En traversant le troisième pont de son escapade sauvage, Crowley jeta un premier coup d’œil par-dessus son épaule. Ce n’était pas tant l’abandon de poste qui le rendait légèrement nerveux que la facilité déconcertante avec laquelle il semblait avoir échappé aux recrues dépêchées pour garder un œil sur lui et ses potentielles activités. Jamais Crowley n’aurait remarqué la surveillance à laquelle il était soumis si ce n’était pour la maladresse débordante des deux jeunes rookies dont le manque crucial de poker-face avait ruiné leur filature depuis day 1. Depuis son arrivée il s’amusait à balader les pauvres bougres d’un bout à l’autre de l’Argus, disparaissant momentanément pour réapparaître aux passerelles opposées. Si le jeu l’avait amusé pendant une petite semaine, Crowley s’était rapidement lassé de la situation – son ennui avait des limites plus restreintes encore que les ponts des vaisseaux. Le matin même, il s’était présenté à son poste, avait déchargé le minimum légal comme à son habitude, s’était débrouillé pour intimider un collègue qui passait là et avait posé un pied sur la passerelle la plus proche.
Maintenant, Crowley en était à son troisième vaisseau et il commençait seulement à se demander s’il ne s’était pas un peu perdu. L’agitation qui régnait dans les couloirs était particulièrement vibrante. L’élection récente de Pryia Mugheri et l’euphorie qui avait suivi n’avait pas tout à fait fini de s’estomper. Le visage de la nouvelle amirale était présent aux quatre coins du Nœud : poster, tract, le papa Noël dans tous ses états. Crowley pestant se fraya un chemin parmi un groupe de jeunes gens enthousiastes, et s’éloigna aussi rapidement que possible dans des méandres de couloirs moins occupés, jusqu’à ce que le nom du Colossus 5 attire son attention. Le hangar principal lui tendit soudainement les bras et Crowley réprima un hoquet de surprise, d’admiration et de plaisir. L’endroit sentait l’huile, et la vieille peinture, le genre à vous filer quarante cancers dans les trois ans sans ingestion. Il y régnait une ambiance tendue, une atmosphère presque délicate à rappeler la pose d’explosifs de guerre ou le nettoyage de litière. Peu de conversations, beaucoup de regards en coin. Un manque cruel d’hygiène et des miliciens tendus. Crowley se sentit tout d’un coup chez lui et entama trois pas de dance sous le regard perplexe d’un jeune mécano. « There’s no place like home, says Dorothy. », il déclame en tapotant l’épaule du gosse.
Mains derrière le dos, avec l’air de propriétaire qui lui était si naturel, Crowley descendait les allers du hangar comme s’il consultait la marchandise, un œil expert sur le visage et un sens des affaires qui n’avait pas mis longtemps à lui revenir. Il s’émerveillait de sa trouvaille, de ce vaisseau qu’on avait définitivement voulu lui cacher. Comme un pied de nez du destin, alors qu’il s’apprêtait à étendre ses contacts locaux en accostant un robuste bonhomme à la moustache hérissé, son nom résonna dans le hangar. « CROWLEY ! » Ledit Crowley se retourna sourcil levé pour apercevoir les deux rookies dévalant l’allée jusqu’à sa rencontre. Merde, se dit Lou, avant d’hurler en retour : « C’est CAPITAINE Crowley, d’abord. » Et sans attendre de se faire attraper, il les devança en déambulant entre les vaisseaux accostés là, s’excusant à outrance de se frayer un chemin quelque peu costaud parmi la crème de la crème du Nœud. Sans plans et sans sortie de secours, Crowley comptait sur la chance pour lui envoyer un signe, un visage connu, un évènement sordide ou tout simplement un café et trois tartines, parce qu’il avait oublié de manger ce matin et qu’il commençait sérieusement à crever la dalle.
