvait l’aider à ramener des choses.

— Bah… c’est-à-dire que… euh…

Allez Nova, tu peux le faire, t’es une grande fille… tu peux t’exprimer quand même… La brune prit une grande inspiration et essaya d’avoir l’air cool et détendue.

— Non, laisse tomber, on reviendra, c’était pas important…

Elle chercha le regard d’Akum pour lui faire comprendre qu’elle avait l’intention de lâcher l’affaire pour cette fois avant de se retourner vers Aileas et la prendre par l’épaule pour la pousser vers la sortie.

— … on doit mettre les voiles, alors mettons les voiles.

Quelqu’un devrait bien remettre la serre en état si jamais elle était touchée par les secousses. Et si quelques paquets de graines venaient à manquer au moment de tout ranger, cela choquerait moins que s’ils disparaissaient en plein calme. Finalement, les secousses venaient peut-être à point nommé.

Malgré ses efforts, il apparu bien vite que Aileas restait très sceptique quant à sa déclaration première. Il pouvait la comprendre, elle avait déjà fait moult sous entendu et tentative plus ou moins subtiles pour les rapprocher, mais c'était seulement heurté à de l'amusement du côté du secouriste et sans doute une réaction du même type chez Nova, si celle-ci n'avait pas tout simplement opté pour la sourde oreille. Alors qu'il lui annonce de but en blanc qu'ils étaient en train de s'embrasser et qu'en prime elle venait de leur faire louper leur chance, il y avait peu de chance qu'elle y croit.

Son air plein de soupçons confirma d'ailleurs la théorie du secouriste qui essayait toujours de l’entraîner dehors avec lui alors qu'elle tâchait de se dégager de son bras. Il dû se résoudre à la lâcher en jetant un regard inquiet vers Nova, qui avait cependant eu la présence d'esprit de ne pas suivre ses mouvements l'encourageant à piquer des graines et était restée bien sagement là où elle était, avec l'expression de quelqu'un prit va prendre perpétuité sur le Lady Grace. Il aurait bien aimé la rassurer sur le fait que Aileas n'irait sans doute pas les dénoncer si jamais elle découvrait la vérité, mais ça n'était pas le moment, leur amie reprenait la parole pour leur annoncer la véritable raison de sa présence ici. Le regard d'Akum se fit soudainement bien plus intéressé.

-C'est vrai ?

L'excitation qui perçait dans sa voix était, pour le coup, sincère. Rien n'avait pu modérer la joie du secouriste d'atterrir sur une vraie planète, même l'écrasante chaleur et la terrible pression exercée sur son corps par la gravité. Il avait tellement rêvé de connaître ce que pouvait être la vie sur une vraie planète que l'idée de connaître son premier gros tremblement de terre l'enthousiasmait plus qu'il ne le devrait, faisant apparaître une expression rayonnante sur son visage, oubliant d'un coup le vol en cours et les excuses vaseuses qu'il avait réussi à trouver sur le vif.

Elle demanda s'il y avait des choses à ramener et Akum jeta un coup d’œil à Nova qui prit la parole la première, hésitante, avant de déclarer que non, il n'y avait rien à ramener. Aussitôt, il se dirigea d'un pas de gymnastique vers la sortie de la réserve, suivit de près par ses deux amies. Ils ne devaient pas avoir particulièrement beaucoup de temps pour se mettre à l'abri, sinon la voix d'Aileas n'aurait pas paru aussi urgente.

-Aileas, l'interpella-t-il d'un ton pressant, tu sais où es l'abri le plus proche ?

Il était pressé d'y arriver, non pas par peur, bien que l'idée de mourir englouti par une faille ne l'amusait pas spécialement, mais plus pour pouvoir profiter au maximum de l'expérience sans attendre. Il avait déjà un million de question à poser au premier scientifique qu'il croiserait et ne manquerait pas de harceler tous les géologues de la flotte lorsqu'ils seraient de retour à la station, de préférence le plus tard possible. Il regarda autour de lui, son instinct de secouriste reprenant malgré tout le dessus.

