Le retour au quotidien de la Flotte après trois semaines sur Byblos était aussi bienvenu qu’incongru. Nova n’irait pas jusqu’à dire que le voyage l’avait tellement changée qu’elle ne reconnaissait pas sa Flotte natale – la seule chose qui avait changé chez elle était la peau de son nez qui pelait allégrement – mais quelque chose semblait différent. L’ensemble des vaisseaux semblaient plongés dans la pénombre comparés aux oasis illuminés par Gattaca. Ses yeux peinaient à se remettre de l’exposition surdosée de la planète chaude et retrouver la lumière artificielle qu’elle avait toujours connu. L’air conditionné aussi la dérangeait : comme si la température était plus basse qu’à son départ. Elle en grelottait la nuit. Un comble quand on savait le mal fou que la jeune femme avait eu à se faire à la chaleur étouffante de Byblos. Elle avait eu du mal à s’endormir et été victime d’hallucinations au plus noir de la nuit pendant deux semaines !

Enfin… elle avait au moins retrouvé ses cultures et ses collègues adorés, même si elle ne s’était pas vraiment mise au travail dès le premier jour du fait des nombreuses demande de raconter son séjour. Ce à quoi elle s’était fait un point d’honneur de répondre, en entrant dans les détails quand ils lui étaient favorables – nul besoin de raconter comment la délégation avait réagi à la chaleur de Byblos, les photos de Ren parleraient pour eux bien assez tôt.

Mais surtout, elle avait retrouvé ses pénates et son lit bien-aimé dont elle s’était languie pendant tout le séjour. C’était justement dans les draps de celui-ci qu’elle paressait, son terminal à la main pour rattraper les nouvelles de la Flote, lorsqu’un grand bruit ébranla sa porte. Le cœur battant – c’est qu’à ne rien faire de productif elle avait été d’autant plus surprise –, elle se rallongea un instant en pensant la menace écartée quand le bruit se manifesta de nouveau. Excédée, Nova se redressa, toujours emmitouflée sommairement dans un plaid et alla ouvrir la porte de sa cabine pour aller houspiller les malvenus.

Le seul problème c’est que lorsqu’elle s’énerve, la brune perd instantanément toute crédibilité. C’était toujours la même histoire : dès qu’elle s’énervait, les mots se bousculaient sur ses lèvres, propulsés par la colère et elle se mettait à balbutier, s’étouffant presque avec. Cette incapacité chronique à s’exprimer sous l’effet de la rage la calmait presque aussitôt. Toujours en fait. Cette fois-ci ne faisait pas exception et quand elle eut fini de fulminer et vitupérer contre les deux garnements qui avaient eu le malheur de chahuter contre sa porte, Nova retrouva son calme. Et puisqu’il avait été établi pendant l’échange houleux que non, ils n’avaient rien de mieux à faire, elle les invita à entrer pour s’occuper sainement. Sans doute charmés par les « jeux de société terriens » qu’elle leur proposait ou par l’air exotique que ses coups de soleil lui conféraient.

— Le jardin d’hiver ?

La jeune femme regarda, circonspecte, ladite case que des années de manipulation avaient décoloré sur les bords. Olek, Valco et Nova venaient de débattre pendant cinq minutes sur ce que pouvait bien être un jardin d’hiver et pourquoi diable une telle pièce se trouvait à l’intérieur d’une maison sans parvenir à un accord concluant. Entrepôt de plantes pour l’hiver, jardin réservé à la froide saison ou espace botanique froid pour se protéger de la chaleur… ils n’avaient pas pu trancher. Les natifs de l’espace qu’ils étaient avaient déjà du mal à concevoir un logement individuel qui comprenait et une bibliothèque et un bureau et une cuisine alors on ne parlait pas des pièces dont l’utilité les dépassait complètement comme la salle de réception ou l’entrée. Que diable pouvaient bien faire les Terriens de tout cet espace ?

— Comme tu veux. On t’écoute.

Olek se lança : Monsieur Olive, dans le jardin d’hiver, avec le poignard. Elle tiqua en regardant la carte du poignard dans sa main mais se tint coite et le laissa vérifier son hypothèque dans l’enveloppe secrète.

— Alors ?

Son sourire confiant transformé en légère moue comme s’il avait croqué dans du citron répondit à sa place. Normalement, la partie aurait dû s’arrêter pour lui mais en tant que Grande Gardienne des Règles – un titre sur lequel elle avait insisté lourdement en début de partie pour gagner une espèce de respect de pacotille – et se sentant d’humeur magnanime, la brune décida de faire une légère entorse au règlement.

— Bon, et bien c’est le moment du jeu où quelqu’un d’autre tue une autre personne. En l’occurrence, la victime, c’est toi Olek. Mais ton fantôme a le droit d’enquêter sur ton propre meurtre. Filez moi vos cartes indices, on va en tirer trois autres et faire une autre enveloppe secrète. Olek, toi tu n’as plus le droit d’enquêter sur le premier crime.

Elle récupéra les cartes et les battit vigoureusement en lançant un regard vers la porte ouverte. Par un souci de transparence, la brune avait préféré laisser sa cabine ouverte au cas où on chercherait les deux garçons. Pour avoir déjà assisté à un moment d’hystérie parentale un jour où ses parents l’avaient perdue sur le Colossus, Nova savait qu’il valait mieux faciliter la tâche aux parents inquiets.

— Au fait… j’espère que ça ne fait pas trop tard pour vous. Vous ne devriez pas envoyer un message à quelqu’un pour prévenir que vous êtes là ?

Ils lui lancèrent un sourire qui se voulait rassurant : apparemment, c’était déjà fait.

