Lorsque le bonhomme t'avait proposé de faire du taï-chi avec lui, tu lui avais presque ri au nez. La méditation et toutes ces activités relaxantes t'avaient toujours semblé bien rébarbatives et c'était comme observer ta sœur coudre, reposant lorsque tu étais somnolent mais horriblement frustrant lorsque tes nerfs étaient à vif. Tu n'avais rien a priori contre, ce n'était juste pas une activité que tu considérais comme étant capable de t'aider. Tu y voyais plutôt des gens d'une nature plus reposée, plus zen naturellement et l'attitude du bon docteur te semblait être celle qui allait de pair avec les personnalités que tu voyais bien faire ce genre d'exercices. Pourtant, sûrement par curiosité et parce que tu avais entendu des gens en parler en termes mélioratifs, tu avais accepté et avais abandonné un moment le ring pour le rejoindre et écouter ses vagues explications. Vos séances avaient connu des hauts et des bas et il était arrivé plus d'une fois que tu t'en ailles, autant voire plus frustré que lorsque vous aviez débuté. Tu étais trop impatient, sûrement, mais il fallait avouer qu'il y avait quelque chose qui avait semblé rendre tes nerfs moins irrités lorsque tu faisais des exercices avec Ithan. Tu ne savais pas si c'était des événements récents qui avaient le plus provoqué le retour à tes mauvaises habitudes ou le fait que tu ais envoyé chier le toubib et ait refusé pendant un long moment de suivre avec lui des séances de taï-chi, toujours est-il que tu avais de plus en plus souvent des sautes d'humeur et des moments de rage irrationnels que tu ne parvenais pas à calmer. Tu étais revenu alors, certes pas penaud, mais au moins assez repentant pour que l'autre accepte de recommencer les séances en ta compagnie, avec un sourire en coin.

Toujours est-il que tu avais toujours autant de mal à te détendre lors des séances, et tu te demandais si pour commencer à faire des exercices il n'aurait pas fallu que tu sois d'abord dans les prédispositions pour, plutôt que de te jeter dans celles-ci avec le chirurgien. Tes muscles étaient tendus au point qu'ils en devenaient douloureux et les positions réveillaient au creux de ton ventre et de tes reins une frustration qui te faisait soupirer à force de chercher le relâchement. A chaque mouvement ou changement de position, tu sentais la frustration continuer de grandir et tu ne parvenais pas à calmer les battements erratiques de ton cœur qui augmentaient à chaque fois que tu y pensais. Tes poings te démangeaient et tu ressentais le besoin irrépressible de rouvrir tes phalanges sur quelqu'un ou quelque chose.

Tu avais l'impression que ton esprit était envahi de statiques, la faute surtout à ton envie de nier tes problèmes et pour ne pas entendre les paroles et les doutes tourner dans ton esprit tu te concentrais sur ta respiration et tes muscles qui tremblaient de la pression que tu leurs infligeais à serrer trop fort les poings. « On arrête là. » Tu lançais un regard curieux vers Ithan, tes yeux posés sur la nuque du toubib, à la fois soulagé d'en finir aussi rapidement, mais également surpris que la séance ne se prolonge pas. Tu te redressais de toute ta taille et tu coinçais tes deux mains derrière ta nuque, nouant les doigts entre eux pour t'étirer sommairement avant de faire glisser l'une d'entre elles pour la poser sur ta hanche. « Puis-je savoir ce qui se passe ? » Tu arquais un sourcil dans la direction du docteur, ta main toujours agrippée à ta nuque tandis que tu faisais tourner doucement celle-ci pour dégager une partie de la tension qui s'y était logée. La séance n'avait pas été aussi prolifique que tu aurais pu le souhaiter. Les bras croisés, l'attitude, les soupirs d'Ithan, l'homme était relativement sur la défensive. Tu laissais retomber tes deux mains le long de ton corps et les secouait une ou deux fois. « Ce q-qui se p-passe ? » Tu extirpais une clope d'une poche de ton pantalon, entre ton index et ton majeur et la glissait entre tes lèvres tandis que l'autre main tapotait la toile rêche à la recherche de ton briquet. « Vous avez arrêté. » Ne le trouvant pas au niveau de la jambe, tu échangeais de main pour finalement le sortir de la même poche où se trouvait la cigarette. Tu grattais plusieurs fois le silex avant de réussir à allumer ta clope. Tu tirais dessus et tu refermais tes doigts autour du filtre, te frottant la joue avec les doigts restant tandis que tu relâchais la fumée vers ta gauche pour ne pas importuner Ithan. « Vous avez l'air t-t-tendu. »