-Tout le monde a un endroit où s'abriter ? S'inquiéta-t-il, hésitant à faire un tour rapide des lieux pour voir si personne n'avait été laissé pendant une sieste ou autre.

Intervenir dans les situations d'urgence était sa spécialité et il était venu sur Byblos exprès pour faire part de son expérience en la matière aux Bybliens, lorsqu'il n'était pas en train de leur voler des plantes ou de se balader sur leur belle planète. Il s'en voudrait que quelqu'un se retrouve en difficulté parce qu'il n'aurait pas pris le temps de vérifier que tout le monde ai bien été évacué.

Ses amis s’étaient rangés à la raison et étaient d’accord pour la suivre. Tant mieux parce que les autres ne les attendraient sans doute pas s’ils trainaient. Les secousses étaient violentes. Du moins de ce qu’elle avait entendu dire. Rester sur place équivalait à se mettre en danger. A l’instar d’Akum elle était plutôt galvanisée par l’idée que la terre puisse trembler mais elle n’avait pas envie de rester ici pour le voir. Mais avant de partir, il restait toutefois la possibilité de ramener un paquet avec eux, et malgré la décision de ses amis de ne rien ramener, elle ne voyait pas pourquoi elle se priverait de le faire. Quitte à faire un voyage autant ramener quoi que ce soit qui puisse être utile.

- Y’a sûrement moyen de ramener ces réserves non ?

Elle se tourna vers Akum qui lui posait des questions.

- L’abri le plus proche est à un quart d’heure environ, on y sera très vite, en partant maintenant.

Ses yeux étaient rivés sur le mur où étaient étalées toutes les graines. Quelle peine si toutes venaient à disparaitre. Depuis tellement de temps qu’elle connaissait Nova, elle savait qu’elle avait un intérêt particulier pour les plantes, et à force d’échanger avec elle, elle avait appris de cet amour, et de leur intérêt.

- On a le temps d’en prendre quelques unes pendant qu’Akum regarde s’il n’y a personne.

Elle vouait aider et visiblement pas encore prête à tout laisser sur place, puisqu’après tout, ils étaient là pour cela. Les possessions des locaux n’étaient pas la priorité, mais les vivres étaient importantes, et devaient être ramenées. Son regard parcourut à son tour la pièce, avisant de quoi transporter les réserves, et faisant signe à Nova de la suivre. Peu importait qu’Akum l’avait déjà menée vers la sortie, elle y revenait avec insistance, elle d’habitude si discrète, devenait soudain très envahissante. Même si techniquement avec ses amis, elle n’avait jamais vraiment été réservée, et prenait souvent les initiatives, la proximité avec eux faisant qu’elle pouvait passer au dessus de sa timidité habituelle. Et avec cette soudaine lubie de s’attarder pour ramener des plantes, et d’aider les gens à tout faire, elle devenait une emmerdeuse, et démontait les plans discrets. Mais pas vraiment inquiétée par le fait qu’elle mettait des entraves, elle se dirigea encore vers le fond de la salle, et attrapa d’une main habile les plantes sur les étagères. Elle regardait les noms sans vraiment les reconnaitre.  La plupart semblait être des espèces endémiques de la planète. Elle aurait du mieux se pencher sur le sujet avant de venir tiens.

- T’as remarqué Nova la diversité ?

Evidemment que son amie l’avait fait.

- Dommage que tu puisses pas en ramener sur la flotte hein !

Elle vit l’expression qui se forma sur le visage de Nova à ce moment et tourna la tête franchement vers elle. Akum n’était pas très loin. Elle haussa les sourcils en dévisageant Nova qui faisait la gueule.

- Quoi qu’est-ce que j’ai dit ?