En grandissant les enfants avaient commencé à quitter le cocon « familial ». Il était certainement plus facile de s'habituer à la flotte et à son quotidien à leur âge et si les premiers mois, voire années pour certains, avaient été vécus dans une certaine peur de l'étranger, Maggie avait beaucoup aidé les enfants à s'ouvrir au monde. Maintenant que les aînés se trouvaient toute la semaine sur l'Argus, il ne restait généralement qu'Olek à la cabine. Valco quant à lui partait vivre de folles aventures en compagnie de ses camarades de classe, de Maggie et ses amis ou tout simplement courir dans les rues du Columbiad, rentrant de plus en plus tard, semblant toujours plus frôler l'heure où Exvind l'empêcherait tout simplement de sortir s'il ne donnait pas de signes de vie. Olek s'ouvrait certes un peu plus au monde, semblant accepter certaines vérités sur leur situation qui te faisaient parfois regretter de ne jamais avoir eu le courage avant de discuter avec lui. L'adolescent préférait cependant généralement rester à la cabine dès les heures obligatoires de cours finies pour pouvoir avancer sur ses projets avec toi ou tout simplement errer sur starchat en toute tranquillité.

C'est pourquoi d'habitude tu pouvais compter sur eux pour qu'ils soient présents à une heure raisonnable ou qu'ils aient au moins trouvé un moyen de te joindre pour te signaler qu'ils ne rentreraient que pour dormir. D'habitude. Avec les derniers événements et la montée de pouvoir de Khan, tu ne pouvais t'empêcher de craindre que celui-ci ne prête plus assez attention au marché que vous aviez passé. Bien évidemment le capitaine du Colossus savait que tu savais, mais il était également probable que l'homme soit persuadé que tu n'oserais jamais agir et que tu te renfermerais d'autant plus si tu perdais un des enfants. Tes mains encore humides après les avoir frottées énergiquement sous l'eau, tu te surpris à presque immédiatement les coincer entre tes dents, les mastiquant nerveusement, ta langue passant sur la peau à vif dans un mouvement machinal.

Tu avais déjà envoyé plusieurs messages à Olek, sachant pertinemment que Valco aurait trouvé un adulte ou une personnage plus grande que lui pour t'envoyer un message bien avant s'il n'avait pas été avec son frère. Ce qui t'inquiétait le plus n'était pas le fait qu'ils n'étaient pas déjà rentrés mais l'absence de réponses de ton fils qui répondait en général rapidement. Tu avais hésité à envoyer un message à Maggie et Ren pour savoir si les enfants étaient avec elle, mais l'expérience t'avait appris que si cela avait été le cas, la jeune femme t'aurait envoyé un message dès le moment où elle les avait pris en charge.

Tu avais fini par préférer quitter la cabine plutôt que de les attendre, laissant quelques consignes simples à Yacha pour qu'il signale aux enfants s'ils rentraient de t'envoyer un message sur ton terminal. Tu avais ensuite quitté la cabine et demandé à toutes les personnes que tu avais pu croiser – en évitant les miliciens contre tout bon sens – s'ils n'avaient pas vu deux garçons. Ce ne fut qu'après avoir fait quatre fois le tour de la même rue sous le regard inquiet de deux voisins qui discutaient à leur porte que tu entendis l'alerte de Charlie pour te signaler que tu avais reçu un message.

Dans ton empressement de pouvoir de pouvoir voir la réponse d'Olek à tes dix derniers messages, tu manquais de faire tomber ton terminal entre tes mains tremblantes et glissantes. La réponse d'Olek était assez peu exhaustive et il te fallu une bonne dizaine de minutes pour trouver la bonne porte ouverte malgré la proximité. Le souffle court, tu t'arrêtais devant l'entrée de la cabine individuelle en lançant un regard méfiant sur le nom du propriéraire avant de voir Valco qui venait de sauter de son siège s'approcher de toi en trottinant, son sourire trop large pour être innocent. « Papa ! On jouait avec Nova à qui à tué qui. » Tu clignais stupidement des yeux, restant sur le pas de la porte, tel un vampire n'osant pas pénétrer dans la cabine sans l'autorisation express de son habitante. Tu eus l'occasion d'apercevoir une jeune femme assise autour d'une table avec Olek qui te fit un signe de la main. Visiblement peu inquiet, il venait de ressortir son terminal en attendant que son frère revienne vers eux pour finir la partie. Valco t'attrapait la main et la secouait. « J'avais dit à Olek de t'envoyer un message avant mais il disait qu'on avait encore le temps. » Les demandes d'attention du petit te firent retourner ton regard sur lui. Valco semblait insister pour que tu rentres et tu lui serrais doucement la main pour l'empêcher de repartir s'asseoir et le maintenir avec toi dans l'entrée. Tu ne connaissais pas la jeune femme avec laquelle ils étaient attablés et si la porte de la cabine était ouverte, les paroles du benjamin de la fratrie ne faisaient qu'exacerber ton anxiété naturelle. « J'espère qu'ils ne vous ont pas dérangé, veuillez les excuser madame. Olek.. on... on rentre. » Valco trépignait à tes côtés, tirant sur la manche de ton pull grossier avant de fouiller dans ta poche à la recherche de ton terminal. « On mange bientôt ? J'ai faim ! »

« Qui a tué qui ». Pas du tout inquiétant pour les parents. À tous les coups, elle allait passer pour une grosse cinglée qui entraînait des enfants innocents dans ses délires morbides. Du genre de celle avec qui on interdisait formellement de traîner et que l’on ne pouvait pas s’empêcher de considérer avec un frisson dans le dos. Alors que la vérité n’aurait pas pu être plus éloignée ! Certes, la jeune femme avait sa part de folie – mais comme tout le monde ! Ni plus grande ni plus petite – mais elle aurait été bien incapable de s’en prendre à qui que ce soit ! Déjà que la seule pensée de se blesser ou de blesser quelqu’un la rendait malade ! Peureuse comme elle était en plus, Nova passait un quart de son temps à imaginer le pire et se repentir aussitôt de son imagination débordante. Il suffisait qu’elle repère un danger potentiel – coin de meuble idéalement placé, un couteau trop près d’une main, un sol mouillé… – et elle visualisait très précisément dans sa tête le pire scénario possible… et les blessures qui allaient de pair. Elle parvenait à se rendre malade à chaque fois. En somme, elle ferait une bien piètre psychopathe.

