Crius & Ambroise | 3 mars 2227 | Cassiopée, c'est de l'art passionnel, des romances à t'en faire frissonner, tremper tes draps. Sérieux, ça vous retourne un homme.  

Tu as été vu en train de secouer la tête, marionnette cassée, parlant tout seul, tout au long de la journée. Un ou deux habitués t’as traité de vieux fou avec une affection toute particulière et ça t’a coupé le sifflet pendant quelques secondes, avant que tu te surprennes à recommencer, à « tttt..tssss… » tout seul, plongé dans tes pensées, ton regard exercé surveillant les centilitres que tu verses d’une main de maître. Les cicatrices sur tes joues, elles se perdent sous le rouge, et tu n’aimes pas ça. Tu n’aimes pas perdre tes moyens et ton calme, tu n’aimes pas que tes émotions ressurgissent surtout pour t’embarrasser en public. Tu n’aimes pas sourire comme un con de dix-sept ans, non plus. Mais tout le monde a ses faiblesses, et si l’amour est une longue dégringolade de sourires qui s’affaissent et de désillusions, de corps mécaniques, depuis une quinzaine d’années maintenant, il y a encore des trucs qui font battre ton cœur comme si aucune année n’était passée. Plus encore, maintenant que tu sais à quel point c’est précieux. Cas numéro un : lorsque tu écris. Tu vibres comme si tu aimais en cher et ne os. Mais c’était privé, vois-tu ? Personne ne le sait, à part Charlie tandis que tu fais les cent pas dans ta cabine, en goûtant les mots sur ta langue, en singeant dans le vide les mouvements des étreintes.

Mais tu aimes ses mots à lui quand il parle de tes mots, et que sa voix suave donne vie au dialogue que tu récites dans le vent. Tu penses souvent à lui demander d’animer un livre audio de ses créations, puis une émission radiophonique te rappelle à quel point c’est foutrement embarrassant. Et agréable.  Tu écoutes Stellarian Tonic dès que Ambroise est sur les ondes, bruit de fond familier de la Ruche, et tu te racles la gorge sans y penser à chaque fois que Cassie est nommée. Cela ne t’as pas empêché de jurer pendant la journée bougre d’idiot, petit con d’espèce d’enfoiré, ni de faire glisser un shot sur le comptoir de métal patiné par les usages, jusqu’à Ambroise. Le geste est parfaitement délibéré pendant que ton ami s’installe près du comptoir, mais que tu l’ignores des yeux et de ton attitude. Ce n’est pas ta meilleure liqueur, puisque de toute façon, tu y as gracieusement ajouté du tabasco, vengeance gratuite. Assez pour piquer comme les mots crus conjurés derrière l’anonymat sans visage, juste assez pour ne pas gâcher le goût de l’alcool, tu tiens à te classiques. « - Je suis sûr que t’es content de toi, hm ? » Tu lâches, tandis que tu rapatries derrière le bar un verre vide et une bouteille laissée par un client déjà rentré chez lui. Tu le fixes, et on pourrait croire facilement que tu l’as l’air mauvais, le regard noir alors que tu le fixes et te pose à demi sur ton tabouret, les bras croisés.  Mensonge alors que tu combats difficilement ton sourire, mordillant l’intérieur de tes joues malgré le sourire éternel de tes cicatrices, et l’immuable pétillement de ton regard. « - Je te pensais trop vieux pour mouiller tes draps. » Provoques-tu à voix basse, une moue faussement appréciatrice de cette confession audible par toute la flotte.