Elle se retourna vers Akum pour voir ce qu’elle avait dit de mal.

— Alors on a qu’à partir maintenant !

Entre prendre le risque de commettre un acte peut-être illégal – ou peut-être pas, hein ! – en piquant des graines et sauver ses fesses, le choix était vite fait. Rien que le souvenir des secousses de la dernière fois réveillait son instinct de poule mouillée qui lui criait de mettre les gaz et de filer le plus vite possible. Akum, lui, était déjà prêt à partir de la remise pour se mettre en sécurité – instinct de survie ou déformation professionnelle, peu importe –, s’inquiétant des autres, mais Aileas… moins… Nova, elle, était déjà prête à partir et suivre Akum dehors pour rejoindre l’abri le plus proche d’eux mais Aileas, elle, maintenant que son message avait été transmis, prenait le temps de s’inquiéter du devenir de la remise. Nova, hésitant entre l’excitation et l’agacement, suivi la brune qui retournait en arrière au lieu de prendre ses jambes à son cou et de partir illico presto en direction de l’abri dont elle avait parlé.

— Aileas, on a pas le temps, là !

Rétorqua-t-elle avec une voix où perçait l’impatience en tirant sur sa main. Mais son amie ne semblait ne l’écouter à moitié, s’extasiant sur la diversité du stock, rêvant à ce qu’ils auraient pu faire de tout cet inventaire. Elle comprenait très bien ce qu’elle voulait dire car cette question, elle se l’était elle-même posée quelques mois plus tôt et n’avait pas résisté à l’idée de glisser un paquet dans sa poche. Sa culpabilité dut s’afficher en grosses lettres sur son visage parce que son amie lui demanda ce qui n’allait pas.

Son visage se brouilla. Elle ne pouvait pas lui mentir. Pas encore. Pas de manière aussi obstinée et grossière ! Tout de même, Aileas et elle avaient quand même un long passé ensemble ! Elle lui faisait confiance en temps normal pour n’importe quel autre sujet et garder tout ça pour elle lui donnait l’impression d’être sur le point d’exploser.

— Oh bon sang… je peux pas… Je peux pas te mentir en te regardant droit dans les yeux, c’est pas possible !

Nova secoua la tête avec obstination en sentant qu’elle allait craquer. Elle avait craqué de la même manière avec Akum. Un accès de culpabilité et un poil trop de pression sur son mensonge. Elle parcourut rapidement la pièce du regard avant de se précipiter vers l’établis où traînait un sac en sorte de toile informe. Elle l’attrapa et le jeta à son amie avant d’en trouver un pour elle.

— Attrape ça et mets-y tout ce que tu peux !

L’instant d’après, elle vidait les étagères dans son propre sac sans faire dans le détail ni prendre le temps de regarder ce qu’elle y mettait.

Il allait continuer dans une direction aléatoire lorsqu'il se rendit compte qu'il était le seul à être effectivement sorti, les deux filles restant dans la réserve et Aileas faisant soudainement grand cas des quelques plantes qui s'y trouvaient. D'ailleurs, il ne comprenait pas bien son insistance. Pourquoi devraient-ils s'occuper de ce qui était rangé ici ? Depuis le temps, les structures devaient être suffisamment adaptées ici, sur Byblos, pour pouvoir tenir en cas de tremblement de terre et il ne voyait pas les Bybliens s'amuser à sortir toutes les réserves pour les planquer, puis les remettre en place à chaque tremblement de terre, ce serait une perte de temps absolue.

-Pourquoi tu veux les ramener ? Demanda-t-il. Si tout le monde les a laissé là, c'est que ça doit rien risquer, non ?

Un quart d'heure de marche pour l'abri le plus proche ça n'était effectivement pas la mer à boire. En tout cas, s'ils disposaient effectivement d'un quart d'heure pour le rejoindre, ce qui semblait de plus en plus compromis vu la propension d'Aileas à vouloir rester dans la réserve pendant le séisme. Bon, l'avantage serait de pouvoir vivre le phénomène en direct et de se prendre la vague de tremblement de plein fouet, mais tout de même, il serait plus prudent de rejoindre les abris. Rapidement.

