Des fleurs avaient envahi le Colossus, à c'qui paraît. Des centaines de pétales blanchâtres rampaient sur le métal, poussent sur les cadavres, embaumaient les ruines d'acier. Elle comprenait parfaitement d'où venait cette gracieuse attention, sincèrement - la gamine n'était pas totalement obtuse face aux codes sociaux - mais n'en voyait pas l'intérêt. Là où ils flottaient à présent, ces huit personnes se fichaient certainement de savoir que l'on avait planté des œillets en leur honneur. De magnifiques œillets, certes. Sa mère n'avait prétendu à rien de tel, mais aurait certainement aimée être honorée de blanc, elle aussi. Au moins, leurs noms, auparavant inconnus, étaient à présent gravés à vif sur les lèvres tremblantes des Stellariens. Pas de chance pour eux, ils ne pourront pas profiter de cette soudaine célébrité post-mortem. Tout cela la rendait un peu triste ; comme tout le monde, elle avait été furieuse et désemparée face à l'erreur d'un homme qui a littéralement carbonisé huit vies sur son chemin. Combien de souffles coupés, de corps écartelés et de familles déchirées pour une simple rebuffade ?
Quelques semaines avaient passé depuis ; le choc avait laissé place à une agitation électrique, à une angoisse latente, de celles qui précèdent les grands départs sans retour. Dans le fond, Sid Lazar a obtenu ce qu'elle voulait ; enfin, ils se cassent de cette parcelle de matière noire dans laquelle ils stagnaient depuis vingt-cinq ans. La déception qui l'avait poursuivie durant cette période d'élections avait fini par se disparaître, acculée par les doutes et les peurs qui faisaient à présent leur apparition. Et, Dieu, que le temps pouvait passer vite lorsqu'on était occupé. La brune n'avait fait que courir ses derniers jours, remplir de la paperasse, récolter des infos et opinions, sans toutefois fixer la sienne. Bien que méfiante de Priya, elle devait avouer que celle-ci, malgré tout, était en train d'attirer ses faveurs. Dommage que ce revirement soit arrivé après l'élection, même si son vote futile n'avait été que formalité, au final.
Il y avait quelque chose de sombre dans les yeux de son père lorsqu'elle lui apporta le premier morceau de fruit exotique qu'elle avait pu acheter en toute légalité. Son paternel, figure d'apôtre, aussi droit qu'un guerrier de marbre, n'aurait jamais, au grand jamais, accepté quelque chose qui provenait de la contrebande, quand bien même ceci lui aurait sauvé la vie. Parfois, Sid le détestait juste pour ses prises de position aussi bornées ; pour quelqu'un qui avait dansé avec la guerre et le chaos d'aussi près, on aurait pu penser qu'il serait en mesure de relativiser. Deux lacs d'encre noire la transpercèrent alors qu'elle tendait, un sourire aux lèvres, la chair orangée et pulpeuse ; petit soleil au creux de sa main. Sid l'aurait dévorée, si elle ne voulait pas autant faire plaisir à son père. Petit chiot déçu, elle laissa paraître une grimace interloquée ; quel était le putain de problème ? Son père était un vieux con, certes. Mais depuis tout ce changement, c'était encore pire. Cela faisait quelques années à présent que sa mère était décédée, mais son père semblait encore avoir les pieds ancrés dans son deuil, comme s'il s'agissait d'un petit nuage confortable qu'il se refusait à quitter. Sid prit congés lorsqu'elle accepta définitivement le fait que son père ne voulait toujours pas de sa compagnie.
Cette évidence, qu'elle tentait d'ignorer mais qui lui revenait à chaque fois comme une grande claque brulante dans la figure, lui fit d'autant plus mal qu'elle se sentait extrêmement seule, ces temps-ci. Elle n'avait jamais été très populaire, ni sociable, mais son travail et le jeu lui permettaient plus ou moins de combler les gouffres dans sa poitrine. Et l'opportunité d'une nouvelle planète à coloniser serait peut-être sa porte de sortie, après tout. Disparaître sans rien dire, ce que les lâches savent faire de mieux. Ou aller se noyer dans un grand verre de liqueur chez de spécimen de Crius Serrano, au choix, et pas des moindres. Sid revint sur ses pas, comme un animal alléché par une carcasse toute fraîche. Et c'est vendu, se dit-elle amèrement. "Salut." Sid réussit tant bien que de mal à chopper une place près du comptoir. " Ce que tu as de plus fort, s'il te plait. " Elle se gratta discrètement sous sa perruque. Quelle connerie. " Dis-moi, toi qui as toujours le conseil adéquat..." Sid prit tranquillement une gorgée de... peu importe ce que Crius lui avait amené. Oh, bordel. " Qu'est-ce qu'on fait, avec les vieux cons qu'ont plus goût à la vie ? Tu sais, les hommes mi ombre mi chair, totalement inertes, avec un pied dans le passé et l'autre déjà dans le cercueil ?" Une autre gorgée. " Ça me rend malade."