Laissant le champ libre à sa curiosité, Nova se pencha un peu pour mieux voir la silhouette discrète qui se dessinait dans l’encadrement de la porte. Si elle se trouvait déjà naturellement timide, l’homme semblait la battre à pleines coutures ! À le voir planté sur le pas de la porte, on aurait pu croire qu’il y avait une barrière invisible qui le maintenait dehors. Compatissante, elle se fendit d’un sourire bienveillant et appuya l’invitation à entrer du deuxième garçon d’un hochement de tête. Ses parents lui avaient dit et répété qu’il ne fallait jamais faire à autrui ce que l’on n’aimerait pas qu’on nous fasse et l’inverse devait être vrai. Nova savait exactement ce que l’on ressentait à l’idée de pénétrer dans la bulle de quelqu’un d’autre. C’était angoissant et particulièrement stressant et elle était toujours reconnaissante lorsqu’on lui facilitait les choses. Aujourd’hui, elle était bien déterminée à être la personne qui facilitait les choses pour l’autre.

Pas sûr que sa bonne volonté suffise. Valco qui était allé accueillir son père comme tout bon fils devrait le faire – et elle la première ferait bien d’en prendre de la graine – ne semblait pas revenir, sans doute bloqué lui aussi par le mur invisible qui tenait sa cabine fermée. Cependant, en entendant les paroles du plus petit, Nova comprit que personne ne s’était soucié de vraiment prévenir leur adulte référent de l’endroit où ils se trouvaient en temps et en heure. Alors qu’elle leur avait quand même suggéré de le faire. Et ce sale gosse assis en face d’elle qui n’avait pas même l’air de s’inquiéter de la peur qu’il avait pu faire à son père. Non mais des fois ! Elle retourna un regard accusateur à Olek puis se redressa pour accueillir convenablement l’homme à sa porte. Dire qu’il pensait que les garçons l’avaient embêtée.

— Non pas du tout ! Ils m’ont plutôt rendu service : je n’avais personne avec qui jouer une partie de Cluedo.

Il lui semblait essentiel de caler quelque part que le jeu ne s’appelait pas « Qui a tué qui » et surtout qu’il s’agissait d’un vrai jeu, approuvé par des autorités compétentes. Nova avait également décidé, peut-être par fair-play, de ne pas dire toute la vérité sur les raisons qui l’avaient poussée à faire entrer les garçons dans sa gamine. À savoir, sa tranquillité d’esprit.

— Entrez si vous voulez, nous avions presque fini.

Nova se retourna à demi pour désigner la table sur laquelle était posée le jeu. L’homme avait l’air pressé de rentrer et Valek réclamait un repas mais sa politesse inculquée péniblement au cours de son enfance faisait des siennes. Après, il était peut-être plus raisonnable qu’ils rentrent. Ce n’était pas la non-élucidation de deux meurtres fictifs qui changerait quoi que ce soit à leurs vies.

— Au fait, je m’appelle Nova.

Ajouta-t-elle pour officialiser les présentations, même si Valco l’avait devancée en divulguant son nom son père – faisant ainsi sa pub en tant que potentielle psychopathe.

« Non pas du tout ! Ils m'ont plutôt rendu service : je n'aurais personne avec qui jouer une partie de Cluedo. » Tu ne savais pas ce qu'était le Cluedo mais tu n'avais jamais été très porté sur les jeux de société. Enfant tu avais plus l'habitude de profiter de l'extérieur avec ta cousine lorsque votre travail personnel était terminé. Vous n'alliez jamais bien loin, par peur de ce qui vous attendait dehors et vos jeux se limitaient généralement à utiliser le pistolet à colle de ton oncle sur les sauterelles. Tu acquiesçais cependant avec un léger sourire, qui n'atteignait pas tes yeux, pour ne pas gêner la jeune femme qui te faisait face par des questions qui auraient pu gêner les enfants ou pire, l'inviter à te proposer à jouer une partie de Cluedo avec elle et les garçons. « Entrez si vous voulez, nous avions presque fini. » Tu te raclais la gorge, cherchant une manière polie et efficace de signaler autant aux enfants qu'à la jeune femme que tu n'en avais aucune envie et que tu avais pour ambition principale ce soir de rentrer le plus tôt possible pour pouvoir aller te coucher. « Allez p'pa, viens, on a presque fini ! » Tu allais pour lui rappeler qu'il avait faim et qu'on ne s'invitait pas chez des gens comme cela, surtout lorsqu'on était un soir de semaine, mais l'enfant s'était mis à trépigner à tes côtés. « Au fait, je m'appelle Nova. » Tu quittais Valco des yeux pour dévisager la jeune femme. Tu avais déjà compris, bien sûr, mais le besoin de faire les présentations dans le bon ordre social était tellement imprégné dans les politesses locales qu'il aurait été difficile d'y échapper. Ton silence fut peut-être un peu trop prolongé car Olek se permis de répondre à ta place, sans quitter son terminal des yeux. « Lui c'est Exvind. » Tu opinais du chef avec un moment de latence, un maigre sourire toujours perché sur la commissure de tes lèvres, tu lâchais plus par habitude que parce que tu ressentais le besoin de le dire : « Enchanté. »