Décidé à la convaincre de lâcher l'affaire, non pas pour leur magouille, mais pour sa soudaine envie pleine d'héroïsme de sauver les graines contenue dans cette réserve, Akum retourna à l'intérieur également, d'un pas pressé, tout ça pour entendre Aileas s'extasier sur la diversité des espèces qui s'y trouvaient.

-Les filles, je vous jure qu'on aura le temps de s'extasier sur tout ce qu'on voudra une fois que le séisme sera passé, lança-t-il d'un ton posé malgré son inquiétude, mais là je pense vraiment pas que ça soit le moment.

Alors, Aileas prononça la phrase de trop pour Nova qui craqua en direct sous leurs yeux ébahis. Évidemment, il avait fallu que sa meilleure amie fasse mention de l'impossibilité de ramener des plantes sur la flotte pour que toute la culpabilité de Nova ne la fasse craquer d'un seul coup, avant même que Akum ai eu le temps d'intervenir. Et soudainement, ils passèrent de « on ramène un ou deux échantillons pas plus » à « attrape ce sac et met tout ce que tu peux dedans », avec comme invitée spéciale : Aileas.

-On pourra pas tout ramener sur la flotte ! Prévint-il malgré tout en allant surveiller à la porte que personne ne venait. On va se faire tuer, gémit-il ensuite, plus bas, juste pour lui-même. Cependant, il semblait qu'ils devaient désormais des éclaircissements à Aileas. On était pas venus s'embrasser. On était là pour heu... "emprunter définitivement" quelques plantes et les ramener sur la flotte, avec Nova on fait pousser des plantes de contrebande, avoua-t-il alors.

Il ne savait pas qui gérait cet endroit, mais il ne serait sans doute pas content de voir qu'ils avaient viré toutes ses plantes des étagères soigneusement étiquetés sur lesquelles elles trônaient. En tout cas, Akum aurait été vraiment triste de voir ça, si ça avait été sa réserve.

Aileas attrapa maladroitement le sac lancé et resta un instant interdite, presque stupide tandis qu’elle tenait l’objet, en regardant son amie se mettre à frénétiquement lancer les plantes dans le sien. Les étagères étaient grandes. Y’aurait jamais le temps de tout attraper. Mais ce n’était pas cela qui fascinait Aileas, mais plutôt Nova, qui de toute timide, et presque hésitante, avait soudain mué en une sorte de frénétique. La stellarienne essayait vainement de décrypter la situation. Elle entendait que quelque chose était inhabituel mais de là à tout deviner. Ce fut Akum qui lâcha le morceau en expliquant ce qu’il trafiquaient et sa meilleure amie poussa un glapissement.

- Quoi ! Mais vous êtes fous ! On va avoir des problèmes ! Qu’est-ce que tu vas faire ? Nova regarde moi ! Tu ne sais pas hein...Me dis pas que….Non ne me dis pas…Et toi tu l’aides tranquille mais ca m’étonne pas ! Vous me fatiguez sérieux. Okay file moi ces plantes !

Aileas était devenue très nerveuse, ou très énervée, ou juste autre chose, peut-être qu’elle ne savait juste pas quoi dire. Ils étaient prêts à rentrer. Leurs sacs étaient remplis et il n’y avait quasiment rien de plus à prendre. Retournant sur leurs pas pour rejoindre les gens qui les attendaient, ils s’empressèrent de monter avec eux, dans le dernier véhicule qui les avait attendus. Aileas était assise sur l’un des sièges proche d’Akum et Nova, et avait décidé de regarder par la fenêter pour voir le sable chaud de Byblos onduler devant elle, sans rien dire qui ne puisse attirer l’attention des gens. Mais elle finit par arrêter son manège et fila un coup de coude à Akum.