« Vous soufflez. Vous êtes tellement rigide que j'ai cru entendre vos ongles rentrer dans votre chair. Et c'est moi qui suis tendu ? » Tu roulais les yeux. Si tu avais connu l'expression, tu aurais demandé au brave docteur s'il n'avait pas un peu de sang rital, mais tu te contentais de soupirer en laissant échapper un ricanement par le nez. Tu agitais également la main dans sa direction pour signifier ton amusement, bien qu'exagéré. Les gens avaient rarement tendance à faire attention à ce genre de détails de toute façon, ils s'intéressaient plus au visage des gens, à l'attitude générale, se concentrant sur la position des membres, l'aura qui se dégageait d'eux. Une fois qu'on en connaissait assez, on pouvait sans peine voir en celle-ci l'origine de la personne, mais également ses habitudes, parfois son métier, souvent son état d'esprit. Les gens ne se maîtrisaient pas autant qu'ils le pensaient. Tu fis craquer tes doigts entre eux, utilisant ton pouce pour presser sur les bulles d'air au niveau des articulations de chaque main, ta clope toujours entre tes lèves. « J'essaye simplement de faire ce que je fais d'habitude, mais vous ne me simplifiez pas la tâche, pas aujourd'hui en tout cas. » Pardon ? Depuis quand le toubib avait-il besoin de ta bénédiction pour faire ses exercices ? Le mec devait être au moins aussi tendu que toi pour se concentrer autant sur le moindre de tes soupirs et bruits. On était au milieu du Tiantang, ce n'était pas comme si l'endroit était silencieux et qu'il n'y avait pas tout un tas de bruits parasites qui auraient pu le déconcentrer. Mauvaise foi ou quelque chose d'autre, tu roulais les épaules pour les délasser. Retourner une question pour en éviter une, hein ? Tu ne pouvais pas réellement dire que tu avais toi même utilisé cette technique, tu n'avais pas été très longtemps un enfant volubile. Certains t'avaient même trouvé inquiétant, à toujours les fixer d'en dessous, le regard mauvais, les lèvres irrémédiablement pressées entre elles tandis que tu te taisais jusqu'à que tes poings parlent pour toi. Tu éructais parfois des grognements et cela t'avais valu de nombreuses moqueries ; des enfants – c'est toujours cruel les enfants – avaient même considéré que tu étais trop bête pour savoir parler. Tu ne l'étais pas assez pour ne pas savoir pleurer et frapper, en tous les cas. Toi, tu te nourrissais après de leurs larmes lorsque tu avais commencé à être poussé par ton frère aîné à défendre toi même ta cause avec tes mains, lassé de te défendre.

« Alors, dîtes moi ce qui ne va pas. » Depuis quand Kelkwan était-il devenu psychologue en plus d'être professeur de détente glorifié et chirurgien renommé ? Tu penchais sensiblement la tête sur la gauche, clignant paresseusement des yeux en replaçant ta clope entre tes lèvres. Tu pinçais doucement le filtre, observant l'attitude du toubib, ses gestes, sa nervosité, les bras toujours croisé, les faibles mimiques du visage qui accompagnaient ses paroles. La douceur de sa voix t'hérissait le poil sans que tu ne saches pourquoi. Etait-ce parce que c'était le genre de ton que l'on utilisait généralement pour amadouer ou était-ce dédié aux simples d'esprits ? « Au moins peut-être que le dire à voix haute, ça pourrait vous détendre. » Tu laissais échapper un rire haché, presque comme ton bégaiement. La proposition te semble incongrue, improbable et … tu es surtout pris par surprise. Qui te demanderait de parler de tes problèmes – si tu voulais être cynique, tu pouvais te contenter de te demander qui te demanderait tout simplement de parler ? « Si j'avais b-b-besoin de p.. parler j'irais v.. voir m.. ma femme ou Charlie. Un vrai p..psy. » C'était mentir, si tu pouvais éventuellement parler de beaucoup de choses avec ta femme, il y en avait certaines que tu évitais, par pudeur, par déni ou parce que tu n'avais pas la patience de tout expliquer. C'était un de tes problèmes, dès que les explications requéraient plus d'une ou deux phrases, tu préférais te taire, par peur d'être soit trop concis, soit d'être incompréhensible. Quelle pire chose que d'ennuyer quelqu'un sur un sujet qui vous tient à cœur ?