Valco essayait de déloger sa main de la tienne en se trémoussant, pointant de celle libre la table où se trouvait toujours le plateau. « Papa, allez ! Sinon Olek il va tricher et regarder les cartes et en plus il est mort alors il peut faire ce qu'il veut genre traverser les murs parce que c'est un fantôme et il y a une pièce c'est un jardin d'hiver et c'est quoi un jardin d'hiver ? C'est un Helios mais pas de l'espace ? » Olek, qui avait posé ses mains sur la table les redressa pour y placer plutôt ses coudes afin de bien mettre en évidence son innocence. Tu lançais un regard désemparé vers le benjamin qui avait réussi à s'extirper de ta poigne et qui était reparti en trottinant vers la table de jeu et observait, le menton posé sur le rebord du plateau, les jetons qui se trouvaient là. Tu fis un pas à l'intérieur pour l'arrêter pour t'arrêter presque immédiatement avant de te retrouver en face à face avec Nova qui se trouvait encore non loin. « Je suis navré, mademoiselle. Olek, Valco, on rentre, il est tard. » La remarque aurait aussi bien pu tomber dans l'oreille d'un sourd, Olek était visiblement trop occupé à montrer quelque chose sur son terminal à son frère qui, ravi de pouvoir pour une fois observer ce que faisait son aîné, s'était appuyé sur son biceps pour mieux voir.

A la fois gêné et mal à l'aise de te retrouver chez une inconnue et sans autorité, tu ne lançais un regard en coin vers Nova qu'après quelques secondes à te mastiquer les lèvres. Tu te frottais l'oreille contre l'épaule avec un sourire crispé. « Vraiment navré. »

Wow. Il aurait été vraiment difficile de ne pas voir que le père des garçons n’avait absolument pas envie de rentrer dans sa cabine ni de profiter de sa compagnie. Il laissa même Nova plantée là avec ses présentations qui ne trouvaient aucun écho de son côté. Finalement, le plus grand rompit le léger malaise – pour faire dans l’euphémisme – en train de se former en le présentant à sa place. Donc, elle avait visiblement fait une mauvaise première impression. Est-ce que c’était la faute de « Qui a tué qui » ? Ça devait être ça, c’était forcément ça puisqu’elle n’avait eu le temps de rien faire qui puisse la décrédibiliser en aussi peu de temps. À moins qu’elle ait quelque chose sur la tête, mais il aurait fallu que ce soit quelque chose d’extrêmement perturbant. Non, ce n’était pas possible : Olek ou Valco lui auraient dit quelque chose, ou à défaut, se seraient contentés de la fixer avec insistance ou au contraire éviter de regarder dans sa direction. Donc c’était forcément ça.

Un « enchanté » finit par sortir des lèvres du nouveau venu et Nova opina du chef en passant nerveusement ses mains sur son pantalon. Ok, elle détestait cette situation, elle la détestait vraiment. Elle avait vaguement tenté quelque chose bien que ce « quelque chose » soit déjà un pas en dehors de sa zone de confort, mais si ça ne marchait pas, elle n’allait pas non plus s’amuser à se faire du mal. Elle n’était pas complètement masochiste. Malgré tout, impossible de se résoudre à rejoindre la table de jeu en laissant un invité potentiel bloqué sur le pas de porte. Elle se contenta de se retourner vers Olek qui encaissait les accusations de tricherie en relevant les mains devant lui. Un sourire fendit son visage et la jeune femme s’empressa de le cacher en baissant la tête. Mine de rien, le petit avait sans doute l’hypothèse la plus plausible quant à l’utilité d’un jardin d’hiver. Nova se sentit soudain bien bête de ne pas y avoir pensé elle-même. Peut-être que les gens de la Terre aimaient bien avoir un dôme pour apprécier les plantes quelles que soient les saisons, même en hiver alors que le froid était censé tuer toute pousse en terre. Elle faillit suivre les garçons pour leur proposer de prononcer une ultime hypothèse pour raccourcir le jeu mais elle fut arrêtée en voyant Exvind faire un mouvement à l’intérieur avant de se replacer de lui-même derrière la barrière invisible qui le gardait dehors. Décidément, celui-ci semblait bien mal à l’aise. Au moins autant qu’elle, pour être honnête.

— Oh non pas de soucis…

Elle rangea nerveusement une mèche de cheveux derrière son oreille puis après une nouvelle excuse, décida de prendre le taureau par les cornes. N’étant pas si vieille que ça, elle se souvenait parfaitement ce que c’était de vouloir retarder le plus longtemps possible l’heure du départ quand on était lancé dans une activité qui nous plaisait et si on écoutait les garçons, on y était encore dans une heure. Leur pauvre père ne pouvait rien y faire en plus. Il paraissait penaud et dépassé, sûrement fatigué par une longue journée de travail…

— Allez les garçons !

Tonna-t-elle en tapant dans ses mains et en retournant vers la table. Elle récupéra les cartes mises de côté et les retourna sans cérémonie pour les regarder en cachant sa main aux deux garçons.

— Vous avez tous les deux une chance de deviner qui a tué qui et après vous filez chez vous. Votre père vous attend, bande de sales gosses. Vous pourrez revenir un autre jour !

Son sourire tendre atténuait un chouïa son choix de mots. Elle se retourna vers l’entrée de la cabine et sourit de nouveau.

— Exvind, si vous voulez aussi essayer, vous êtes le bienvenu. Et puis, si vous devinez juste, ça sera fini plus vite !

Ne put-elle s'empêcher d'ajouter avant de se traiter mentalement de débile. Il ne devait pas avoir envie d'entrer dans ses combines mais rentrer chez lui plus vite.