- Qu’est-ce que tu vas en faire ?

Elle s’adressait à Nova qui se trouvait elle près d’Akum et avait parlé entre ses dents. Ils n’étaient plus seuls. Ecartant Akum en s’allongeant à moitié sur lui, elle se rapprocha de Nova, avec laquelle elle voulait parler, n’étant pas sûre d’avoir tout saisi.

- T’aurais pu demander l’autorisation avant !

Les règles de la flotte étaient plutôt strictes sur ce point et elle le savait parfaitement, mais il suffisait parfois de demander, et on pouvait arriver à ramener ce qu’on voulait.

- Et toi pourquoi est-ce que tu l’aides au lieu de la motiver à demander la permission ?

S’étant tournée vers Akum elle le regardait avec sévérité, fâché qu’il ait pu se laisser entrainer, et surtout qu’on l’ait maintenue à l’écart. Depuis toujours ils s’étaient tout dit et voilà qu’on la maintenait en dehors du groupe. Elle croisa les bras et lui lanca un regard coulant, avant de se pencher vers lui.

- Est-ce que c’est une nouvelle technique de drague ou quoi ?

Une pique volontairement ennuyante mais elle avait déjà un sourire esquissé sur ses lèvres, qui menacait de devenir un grand éclat de rire, si elle ne faisait pas un effort pour rester sérieuse. Ses yeux passaient de l’un à l’autre. Puis elle se laissa aller dans le siège, à moitié secouée par un rire silencieux, et attendit qu’ils arrivent à destination. On leur avait promis un moment de dépaysement en venant ici. On avait pas menti. Ca devenait même amusant.

Si Akum osait l’accuser de quoi que ce soit vis-à-vis de toute cette petite opération, elle n’hésiterait pas à lui rappeler aimablement que c’était lui qui avait tout balancé à Aileas. Nova n’avait que légèrement été suspecte mais elle avait tenu sa langue, elle. Mais au moins, ils ne risquaient plus d’avoir à affronter une ingénieure outrageusement curieuse de savoir ce qu’ils avaient trafiqués dans la remise. Elle lui jeta un regard perçant en optimisant l’agencement du contenu de son sac avant de le refermer.

Aileas leur tomba dessus, évidemment, en les accusant d’être cinglés. Dire que c’est elle qui avait proposé en premier lieu de sauver le contenu des étagères ! Il y avait du routage de gueule. C’était le Regina qui se moquait de la charité ! Ce n’était pas comme si elle avait l’intention de tout garder pour elle et les ramener sur la Flotte ! Comment aurait-elle pu faire passer une telle quantité dans ses bagages ? Non, Nova avait l’intention d’être un poil plus subtile, en rendant tout le stock et prétextant qu’elle avait voulu sauver le plus de plantes possible. Qui remarquerait l’absence de quelques graines si on savait qu’elle avait agit dans la précipitation ? Pleins de paramètres pourraient alors justifier la différence de stock avant/après…

La brune serra les dents et ravala sa fierté. Certes, elle n’appréciait pas des masses de se faire remonter les bretelles comme une enfant de cinq ans mais le temps ne leur laissait pas la latitude suffisante pour s’offrir un petit crépage de chignon dans les règles. Dans la vie, il y avait des priorités et la priorité, pour l’instant, c’était de quitter la zone mise en danger par les tremblements de terre. Elle cala le sac sur son épaule et suivit ses deux amis hors de la remise au pas de course – pas qu’elle détestait et qu’elle faisait tout pour en limiter l’usage au quotidien – pour gagner le dernier véhicule et s’y installer. S’installant stratégiquement du côté d’Akum pour faire de lui son rempart contre Aileas, la brune se mit à bouder dignement dans son coin et soigner sa fierté froissée. C’était sans compter son amie qui n’avait pas l’intention de laisser la discussion en suspens. Elle prit le secouriste pour un transat et se rapprocha d’elle.