Sujet: (#) Re: Vieille branche - Crius Mar 29 Mai - 17:33
Y'avait des fois où fallait prendre les devants, certes. Mais là, Sid mettait un peu la charrue avant les bœufs ; une personne normale se serait d'abord posée sous un rayon de soleil paresseux et factice sur l'Hélios, aurait fait le point sur sa situation actuelle et enfin, lorsqu'elle aurait admis le désespoir engendré par l'inéluctable et inacceptable, soit le froid mépris d'un père secret et fantomatique, serait partie dans le bar le plus proche d'histoire de réduire au silence les murmures qui apportaient avec eux les spectres des erreurs passées et enterrées. Les langues fourchues diraient, mais pourquoi allaient s'amasser dans un petit bar obscur, à la frontière entre douce hallucination collective d'un autre part inaccessible et royaume d'un cinquantenaire branlant ? Ouais, Sid se posait la question, parfois. Quel genre d'influence inexplicable l'avait donc poussée à franchir la porte de ce bar qui, comparé aux établissements dorés qui poussaient comme de jeunes fleurs si vite fanées autour du petit appartement qu'elle partageait avec son père, n'avait rien de reluisant ? Le hasard ? La chance ? Tout ce dont elle se rappelait, c'est d’avoir eu la tête si vide, si légère, comme un gouffre sans fond, qu'elle avait marché sans s'arrêter, sans s'en rendre compte. Elle aurait aimé pouvoir se perdre, mais c'était chose impossible pour une enfant éduquée à l'intérieur même des entrailles de fer.
Les arcs en ciel effleuraient sa peau comme si une enfant avait bombardé une terre d'ocre de pastels un jour de pluie et d'ennui. Malgré le bruit et l'agglutinement de la foule, toujours centrée autour du maître de la maison, l'ambiance restait feutrée. Était-ce dû aux douces attentions de Crius envers chacun, habitués comme anonymes, se montrant en cet endroit ? Toujours était-il qu'elle se sentait comme invisible ; rien de plus normal : personne n'aurait fait attention à une jeune fille au teint grisâtre, aux cheveux ras, à la silhouette froissée et étrangement rabougrie pour son âge. De plus, Sid n'avait absolument pas envie qu'on la remarque. Elle était un soleil discret, à demi éteint, qui brillerait que pour une seule personne en cette fin d'après-midi. Elle ne regrettait aucunement d'être ici. Les idiotes et les poivrots ne regrettent jamais rien, du moins pas dans le feu de l'action.
Crius s'extirpa de ses bouteilles et de ses verres comme un contorsionniste aux guibolles d'acier ; une drôle d'araignée imposante, qui en a vu d'autres, qui en a vu plus que toi. Sid prenait un plaisir inexplicable à le regarder travailler : sans doute était-ce lié à l'effet maître dans son royaume. Une sorte de fascination un peu malsaine et obsessive, m'voyez. Dans la transparence de ses apparences brutes demeurait une sorte d'élégance indéniable, comme celle d'une danseuse étoile au corps d'haltérophile. Ouais. Comme une danseuse étoile dans un corps d'haltérophile, exactement. On ne pouvait dire la même chose de sa propre personne, malheureusement ; sa posture d'adolescente blasée mais rebelle ne l'avait jamais quittée, comme une seconde peau encore assez souple pour qu'elle puisse la supporter. Regard vivace, presque épileptique et les épaules en avant, comme pour parer le premier coup qui voudrait l'atteindre. Un drôle d'air un peu méfiant ; animal traqué sans jamais avoir vécu la violence. Masque arraché sur le visage de sa mère, plus par mimétisme qu'autre chose. Un héritage comme un autre, somme toute.