« Une IA n'aura jamais le même esprit qu'un être humain. » Tu penches sensiblement la tête sur le côté, relâchant la fumée que tu retiens dans tes poumons, attendant que l'autre poursuive, explique, appuie sa pensée. Voyant que le toubib n'a rien l'intention de rajouter, tu remets ta clope en bouche après une brève remarque :« C'est le b-but. » Quel intérêt d'avoir une IA si elle réagit exactement comme un être humain ? Il était parfois nécessaire d'avoir une personne extérieure, capable de jugements non émotionnels, capable également de prendre du recul suffisant sur une situation, sans faire jouer l'affection pour l'un ou l'inimitié pour l'autre. Tu te grattes la joue avant de renifler et de pincer doucement tes narines tandis que tu les frottes dans un geste fatigué. Tu ne lances que de brefs coups d’œil aux alentours, plutôt occupé à dévisager le médecin.

L'homme semble être à bout de nerf pourtant, le pincement de nez, le souffle, le pouce qui frotte doucement l'arête. Tu le dévisages, en silence, attendant une remarque, un adieu, qu'il tourne même les talons sans un mot, mais toujours le gentleman, Ithan finit même par s'excuser de son humeur qui n'avait pourtant pas été si dérangeante. « Excusez-moi, je n'ai pas bien dormi cette semaine. » Tu ne dis rien, tu sors pourtant à nouveau ton paquet de clopes et tu tapes sur le cul de celui-ci pour faire sortir légèrement l'une d'entre-elles du paquet et la lui tendre avec un sourcil arqué. L'homme n'avait jamais émit jusqu'ici de remarques vis à vis de sa consommation de cigarettes, que ce soit par politesse ou parce qu'il en consommait aussi, cela t'importait peu, mais tu appréciais que, pour une fois, un toubib ne te fasse pas la morale sur ton empoisonnement quotidien. Tu sais que ce n'est pas bon pour toi, comme l'alcool ou te prendre trop de coups dans le visage de la part de Marcus, tout un tas de comportements incongrus et irrationnels que tu ressens pourtant le besoin de poursuivre parce que dans ta tête à toi, ça te fait du bien.

Ithan continue pourtant ses excuses, et tu te prends à te demander d'où viennent les gens si polis ? Tu n'as pas souvenir de gens aussi bienséant, aussi arrangeant que cela en devient presque inquiétant, même Vegtam a un petit côté mesquin, manipulateur et surtout radin qui le rend un peu plus « normal » à tes yeux. Cela en dit long sur ta capacité à faire confiance aux gens, si un peu trop de gentillesse te pousse à te méfier. « Et si j'ai eu l'air de vouloir me mêler de votre vie. » Tu secoues la main à la négative pour signifier que ce n'est rien, ou tout du moins que tu ne lui en tiens pas rigueur. Tu sens qu'il faut que tu dises quelque chose, que tu le rassures, voire que tu lui tapotes l'épaule pour lui signifier que ça allait aller, mais tu ne te sens pas assez proche de lui – tu ne l'es de personne – pour échanger des gestes rassurants, tu n'as pas de mot rassurant non plus à lui dispenser et après quelques secondes de silence, tu finis par lâcher : « Ça v-va aller, allez v-v-vous reposer. » Tu tires sur ce qui reste de ta clope, prêt à l'écraser sur ton talon, en sortant immédiatement une autre que tu glisses entre tes dents. Tu ranges ensuite le paquet et tu fais craquer les bulles d'air que tu n'as pas su atteindre avec ton pouce, puis tu extirpes ton briquet et tu l'allumes, ta nouvelle clope, l'autre enfoncée dans ta poche une fois que tu t'es bien assuré qu'elle était éteinte et incapable de repartir. Tu as vu ton père, petit, transporter une boîte en fer blanc pour y ranger ses mégots et tu penses, souvent, à faire de même, mais tu ne sais pas si c'est le manque de temps ou d'investissement qui finit par te pousser à rester à ta vieille méthode pour retrouver parfois des mégots par terre, dans ta chambre, lorsque tu commences à te déshabiller. « Ou p-peu importe. »