— J’avais pas peaufiné tous les détails !

Siffla-t-elle en réponse sur le même ton en levant les yeux au ciel. L’irritation la ravageait de l’intérieur.

— J’ai juste… pas réfléchi.

Ajouta-t-elle en sentant les mots lui arracher la bouche.

— On rendra les stocks une fois le danger écarté et… peut-être que… à ce moment là, on pourra garder quelques graines pour nous…


Après le pic d’adrénaline qu’ils venaient de se prendre, elle n’était pas certaine que ses amis approuvent sa persistance dans la connerie mais rien ne les obligeait à l’accompagner dans son délire. Elle ne faisait que leur dire par pure politesse, elle pouvait très bien se débrouiller toute seule. Après tout, elle avait déjà fait dans la contrebande de graines… Aileas se retourna vers Akum pour lui faire la morale. Bien, au moins elle n’était pas les seules à se faire houspiller comme un inconscient.

— Aileas !

C’était à son tour de la houspiller en captant du bout de l’oreille sa dernière remarque qui semblait bien la faire rire. Embarrassée, Nova jeta un coup discret à son rempart humain avant de se renfoncer dans son siège en croisant les bras, toujours boudeuse. Et un peu gênée par les remarques de son amie. Qu’elle fasse ses remarques entre elles, passait encore, mais là ! Je vous jure…

Aileas ne sembla pas contente du tout d'apprendre qu'ils avaient déjà ramené des plantes sur la flotte pour les faire pousser et encore moins d'entendre qu'ils comptaient renouveler l'expérience. Akum se mettait volontiers dans le même sac que Nova pour la première partie, bien qu'il n'y soit pour rien dans le rapatriement des premiers spécimens. Il avait après tout rapidement sauté dans le train en marche et en assumerait autant la responsabilité que Nova en cas de problème. Il l'aidait depuis la seconde même où il avait appris son méfait, donc sa culpabilité n'était plus à faire dans cette histoire.

Cependant, entre subir la colère de la milice et avoir Aileas contre lui, il y avait une grosse différence et pour rien au monde Akum ne souhaitait se mettre sa meilleure amie de toujours à dos. Malheureusement, il se refusait également de laisser Nova seule dans les ennuis et il lui semblait désormais évident qu'il allait devoir essuyer les reproches d'Aileas à parts égales avec elle s'ils voulaient retrouver un minimum de paix. Celle-ci se décida pourtant à garder ses reproches pour plus tard, attrapant un sac de plantes avant de sortir avec eux pour rejoindre le véhicule le plus proche.

Le début du trajet se passa plutôt bien, Akum était coincé entre Nova qui avait engagé une bouderie en règle contre il ne savait pas qui exactement et Aileas qui regardait ostensiblement par sa propre fenêtre pour ne pas revenir à la charge tout de suite. Tant qu'il y avait un peu de calme, tout allait bien. Dès que l'une d'entre elle ouvrirait la bouche par contre, ça deviendrait une autre histoire et un je ne sais quoi le faisait parier sur Aileas. Lui-même restait sagement silencieux, certain de finir en cible un peu trop évidente des deux côtés si jamais il brisait le silence, aussi il essayait de se faire le plus petit et discret possible, ce qui n'avait rien d'évident lorsqu'on avait sa largeur d'épaule et les cheveux roux.

Heureusement pour lui, ce fut Aileas qui relança les hostilités, confirmant son pronostique alors qu'elle lui mettait un coup de coude à lui pour s'adresser à Nova. Il tourna un regard troublé vers celle-ci avant de sentir que Aileas s'allongeait sur lui ce qui, si ça ne le dérangeait pas outre mesure de manière générale, risquait de finir par lui tenir chaud, dans cet habitacle. Tâchant de l'apaiser, il tapota la partie de son corps la plus facilement à sa portée, c'est à dire le mollet, avant de grimacer.

