Le sommeil est ponctué de détestables réveils qui, à chaque fois, plonge River dans une profonde frustration. L’esprit s’agite, divague, songe bien trop. Il suffit d’un caillou sur sa route, d’un obstacle pour que la rousse agite ses méninges à la recherche d’une solution efficace mais discrète. Son esprit semble être une machine aux méandres complexes, qui arrivent rarement à trouver un moment de quiétude, à se mettre en veille. Lorsque les côtés scientifiques, relents de son passé d’ingénieur, ne font pas surface, ce sont toutes ces combines politiques et gymnastiques mondaines qui prennent le pas sur un sommeil réparateur. La chose arrive suffisamment fréquemment pour que sa santé en soit affligée, même de façon mineure. Elle soupire, allongée sur le dos, sa tignasse rousse en bataille, blotti sous des draps sentant un doux parfum fleuri, fraichement changés ce jour, alors qu’elle fixe le plafond sombre de sa luxueuse cabine. Elle tourne, une fois, puis une deuxième, en comprenant que de toute manière, elle n’arrivera pas à se calmer de si tôt. Aussi, elle se lève, grimace en sentant la fraicheur du sol, avant d’aller récupérer une robe de chambre aussi satinée que sa nuisette, dans le même rose pâle. Assorti. Un choix de son époux, à n’en pas douté, l’homme de la situation en matière de vêture.
Glissant son terminal dans sa poche, elle attache rapidement ses cheveux en un chignon désordonné, avant de quitter sa cabine en direction du distributeur de douceur, accessible à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Son déplacement à travers les couloirs de l’Helios est presque félin, silencieux. Son regard se perd à travers les larges vitre la séparant de l’espace, réalisant comme d’ordinaire ce qui est devenu son quotidien. Elle observe le paysage, bercé par le rosé des lumières factices du vaisseau, qui offre aux longs couloirs une atmosphère paisible. Parvenant enfin au distributeur, l’air un peu embué, entre une fatigue palpable et un réveil difficile, elle ne remarque pas le blond, assis sur un des larges fauteuils. Ce n’est que lorsqu’elle s’avance un peu plus, dépassant le pan de mur cachant la silhouette de l’astronome, qu’elle le reconnaît. Sourire en coin. « Always » Lâche t-elle, sure d’elle mais un brin amusé, bien que la chose ne ressorte pas dans sa voix, en s’approchant du distributeur, alors que la voix de Rhil résonne de nouveau pour lui commander son habituelle boisson. Tandis que la machine amorce la préparation du précieux breuvage, elle se décide enfin à tourner le visage vers l’homme qu’elle détaille du regard, assit dans une position nonchalante. « Suis-je donc devenue si prévisible ? » Ose t-elle questionner, en partie rhétorique.
Récupérant sa tisane, soufflant dessus avant d’en prendre une gorgée, elle s’approche un peu, restant toutefois debout, le toisant légèrement avec amusement. « You look like shit » Balance t-elle avec son habituelle franchise. « Tu m’as l’air complètement rouillé, arrête un peu de jouer au jeune homme fougueux, tu sais que cette période est loin derrière toi » Le sourire est cette fois présent et tangible. Ses paroles, taquines, ne sont pas là pour l’agresser purement et simplement. Rhil et River ont, depuis de nombreuses nuits, dépassés le protocole et le politiquement correct. En public, les apparences reprennent le dessus. La différence de classe ou encore de fonction. Pourtant ici, tout disparaît. Le vouvoiement, l’air hautain de la jeune femme, le toisement dédaigneux qu’elle peut arborer envers la plupart de ses interlocuteurs. Il n’est plus question de tout ça, simplement d’une sympathie installée doucement, à mesure des confessions et de la fatigue. À mesure de l’oublie des codes. S’avançant, elle prend place sur un des fauteuil, à côté de Rhil, assise en partie en tailleur, un genou replié vers elle. Au geste de Rhil, elle observe l’espace, infiniment grand et surtout, diablement sombre. Cet espace auquel elle s’est habitué, avec, cependant, quelques élans nostalgiques quant à fouler la terre ferme. Voilà pourquoi elle apprécie autant avoir obtenu le poste de commandant de l’Helios, elle s’approche d’une nature qui lui manque, bien que reconstituée, il y a dans cette verdure comme un relent d’un passé laissé depuis longtemps derrière elle.