La nervosité ambiante te rendait toi même d'autant plus nerveux que tu observais avec un certain malaise les gestes de la jeune femme. Tu fermais les yeux avant de les rouvrir, te frottant l'oreille avec l'épaule en observant les enfants derrière Nova sans oser à nouveau poser ton regard sur elle de peur de t'irriter plus que de raison sur ses gestes anxieux. « Oh non pas de soucis... » La politesse de circonstances te fit te tendre d'autant plus. Tu ne parvenais pas à mettre le doigt sur ce qui causait cet inconfort qui te tendait les nerfs et rendait tes paumes moites. Tu passais un bout de langue rapidement sur tes lèvres pour les humecter et tu finis par t'arracher de ta contemplation du plateau de jeu pour retourner ton attention toute entière vers la propriétaire de la cabine. « Allez les garçons ! » Tu sursautais bien contre toi et tu serrais les dents dans un claquement qui dû être perceptible au vu du regard curieux de Valco. Cependant le benjamin fut rapidement attiré par la distraction de la jeune femme. « Vous avez tous les deux une chance de deviner qui a tué qui et après vous filez chez vous. Votre père vous attend, bande de sales gosses. » Tu fronçais le nez, déjà peu approbateur de l'idée de les laisser gagner en leur permettant de finir le jeu et de réclamer une autre partie mais également la familiarité de la jeune femme vis à vis des enfants. Les traiter de sale gosse te crispait également et laissait sous entendre qu'ils avaient été soit particulièrement désagréables, soit qu'elle se sentait suffisamment en confiance avec eux et eux avec elle pour se permettre de les taquiner ainsi. « Hey ! Tu triches ! Pourquoi c'est toi qui regarde les réponses, tu savais pas avoue ! » Pendant ce temps Olek croisait les bras après avoir posé son terminal sur le bord de la table. Tu étais plus surpris par le fait que l'adolescent ait lâché sa machine que par son attitude plus détendue qu'à l'habitude en compagnie d'inconnus. Tu te pris à te demander si les excursions chez Nova étaient habituelles ou s'il s'agissait d'un coup de chance de la part de celle-ci. « Vous pourrez revenir un autre jour ! » Faire toi même une scène n'appuierait certainement pas le peu d'autorité qui te restait avec tes enfants, aussi te contentais-tu de serrer les dents, la mâchoire grinçante, coinçant entre les dents les mots et refus que tu aurais voulu leur asséner. Ton oncle avait-il été aussi inquiet, aussi intransigeant avec toi ? Non, généralement entre ta cousine, son père et toi, tu étais celui qui avait les réactions les moins téméraires, déjà. « De toute façon c'est trop tard, elle connait la réponse. Commence Valco. »

Le gamin gonflait déjà les joues et secouait la tête en grimaçant. « Nan ! Tu veux m'utiliser pour crash-test tes idées, mais pas cette fois ! » Tu sentais ta nervosité prendre la forme de gouttes de sueurs le long de ta nuque et tu refis un pas à l'intérieur de la cabine pour essayer d'attraper Valco sans pour autant oser tendre le bras vers lui. « Tu dramatises trop tout. » Le regard que t'avais lancé Olek suffit à t'arrêter et, si tu ne fis pas de geste pour lui signifier que tu avais compris, tu te mis à mastiquer tes lèvres. Plutôt que de regarder les enfants, tu te mis à jauger l'hôte. « Exvind, si vous voulez aussi essayer, vous êtes le bienvenu. » Tu redressais la tête brusquement, une épaule tressautant dans le geste nerveux. Tu secouais la tête à la négative trop rapidement pour être confortable. « Et puis, si vous devinez juste, ça sera fini plus vite. » Tu te râclais la gorge tandis qu'Olek observait Valco qui lui te suppliait du regard.« Le temps que vous m'expliquiez les règles et ce qui se passe, vous aurez le temps de finir la partie. » Que tu marmonnais, croisant les bras à la défensive, tout en restant au milieu de la cabine, lançant de fréquents coups d'oeils vers l'extérieur de la cabine. « Après ça on va manger ! Tu veux venir avec nous Nova ? Tu as déjà mangé ? On va à la cafétéria juste à côté ! »

Par tous les saints de l’univers, cette situation était en train de virer façon purgatoire.

— Arrêtez de tourner autour du pot, tous les deux !

Qu’est-ce qu’ils ne pouvaient pas inventer pour ne pas rentrer ! À croire qu’aller manger avec leur famille était une épreuve si terrifiante qu’ils préféraient rester en sa compagnie. Or, Nova ne supportait déjà pas sa propre compagnie, alors autant dire qu’elle avait vraiment du mal à imaginer ce que deux gamins comme Olek et Valco pouvaient gagner à traîner avec elle. Et puis elle ne comprenait pas qu’on puisse cracher sur un moment de tranquillité avec les siens. Nova avait toujours adoré manger avec ses parents, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, et c’était toujours aussi vrai aujourd’hui. La brune montra un début d’impatience en agitant les cartes comme un éventail devant elle avec l’espoir que ça les déciderait à jouer un peu. Mais les deux continuaient à s’agiter et à se renvoyer la balle, soit pour gagner du temps, soit pour exaspérer leur père qui aurait volontiers pris une fusée pour être à des années-lumière d’ici (si on en croyait l’expression sur son visage). Cet homme la mettait décidément très mal à l’aise. La nervosité qui imprégnait chacun de ses gestes, même les plus infimes, semblait traverser l’espace qui les séparait pour la contaminer. Plus il se retournait pour regarder dehors comme si un danger était imminent, plus il croisait les bras et coupait court à tout dialogue très rapidement, et plus Nova avait l’impression de se raidir davantage. À ce stade-là, elle aurait adoré voir un trou apparaître soudainement dans sa chambre pour y disparaître. Et pendant ce temps-là, les deux benjamins des environs semblaient tout à fait à leur aise. Peut-être qu’ils essayaient bel et bien d’exaspérer leur père, réalisa-t-elle en recevant une invitation pour se joindre à eux au repas du soir.

Nova se prit à songer que même si on lui avait offert de se rendre à un banquet sur Terre elle aurait refusé. Probablement pour regretter tout le reste de sa vie, mais ç’aurait été un « Non » ferme et définitif. Pour rien au monde elle ne se serait infligé de rester dans une telle situation. Nova était mal à l’aise, Exvind était mal à l’aise, le voir mal à l’aise la mettait encore plus mal à l’aise… les seuls que le malaise ne semblait pas atteindre étaient les deux enfants protégés de la gêne par leur jeune âge. La brune était tellement embarrassée que son cerveau était passé en mode panique depuis bien cinq minutes et cherchait toutes les solutions les plus polies pour mettre fin à ses souffrances le plus rapidement possible.