Le maître des lieux attrapa habilement un petit verre, si petit que même un lilliputien ne pourrait nourrir l'espoir de s'y noyer et jongla comme un artiste de rue avec une bouteille qui semblait remplie de miel. Sid savait bien que Crius aimait servir ses trésors liquides et en faire un petit spectacle. Si elle s'était prêtée au jeu, elle aurait sûrement tout cassé : la pauvre n'avait jamais été réellement coordonnée ou réactive ; seule la couture était assez calme pour qu'elle puisse s'y consacrer sans faire pleurer les veines de ses doigts toutes les cinq minutes. Tandis que Crius prenait tranquillement une posture d 'écoute, bien que son air apaisé et confiant trahissait une certaine agitation, sa gorge prenait feu. « Waw, céleste catin... On en a pour son argent, avec ça. C'est bon, mais ça décape. » Sid avait du mal à comprendre que certains puissent en boire jusqu'au malaise. Elle toussa sous le regard amusé de quelques vieux pirates à la bouche lacérée ; elle avait l'impression d'avoir dix-sept ans à nouveau, alors qu'elle buvait des bières en cachette avec Saga. C'était il y a un bon moment déjà, mais elle s'en rappelait avec une sorte de mélancolie qui est commune aux souvenirs visqueux de l'adolescence. La sagesse de vieil ours ne l'avait pas préparé à la question qui, elle l'admettait bien volontiers, était à la fois déplacée et inattendue. Un peu du genre, toi aussi, t'es un vieux con, tu comprendras facilement. Elle regardait parfois Crius comme elle regardait son père et c'était une très mauvaise habitude, elle le savait parfaitement. Un peu comme mettre trop de sucre dans le café pour en dissimuler l'amertume. Une habitude de lâche.
Alors qu'elle écoutait son ami dispenser ses leçons de vie, elle avala une dernière gorgée, comme un enfant tête le sein de sa mère. Quelques secondes avaient finalement suffit pour qu'elle s'habitue au goût. Elle ne put s'empêcher de rire, un peu bêtement : Crius rentrait bel et bien dans sa propre définition du vieux con, mais auquel on s'attache. « Mon vieux con est la source même de mon malheur et fait comme s'il était sourd et muet ; visiblement, y'en a plusieurs espèces. » ironisa t-elle, pas sûre de savoir si tout cela faisait de son paternel un égoïste désespéré et déprimé, en fin de compte. Heureusement qu'il y a Crius à qui les égarés peuvent ressasser leurs anecdotes : parfois, Sid est curieuse de tout ce qu'on peut lui confier, à cette oreille attentive. Pour sûr, il devait en entendre des vertes et des pas mûres. « Une fine abeille bien psychologue. Tu pourras peut-être te reconvertir, si un jour tu te lasses d'entendre balbutier des ivrognes en recherche de consolation et d'affection. » C'était un peu dur, certes. Elle aussi, était en recherche de consolation. Mais pas d'affection. Les Lazar pouvaient vivre sans cela : ils étaient immortels dans leur indifférence. Évidemment qu'elle parlait de son père ; oui, un vieil amant aurait pu lui briser le cœur, mais c'était pas le genre de la maison. Elle ne les enlaçait pas assez longtemps pour qu'ils en aient le temps. « Je pense que l'on porte toujours un jugement cruel sur ce que l'on a peur de devenir, » déclara t-elle d'un ton étrangement saccadé, comme si elle réalisait une acerbe vérité à ce même moment. « Sinon, on s'tairait et on laisserait faire. » conclut elle distraitement. Elle avait à présent envie d'éluder la conversation, comme une gamine boudeuse, mais elle n'était pas venue ici pour jouer à cache-cache. « Ouais, mon père. Enfin, pas sûr qu'il ait jamais eu envie d'être. » Sid marqua une pause, d'une manière qui laissait penser que la situation, malgré sa pérennité, restait incompréhensible à ses yeux. « Je pense que Papa a toujours été ainsi... j'en sais rien. J'peux à peine t'en parler, c'est un mystère total. Je ne sais rien de lui, alors comment j'pourrais expliquer ou comprendre pourquoi il ne veut pas de moi ? Il m'a donné un nom, mais c'est probablement tout ce qu'il me léguera. Il est comme ma mère, il partira en silence et avec tout ses mystères. Et moi, j'ai pas le cran de l'affronter, de lui demander pourquoi est-ce qu'il se tait constamment, pourquoi est-ce qu'il semble perpétuellement en colère contre tout et n'importe quoi, comme si le Triumvirat continuait de le persécuter des années après. Il a essayé de construire quelque chose ici, je le sais, car sinon, je ne serais pas là. Mais y'a quelque chose qui le retient dans le passé et impossible de savoir quoi. » Une mélodie dithyrambique qui l'avait laissée assoiffée ; l'engourdissement qui la pénétrait à présent était sans doute ce que l'on ressentait quand on lâchait toutes ses vérités aux quatre vents.