-Parce que c'était trop tard pour demander la permission ! Déclara-t-il. En plus ça aurait mis des mois avant d'être accepté, je suis sûr.

Les procédures sur la flotte pouvaient s'éterniser, en particulier lorsqu'il s'agissait de ramener des corps étrangers sur la flotte et qu'on ne faisait pas partie d'une équipe de recherche agréée. Rien ne leur disait qu'ils auraient obtenu cette autorisation d'ailleurs, alors que là ils ne faisaient de mal à personne et pouvaient faire leurs propres recherches de leur côté.

Le soulagement que lui procura un changement de sujet le fit rire avec légèreté à la remarque de sa meilleure amie qui n'en perdait jamais une pour sous entendre qu'il devrait se mettre au travail, avec Nova. Bon, c'était sans doute à moitié de sa faute cette fois, vu que c'était lui qui avait affirmé qu'ils étaient en train de s'embrasser dans la réserve.

-Peut-être, seulement si ça fonctionne ! Taquina-t-il avec un sourire. Il se tourna vers Nova qui boudait toujours et ne semblait pas goûter de la plaisanterie d'Aileas avant de se retourner vers celle-ci, une grimace peu convaincue sur le visage. Je crois que c'est pas le cas.

A l’indignation de Nova elle avait répondu en haussant les épaules. Son amie pouvait râler autant qu’elle voulait. Evidemment elle l’aiderait. Peut-être pas à passer les plantes comme le faisait Akum. Mais elle s’assurerait que Nova finisse par régler le souci administratif qu’elle avait ignoré et dont son meilleur ami semblait se dispenser de fort magnifique manière. Il avait raison sur son estimation de la longueur d’attente qui serait de plusieurs longues semaines, mais ce n’était pas important, puisqu’après tout Nova finirait par obtenir l’autorisation non ? Aileas laissa son regard s’égarer dans celui d’Akum pour y trouver des réponses. L’expression amusée de son meilleur ami lui arrachait un sourire auquel elle répondait avec une expression plus taquine. S’il suivait son jeu, elle ne savait pas où débutait la plaisanterie, où se détachait un intérêt pour Nova. Il l’appréciait pour sûr. Et néanmoins il se démenait pour elle avec une motivation particulière. Akum évidemment se démenait pour tout le monde mais Aileas ne pouvait pas s’empêchait d’y voir un plus quand il s’agissait de Nova.

- J’aurais pas dit cela.

On pouvait dire ce qu’on voulait de Nova, qu’elle était foutrement râleuse, mais elle ne s’énervait pas sur ce qui ne la dérangeait pas, et de l’avis d’Aileas, elle n’était pas indifférente au charme d’Akum. Qui aurait pu l’être ? Il était mignon, adorable, sociable, attentif. Il était franchement difficile de trouver mieux.

- Nova arrête de grogner.

D'où elle était elle parvint à lui donner une tape sur l’épaule, histoire de lui dire que le moment d’engueulade était terminé, et qu’elles pouvaient arrêter maintenant de partir dans une dispute. Elles restaient rarement fâchées très longtemps. Aileas n’avait pas envie que cela dure, surtout qu’elles étaient dans un endroit spécial, et il y avait tant à partager.

- Souris !

Aileas était peut-être déjà sortie de la Flotte mais c’était seulement arrivé quelques fois. Pour tous c’était leur première fois ailleurs que dans l’espace, et il était important qu’ils puissent en profiter, et qu’ils aient des souvenirs qu’ils puissent raconter. Evidemment de préférence quand ils seraient à l’abri.

- Est-ce que vous pensez qu’ils vont être obligés de quitter cet endroit ?