Sujet: (#) Re: [EXPLOSION] Karma is like a hard slap on a sunburn (pv) Mer 2 Mai - 14:59
Crowley entend son nom. Il se retourne. Normal, c’est son nom, il manquerait plus qu’il réponde à Joseph, Henri, Ponsardin, yo bitch, hé toi là. Ça ne l’empêche pas d’avoir le même running gag depuis trente ans, et à tous ces inconnus jurant le blasphème d’une déité depuis longtemps confondu ou oublié, de répondre aux Mon Dieu par des tonitruants « Oui ? »
Ça ne l’empêche pas non plus de répondre à motherfucker. L’insulte a franchi les lèvres d’un autre que lui, d’un type déglingué à l’aspect revêche, néanmoins classieux dans la posture, que Lou ne remet pas tout à fait. Il comprend bien que l’insulte – et la question – s’extirpent des bas-fonds d’une mémoire sans doute vivace, d’un clair besoin d’afficher : un, la surprise ; deux, l’apparente mauvaise relation sur laquelle ils s’étaient laissés. Il ne sera pas le seul. Mais Crowley a l’arrogance de ceux qui oublient vite le malencontreux et les prises de bec, aussi rapidement qu’il a oublié que les deux soldats étaient sur ses talons, et fronçant les yeux comme pour faire la mise au point sur la bouille grisaillant du bonhomme, entonne un « On se connait ? » presque poli. Ça ne l’étonnerait pas plus que l’autre sorte de sa poche le plus gros calibre de la galaxie – parce que oui, il y a des gens comme ça qui inspire plus facilement que d’autre à des raccourcis du style.
« Sillo… Solstice… …Serrano ! » s’écrit Crowley, qui vient de se faire remettre les idées en place par un moyen mnémotechnique des plus ridicules – il n’avait jamais été bon pour retenir les prénoms, mais celui-là resterait gravé dans sa mémoire. « Comme le jambon cru… » Murmura t-il avec le ton allumé de ceux qui ont aperçu les couilles de Jésus. Étrangement, le reste est encore civile, parfaitement cordiale. Il y a un échange de regard entendu, comme un clin d’œil au grisonnement de leurs barbes, un bon début de vieillesse qui a décidé que cette histoire était bien drôle finalement. Puis l’autre pointe un doigt inquisiteur, déclame de belles mises en garde, et s’en vient souffler le vent d’hiver. A déraciner les grands sapins verts, et un Crowley désarçonné qui vient s’envoler sur quelques mètres, retombant dans la poussière.
Il a les oreilles qui font un drôle de bruit et l’oreille interne qui s’est fait la malle lorsque ses bras le soulèvent et ses jambes s’amusent à le balancer d’un bord à l’autre. Il faut qu’il s’agrippe à un morceau de vaisseaux qui gît là, son propriétaire la gueule ouverte, les bras manquants, arrachés à une sieste tranquille. Du coin des yeux, il cherche la gueule du bout en train et de ses répliques explosives. « Crius, c’est pa-aaaaah AH. » Commence et termine Lou en apercevant la carlingue, les morceaux de nerfs robotiques, la tête atterrée de Jambon Cru pour qui ce n’était vraiment pas le jour. Y’a des gens comme ça, la poisse, la sale gueule, l’intelligence d’un plancton et tout. Crowley met une jambe (et se réjouit à cette pensée) devant l’autre, c’est hésitant, il a les bras en croix comme s’il essayait de comprendre la gravité ce con, lui qui s’amusait à deviner la météo avec des grenouilles en cours de physique. Il a encore la tête qui tourne et l’oreille interne qui fait des drôles de bonds. Il vient s’affaisser devant Crius en soufflant comme une baleine. « Bah mon cochon, tu t’es bien arrangé. » Il met une pichenette dans un des membres éméchés. « Eh, un mètre de plus sur la droite et c’était moi qui prenait. Encore une chance. J’te connaissais valeureux mais pas magnanime. » Son dos tombe contre la courbe du métal, alors que ça gueule et ça crie et ça chiale tout autour d’eux, un chaos ambiant que Lou ne semble pas relevé, l’habitude peut-être, le choc plus sûrement. Il a l’impression que ses os font des claquettes et c’est une main tremblante qu’il tend vers la gueule de Crius. « C’est de moi ça ? C’est nouveau en tout cas. » Lance-t-il en pointant du doigt les deux pattes robotiques (ce qu’il en restait). Il avait aussi mauvaise mémoire des bobos qu’il avait des prénoms.
Spoiler:
je m'excuse encore une fois pour ce retard délirant
Sujet: (#) Re: [EXPLOSION] Karma is like a hard slap on a sunburn (pv) Jeu 9 Aoû - 18:35