— Han… Merci Valco ! C’est très gentil à toi !

Roucoula-t-elle pour la forme en retournant un grand sourire vers le gamin.

— Ça aurait été avec grand plaisir mais je dois manger plus tard avec des amis… mais bon, comme ça tu pourras manger tranquillement en famille !

Mensonges, mensonges, mensonges… du début à la fin. Pas de plaisir en perspective, pas d’amis au programme… Elle espérait juste que leur repas soit bel et bien tranquille pour ne pas avoir l’impression de débiter que des mensonges. Tout ce qui attendait la jeune femme ce soir, c’était un repas en solo sauf si Sid ou Aileas lui proposait de la rejoindre et une bonne séance de visionnage de vidéos d’explosions de fruits pour se remettre de ces horribles minutes de socialisation malaisante.

— Allez ! Chacun une proposition et on remballe.

Si tout ce cirque ne prenait pas fin dans moins de cinq minutes, elle prétexterait avoir reçu un message l’obligeant à fermer boutique manu militari. Elle préférait mille fois jouer la carte de la lâcheté et fuir la situation à coups de mensonges plutôt que d’avoir à endurer cela plus que nécessaire. Plus tôt cette partie serait terminée, plus vite son calvaire prendrait fin. Puisque l’exaspération manifeste ne marchait pas, elle décida d’opter pour une approche plus douce.

— Valco, ton frère a fait une tentative en premier tout à l’heure, pourquoi est-ce que tu ne te lancerais pas ?

Demanda-t-elle au plus jeune avec douceur.

— Tu sais que ce n’est pas monsieur Olive, que ce n’est pas dans le jardin d’hiver et que ce n’était pas avec un poignard. Quelle est ta déduction ?

« Arrêtez de tourner autour du pot, tous les deux ! » Le relatif éclat de voix de Nova passa presque inaperçu. Les deux enfants lui lancèrent un bref coup d’œil avant de reprendre leurs chamailleries et tu te mis à te tordre les mains d'autant plus que tu sentais que la jeune femme ne serait pas celle qui parviendrait à calmer tes deux fils. L'excitation de Valco allait se répercuter jusqu'à l'heure du coucher où il serait invivable et fatigué et refuserait probablement de se glisser sous la couette tant que les autres ne l'auraient pas rejoint. Tu te crispais d'autant plus lorsque l'enfant se mit à proposer à la jeune femme de vous rejoindre et tu fermais les yeux de toutes tes forces en espérant que celle-ci ait quelque chose de mieux à faire, refuse tout bonnement ou trouve un moyen de se dépêtrer de cette situation. Tu allais devoir signaler aux deux enfants qu'ils ne devraient plus se rendre chez la jeune femme, non pas parce qu'elle était une mauvaise influence pour eux mais parce que l'inverse semblait être d'autant plus vrai.

« Han... Merci Valco ! C'est très gentil à toi ! » Le benjamin, déjà rayonnant de fierté, autant pour le compliment que par l'idée d'avoir réussi à la faire pencher à sa faveur se redressait pour se tourner vers toi et te demander de regarder ce qu'il y avait au menu. « Ca aurait été avec grand plaisir mais je dois manger plus tard avec des amis... » La bouille heureuse de l'enfant se tordit et sa bouche pris une position contrariée, les yeux déjà humides. La frustration était palpable dans la cabine et tu soupirais. Olek te lançait un regard, un sourcil arqué et un léger signe de tête vers son petit frère. « Comme ça tu pourras manger tranquillement en famille ! » Cela n'eut pas l'air de convaincre l'enfant qui croisait les bras en vous lançant un regard en coin. « Papa et Olek vont discuter de leurs trucs et j'aurais pas le droit de prendre de dessert et puis Szill et Sinjir ils sont pas là et je serais tout seul et c'est nul et j'en ai marre ! » La fatigue avait déjà commencée à s’appesantir sur les épaules de Valco qui ne se retenait probablement de taper du pied que par la conscience que personne ici ne la lui passerait. « Tes amies ont qu'à venir aussi ! »

Tu soupirais. Tu avais pensé à tort que le malaise ne pouvait pas s'accentuer. C'était sans compter sur le mal-être de Valco et son entrée dans la pré-adolescence. « Valco, je crois qu'elle n'a pas envie d'avoir un petit garçon avec elle lorsqu'elle va voir ses amis. » La pauvre Nova complètement oubliée sur le côté continuait d'essayer de les inciter à jouer pour finir la partie alors que les enfants étaient trop occupés à se faire face. Sa proposition à Valco lui passa au dessus de la tête tandis qu'il ouvrait la bouche, offusqué et blessé par la remarque d'Olek : « T'es même plus assez mignon pour que ça soit intéressant de t'emmener avec elle. »

Tu te passais une main devant la bouche, pesant le pour et le contre de la fuite, laisser Nova gérer la crise de Valco qui semblait osciller entre les larmes et la détresse tout en vous observant tour à tour à la recherche d'un soutien physique ou verbale. « Olek! » Celui-ci haussait les épaules en regardant ses indices. « Y'a que la vérité qui blesse. »

Le respect venait de se prendre une comète de plein fouet. Plus personne ne l’écoutait – enfin, peut-être le père mais Nova préférait se dire qu’il était concentré sur ses enfants et non sur l’échec de sa tentative. En tout cas, elle pouvait mieux supporter la situation en partant de ce principe.