Des balourds la poussaient, la tutoyaient, l’effleuraient avec la brutalité des hommes ivres. La ruche grouillait de sourires béats et de regards hagards : pendant un instant, le bar perdit la convivialité qui lui était propre. Néanmoins, l’atmosphère restait légère : elle connaissait suffisamment Crius pour savoir pertinemment que les troubles-fêtes et les ivrognes invétérés n’étaient pas les bienvenus par ici. On la poussa de nouveau, sans force ni grande méchanceté. Sid se demanda distraitement si elle était devenue si invisible que cela. Les récents événements lui avaient inculqué une idée simple : la discrétion était l’apanage des grands. Ne pas trop ouvrir sa grande bouche, faire en sorte que son regard reste affûté, ses sens aiguisés et son esprit alerte. Mais bon. Rares étaient les curiosités à la Ruche. On y croisait souvent les mêmes habitués, à la recherche d’un petit quelque chose d’intime et qui rappelait leur foyer. Cela n’en faisait pas pour autant l’endroit idéal pour contempler sa vie et ses acteurs qui s’en désolidarisaient petit à petit. Oui, certains aimaient juste ressasser le passé, ignorer délibérément le présent et craindre l'ombre d'un futur incertain en se noyant dans un fond de whisky posé brutalement sur le comptoir. Sid, quant à elle, préférait profiter de l'amitié qui la liait au baron qui officiait en ces lieux et de s'abreuver de ses conseils et fables généreusement dispensés.
Elle tapota du bout des doigts son verre; elle buvait moins, jouait moins, mentait moins. Tout ça parce qu’elle avait la flatteuse impression que la petite Astéria la regardait d’un œil admiratif. Après tout, elle était sa tutrice de stage. Il fallait donc qu’elle soit irréprochable. Le fait que quelqu'un la prenne pour exemple continuait de l'abasourdir. Elle se rappelait avoir sauté de joie lorsque Astéria lui avait demandé si elle l'acceptait comme stagiaire. Oui, oui, mille fois oui, s'était-elle époumonée avec entrain. Elle ne savait pas du tout faire dans la demi-mesure. Souvent, elle se demandait d'où ce sens de l'exagération pouvait donc provenir. Sans doute pas de son père. Rigide comme un militaire. C'est pour ça qu'elle aime bien Crius. Il y a une facette de Crius qu'elle ne pourra jamais comprendre. Une trop grande fracture entre leurs deux vécus. Par contre, à lui, on peut lui parler. Sid sentit bien que sa réaction en goûtant l'alcool l'avait vexé. Elle sourit, doucement, puis se met à rire, un rire de gamine fatiguée et dévergondée. Mauvais mélange. L'image de Seo s'imposa à elle en étoile filante, comme pour lui dévoiler son hypocrisie. S'en prendre à son père alors qu'elle même était sur la bonne voie pour agir comme lui... Fort de café.
- Désolée. On nous sert tant de pisse ailleurs que quand on goûte un vrai truc, ben... marmonna t-elle, un peu gênée.
Sid écarta les bras d'un air plus ou moins désolé, ses lèvres charnues tordues en une grimace cocasse et enfantine, comme si ça pouvait remplacer un argument digne de ce nom. Elle n'arrivait même pas à déterminer si la liqueur était bonne ou mauvaise, mais dans tous les cas, sa gorge brûlait encore un tout petit peu et c'était sans doute un gage de qualité. Sans doute. C'pas comme si elle y connaissait grand-chose. A force de se prendre de passion de manière inopinée pour environ trois trucs différents par moi, elle avait fini par devenir spécialiste en tout et à rien à la fois. Qu'est-ce qu'elle y pouvait ? Elle s'ennuyait facilement et dès que son esprit n'avait plus rien à remuer, elle devenait pétrie de mauvaises intentions.
M'enfin. Elle n'était pas là pour se faire enguirlander par le maître des lieux, mais bel et bien pour se ronchonner.
Bon, elle était aussi à la recherche de conseils que des amis de son âge n'auraient probablement pas été capable de lui fournir.