Elle regardait de nouveau par la fenêtre, trouvant les paysages magnifiques, tout en pensant à l’idée que les gens qui avaient donné de leur temps, efforts, et rêves pour faire de leur planète leur chez soi allaient peut-être devoir déménager. Peut-être qu’ils ne voudraient pas partir. Et à la fois il s’agissait d’une opportunité pour découvrir de nouvelles choses. Aileas n’avait pas l’habitude ce mode de vie sédentaire. Elle avait toujours vécu sur la Flotte. Elle n’était pas sûre d’apprécier rester au même endroit tout le temps. Mais elle devait reconnaitre que la douceur du soleil sur sa peau, quand il n’était pas trop exagéré, était extrêmement agréable. L’étendue devant elle lui donnait envie de traverser les plaines et d’aller soulever toutes les roches pour regarder ce qu’il y avait dessous. Tout était imprévisible par ici. Les terres étaient plus que sauvages. Elle pouvait envisager que d'autres aient envie de rester.

Pour toute réponse, Nova grogna de plus belle en prenant un air affecté. Quand est-ce que, dans toute l’histoire de l’humanité, dire à quelqu’un d’arrêter de faire la tête avait jamais fonctionné ? Quand quelqu’un était blessé, on n’appuyait pas comme une brute sur sa blessure. De la même façon, quand quelqu’un était dans de mauvaises dispositions, on ne s’amusait pas à le lui faire remarquer en lui demandant d’arrêter. Nova n’était qu’une humaine. Elle n’avait pas le pouvoir de changer d’humeur comme de chemise et même si elle n’était pas réellement fâchée contre Aileas, elle aurait apprécié que son moment de ronchonnement soit respecté comme il se devait. Mais avec les deux qui s’amusaient à ses dépends, elle ne risquait pas d’avoir gain de cause. Même Akum était contre elle à entrer dans le jeu de leur amie. Si le but était de la tyranniser pour la punir pour les graines… et bien ça risquait de fonctionner.

— Demande à tes fesses de sourire.

Rétorqua-t-elle dans un manque affligeant de répartie. Comment pouvait-elle lutter si elle n’avait pas les armes adaptées contre Aileas ? De toute manière, elle sentait sa double personnalité de diva à l’égo bafoué retourner dans sa loge pour y faire une pause.

Elle soupira et finit par décroiser les bras.

— J’espère pas.

La Fédération était justement là pour aider les habitants de Byblos à rendre la planète plus habitable. Si jamais ses habitants devaient la quitter et rejoindre la Fédération pour une nouvelle destination, cela signifiait uniquement qu’ils avaient échoué. Et puis…

— Ça doit être terrible de devoir abandonner sa maison. Tout ce qu’on connait en fait…

Nova suivit le regard d’Ailes par la fenêtre en se demandant comment est-ce qu’elle réagirait si on lui annonçait demain qu’elle ne pourrait jamais plus retourner sur le Columbiad. Un frisson la parcourut et elle se renfonça dans son siège en se frottant les bras. Pas la peine de chercher trop loin, la réponse était évidente. Mal. La brune réagirait très mal si on devait l’arracher de l’endroit où elle avait grandi, où elle avait toute sa vie et qu’elle connaissait toute sa poche. Ce serait comme lui retirer une partie d’elle-même. Certes ce n’était qu’un endroit et tous les endroits étaient remplaçables mais c’était une chose de partir ailleurs en sachant que l’on pouvait rentrer à la maison, c’en était une toute autre de partir à jamais, en sachant que le retour serait impossible. Sur la Flotte, nombreux étaient les gens qui voyaient d’un mauvais œil l’arrivée d’une poignée de Bybliens parmi eux. Ce serait sans doute pire si la Fédération devait jouer les navettes pour transporter les milliers d’habitants mais elle ne pouvait pas s’empêcher de se dire que ce serait mille fois pire pour tous les migrants qui devaient abandonner leur maison, tout ce qu’ils avaient construits et dépendre de personnes qui ne voyaient pas leur présence d’un très bon œil.