Elle lâcha complètement les cartes et se mit à pianoter nerveusement sur la table en regardant les deux gamins s’échanger des piques. Le visage défait du plus jeune lui brisait le cœur mais elle ne voyait pas comment elle aurait pu faire autrement. Elle pouvait tout à fait comprendre qu’il n’apprécie guère être mise de côté par son frère et son père mais elle ne pouvait pas les accompagner pour tenir la chandelle. Mais le voir si triste appuyait sur un point sensible dans son cœur. Et en même temps, elle n’avait vraiment pas envie d’y aller. Que faire ? La brune ne pouvait pas gérer une crise. Elle était déjà incapable de gérer une partie de Cluedo, bon sang ! Pleine d’espoir, Nova jeta un petit coup d’œil en direction de l’entrée de sa cabine, vers Exvind, pour y trouver du soutien mais fut ravie de découvrir qu’il avait l’air aussi démuni qu’elle face aux deux garçons.

— Enfin, Olek… C’est vraiment pas sympa de dire des choses pareilles…

Souffla-t-elle, éberluée de l’entendre dire de telles méchancetés à son petit frère. Ceux qui avaient des frères et sœurs ne semblaient pas assez réaliser à quel point ils étaient chanceux en comparaison avec ceux qui avaient grandi seuls. Jetant un regard perçant à l’ainé, elle contourna la table pour aller s’accroupir à côté de la chaise de Valco et passer ses mains sur ses bras pour le réconforter. La partie était morte et même si elle refusait de se joindre à eux pour le diner, elle voulait faire quelque chose pour que le petit garçon ne reparte pas triste et frustré par la perspective de sa soirée.

— Écoute Valco, ce soir, je ne peux vraiment pas me joindre à vous et j’en suis désolée, mais tu sais quoi ?

Avec un sourire encourageant, Nova se pencha vers l’oreille du petit, cachant ses paroles de sa main pour qu’il soit la seule à l’entendre, et murmura :

— Viens me voir un jour à l’atelier sur l’Helios. Tu sais où c’est ?

Elle se recula un peu pour voir si la réponse de Valco avant de continuer sur sa lancée.

— Si ton père est d’accord, je te ferai faire le tour des champs fruitiers et je te donnerai des fraises. Et on ira manger ensemble après, au réfectoire des maraîchers. Tu es partant ? On fait ça ?

Et pour la forme, elle se sentit obligée d’ajouter en se relevant :

— Et n’écoute pas ton frère, tu es toujours un petit garçon tout ce qu’il y a de mignon.

Pour ne pas faire de jaloux et surtout ne pas mettre Olek sur la touche – même s’il l’aurait un peu mérité, juste histoire de –, elle passa sa main sur son épaule sur son chemin pour retourner à sa place et dit :

— Toi aussi tu l’es… quand tu n’es pas méchant avec ton frère ! Et vous me devez tous les deux une revanche de Cluedo, ok ?

Par tous les trous noirs de la galaxie, Nova espérait que cela suffirait pour désenvenimer la situation et faire en sorte que tout se termine vite.

Un éclat de jalousie te piquait le cœur lorsque tu vis Nova contourner la table pour prendre ton fils dans ses bras. L'idée que Valco, le seul à réellement t'avoir appelé papa, du moins en premier et sans avoir l'air de le regretter, se sente mal en votre compagnie te rendait toi même malheureux, même si tu commençais à remettre en question toutes ces sorties qu'il faisait entre amis. Était-ce pour mieux s'isoler, vous fuir et se trouver des gens qui lui accorderaient toute leur attention ? Tu fis quelques pas dans la cabine pour te rapprocher d'eux, oubliant un instant que tu souhaitais surtout te tenir éloigné des problèmes pour plus t'intéresser à tes deux cadets. « Écoute Valco, ce soir, je ne peux vraiment pas me joindre à vous. » Quel dommage que tu faillis persifler, mais tu savais que cela ne ferait qu'envenimer la situation et tu préférais laisser Nova décanter elle même l'enfant, voire le rendre elle même malheureuse pour qu'il puisse oublier un instant que votre compagnie ne l'enchantait guère. La discussion en sourdine entre les deux te fit froncer le nez. Dans quelles messes basses les deux se liaient-ils dorénavant ? Une peur insidieuse refaisait surface et tu sentais que la situation t'échappait plus que tu ne l'aurais cru. Tu savais que des quatre enfants, le plus naïf et le plus crédule restait et resterait probablement toujours Valco et que le plus de mal risquait d'arriver par là, par sa confiance trop vite accordée et sa manie à laisser passer des informations que tu aurais préféré garder loin des oreilles indiscrètes.

Oh, non pas question. Tu avais déjà suffisamment de mal à garder l'enfant de temps en temps sur le Columbiad pour qu'il ne se trouve une autre nouvelle destination plus fascinante. L'enfant acquiesçait doucement en réponse à Nova et tu tendais la main vers eux tandis que la jeune femme enchaînait. « Si ton père est d'accord, je te ferai faire le tour des champs fruitiers et je te donnerai des fraises. » Ton premier réflexe fut de tout refuser en bloc. Pas question qu'elle ne te vole ton fils plus qu'elle n'essayait déjà de le faire. « Et on ira manger ensemble après, au réfectoire des maraîchers. Tu es partant ? On fait ça ? » Valco tournait déjà la tête vers toi, le regard mouillé, n'attendant que ton aval que tu ne pouvais lui refuser. Tu ouvrais la bouche avant de la refermer. Ton cœur te disait non, mais 6 années sur la flotte et le souvenir de ta propre enfance au contact de vrais plantes dans la ferme de ton oncle ne faisait qu'accentuer l'envie de retourner chez toi, à la maison. Tu finis par acquiescer, les lèvres pincés, déglutissant avant de retrouver ta voix. « Si vous voulez, si … s'il ne vous dérange pas. » L'air victorieux de Valco fut un contraste saisissant avec l'air sombre de son aîné. Tu sentais que cela le démangeait de demander de les rejoindre, mais l'enfant n'oserait probablement pas le faire et attendrait qu'on le lui propose à haute voix.