Mais elle était aussi ici pour ronchonner auprès de son paternel. Elle avait entendu que râler prolongeait l'espérance de vie. Autant mettre toutes les chances de son côté, non ? Comme elle n'avait pas pu voir sa mère se flétrir, Sid n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait éventuellement devenir et merde, ça lui faisait peur. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était observer son père afin de déterminer si elle se montrerait totalement apathique face à la vieillesse ou au contraire, si elle deviendrait une casse-pompes en puissance. Ce qui l'angoissait le plus, c'était de se transformer en un vieille mégère aigrie, au visage parcheminé et avec une hygiène douteuse. Parce qu'à sa connaissance, on ne guérissait ni la connerie et ni l'amertume et c'était bien dommage, d'ailleurs. Crius lui faisait son tour de charme, sourire à demi, clin de vieux renard, surnom mielleux. Sid le trouve charmant, il a une gueule taillée à la serpe d'acteur de cinéma terrien, ceux qui font balbutier les gamines derrière leurs écrans, ceux qui jouent leurs scènes d'action sans doublure, une cigarette qui calcine leur souffle en prime. Ouais, elle le préférait largement derrière son bar qu'arborant fièrement une blouse blanche. Sid n'aime pas les médecins. Elle les trouve inquiétants.
Crius lève un verre, comme un mot en suspens. La lumière tamisée du bar s'y reflète avec paresse. Elle cligne des yeux. Elle regrettait d'avoir lancé le sujet, elle aurait préféré être ivre morte et se mettre à pleurer afin de pouvoir justifier ses ridicules épanchements. Même pas le temps de s'insulter mentalement de tous les noms que son ami l'interrompt presque. Sid savait très bien que ce n'était pas du manque d'empathie mais seulement un peu de pragmatisme, ce dont elle avait bien besoin, mais ce que Crius lui conseillait était malheureusement plus facile à dire qu'à faire.
- Tu me connais, ça j'sais pas faire. J'aime mieux fuir. C'est plus confortable, la fuite. soupira t-elle en haussant des épaules.
Son indépendance n'était pas une force mais bel et bien une voile de vulnérabilité.
- Je ne sais pas comment m'y prendre. Discuter avec mon père c'est comme traverser un ravin sur un fil tendu. T'as les yeux bandés, tu sais pas quand tu tomberas, mais comme ce n'est qu'un trou, tu vas tomber à coup sûr, tu vois ?
Elle sentit ses doigts épais et gracieux à la fois sous la courbe de son menton. Elle ne pouvait pas s'empêcher de désirer cette attitude paternelle mais jamais condescendante, cet aperçu bref de ce qu'elle aurait pu avoir, ailleurs, dans une autre vie, un sentiment dont d'autres êtres qui partageaient peut-être son ADN avaient pu jouir, des années en arrière.
Elle était jalouse. Jalouse de fantômes inatteignables, quoi de plus ridicule ?
- Je veux pas qu'il mette son ancienne vie à la poubelle. Mais ce sont des souvenirs. J'suis peut-être pas ce qu'il désirait mais j'suis son présent et son futur et ce qu'il lui reste malgré tout, chuchote t-elle, tête baissée, prise en faute.
Elle ne préférait pas se demander si elle n'est là que grâce au désir de sa mère. Peut-être. Sûrement.
Elle savait que Crius apercevait quelque chose, quelqu'un d'autre lorsqu'il la regardait, lorsqu'il avait ses doigts en fleur autour de son visage, peut-être qu'il volait ses traits, les brouillait au charbon et les transposait sur un visage connu et inconnu à la fois. Elle ne savait pas quoi en penser. Elle aurait du trouver cela malsain, ça l'était sûrement. Mais elle était tout aussi fautive et ne jetterait pas la première pierre.
- Je... Je sais pas quoi dire. répondit-elle tout simplement. Tu veux en parler ? De ton enfant, je veux dire ? demanda t-elle en se grattant la tête et en se demandant si c'était inapproprié.
Comment répondre à la nostalgie qui se débat dans les inflexions tranquilles de Crius, que dire de son enfant qui n'était pas là et comment envisager la probabilité qu'elle ne sera jamais capable de renouer le dialogue avec son père ? Il y avait forcément un fil d'Ariane auquel elle pouvait se raccrocher, grâce auquel elle pourrait retrouver son père dans la grotte de silence dans laquelle il s'était réfugié.
- C'est peut-être un vieux con, mais moi je suis une gamine idiote. Au moins, je m'en rends compte ! ricana t-elle sans joie.
Spoiler:
JE SUIS TELLEMENT DESOLEE. J'ai été débordée et je n'arrivais pas à l'écrire breff j'espère au moins y avoir injecté un minimum de feels