Valco se serait probablement dévoué si la rancœur – bien que temporaire – envers son frère n'avait pas été le sentiment dépassant son affection pour la famille. « Mouais. » L'air boudeur, Olek s'était replongé sur son terminal, la tête rentrée dans les épaules et la nuque basse. « T'as pas d'autres jeux ? Je le trouvais un peu lent et j'ai pas tout compris, les terriens c'est des gens bizarres, hein p'pa ? » Tu haussais les épaules, bien incapable d'émettre une réelle opinion. Pour toi, le triumvirat, la fédération, la Terre, tout cela était indissociable et tu n'éprouvais pour eux aucune amitié, ni sympathie, mais ce serait juger une culture et une civilisation dont tu descendais basé sur les erreurs des têtes pensantes. « Le jeu n'est peut-être plus adapté aux gens dans l'espace. On cherchera à la cabine les règles du jeu et on verra si on peut l'adapter à notre situation, si tu veux. » L'enfant s'était redressé, les mains déjà tendues vers toi. « On peut pas le faire avec Nova plutôt ? Comme ça elle pourra donner plein d'informations sur l'Hélios et tout ça et toi sur le Colossus et Szill et Sinjir sur l'Argus ! »

De tout son cœur, Nova espérait pouvoir enfin commencer à ranger les cartes et le plateau une bonne fois pour toutes. Exvind avait ouvert la bouche pour accepter – même s’il aurait fallu être aveugle pour ne pas se rendre compte qu’on aurait pu lui arracher les mots à la tenaille que l’effet aurait été le même. À voir la mine renfrognée du plus âgé, elle avait bien compris qu’elle allait devoir faire subtilement comprendre à Valco qu’il ferait bien d’étendre l’invitation à son frère, quitte à l’inviter elle-même le jour où Exvind se dévouera pour amener son fils dans les serres maraîchères.

— Il ne me dérangera absolument pas!

Répondit-elle d’un ton avenant en agitant la main. Nova faillit ajouter que de toute manière il aurait été assez compliqué de déranger les maraîchers qui se trouvaient parfois suffisamment désœuvrés pour créer des boules de plasma avec du raisin mais quelque chose lui disait qu’elle ne charmerait pas le père de famille avec cet argument. Mieux valait laisser croire le commun des mortels que les gens en charge de ce qu’ils mangeaient étaient sérieux et dévoués corps et âme à leur tâche quelle que soit l’heure de la journée ou de la nuit. De toute manière, ils excellaient dans l’art d’avoir l’air occupés lorsque des gens extérieurs venaient visiter leur lieu de travail.

Elle baissa les yeux vers le petit, avec tout son entrain retrouvé, qui lui demandait si elle n’avait pas d’autres jeux. Ses parents avaient sûrement la collection la plus complète de toute la Flotte. Cependant, la grande majorité des jeux qu’ils avaient prenaient du temps pour en voir le bout. Monopoly, jeu de l’oie, bonne paie, Scrabble… tous demandaient un certain nombre d’éléments pour que la partie s’arrête. Après, elle devait bien avoir un jeu ultra corné d’Exploding Kittens qui devait traîner quelque part. Il faudrait qu’elle pense à aller le demander à ses parents, au cas où Olek et Valco voulaient lui rendre à nouveau visite pour passer le temps. S’ils voulaient du rapide, ils auraient du rapide avec ça. Nova sortit de ses pensées pour jeter un coup d’œil à Exvind. Connaissait-il des Terriens ? Oh ! Peut-être même qu’il venait de la planète mère et que c’était pour cette raison que Valco lui avait posé la question. Nova brûlait de lui poser la question. Mais en fille bien élevée qu’elle était, elle allait s’abstenir. Exvind avait beau s’être rapproché de la table pendant l’incident avec le benjamin, il semblait toujours prêt à bondir vers la sortie d’un instant à l’autre. Pour le moment, il était retenu par son fils qui lui proposait de nouvelles activités, et en aillant même la gentillesse d’essayer de l’intégrer à leurs travaux créatifs.

— Oh ça c’est une bonne idée ! Comme ça on aura plus à se creuser la tête pour essayer de découvrir ce que sont les différentes pièces du jeu !

Les mots dépassèrent son temps normal de réflexion. Elle aurait pourtant pu bénéficier d’un petit temps de réflexion. Histoire par exemple de laisser le temps à Exvind de répondre avant d’adopter l’idée telle qu’elle sans le laisser accepter ou refuser. Peut-être qu’il ne voulait pas l’avoir dans les pattes, c’était même plus que probable… Nova baissa les yeux sur la table pour modérer son enthousiasme et récupérer les cartes d’Olek plongé dans son terminal et celles de Valco pour les ranger.

— Enfin… de toute manière vous aurez toutes les informations sur le réseau de la Flotte. Et puis on pourra le tester quand il sera fini.

Ajouta t-elle en modérant son enthousiasme. Elle referma soigneusement la boite du jeu et alla le ranger sur son étagère, là où était sa place avant de se retourner vers le petit groupe, les mains sur les hanches, ne sachant pas trop quoi faire pour gérer la situation. Puis une idée lumineuse s’installa dans sa tête. Nova sortit son terminal comme pour regarder son ménage et régla une alarme pour la minute suivante. Puis elle retourna se poster près de la la table pour s’y adosser. Son échappatoire ne se fit pas attendre.

— Nova, vous avez ”Rendez-vous avec les copines” dans cinq minutes.

Elle se redressa et sortit ostensiblement son terminal pour ouvrir quelques vieux messages avant de le remettre dans sa poche et se relever les yeux vers ses visiteurs.

— Bon, et bien je vais devoir y aller, il faut que je rejoigne mes amis. On se revoit bientôt pour la visite, hein Valco ! Tu viendras aussi Olek ? Et vous me tenez au courant pour le Cluedo, pas vrai?