oneles privilèges | La môme braille tout le temps. Oswald la regarde d'un air dubitatif, ne comprenant pas vraiment pourquoi sa mère s'extasie à ce point sur quelque chose qui se roule par terre dès qu'on ne lui dit pas oui (et quand elle n'est pas en train de se rouler par terre, elle galère à se tenir debout). Toujours en train de toucher à tout, vogue d'activités en activités, s'arrête jamais de parler, manque de coordination évident malgré ses trois ans. Elle glousse toute seule quand il l'appelle Bee, et il faut une demi-heure pour qu'elle arrête de faire bzz bzz bêtement. Avant-hier, elle a cassé le terminal qu'il utilisait le plus souvent pour jouer. A essayé d'expliquer qu'elle avait voulu le réparer, comme s'il était cassé. Il n'était pas cassé du tout. Maintenant bien. Heureusement, leur père leur en a ramené un modèle plus récent, avant de disparaître une nouvelle fois. Il a le pas silencieux, leur père. Parfois, Oz se retourne et se retrouve nez à nez (enfin, plus ou moins, il lui manque plusieurs dizaines de centimètres, mais c'est l'idée) avec lui. Il ne sait jamais d'où il est sorti.

twole tiantang | C'est juste pour quelques mois, Will. Elle a cédé, la mère, face à la mine boudeuse de la môme et à l'air calculateur du gosse juste derrière. Betty sait pas faire autrement, faiblesse irrémédiable devant sa marmaille. Will, lui, ne sait pas dire non à la jeune femme. C'était un plan réfléchi, presque brillant, et Oz s'en serait sans doute félicité pendant des mois (la modestie ne l'a jamais étouffé – c'était sa sœur qui essayait, parfois) si tout n'était soudainement parti en couilles (langage !, Bee et son air courroucé). Les étoiles, il avait toujours voulu les voir, et Beatrix n'avait pas été difficile à convaincre. Une fois convaincue, c'était la mère qui avait été adoucie, pour ensuite atteindre le père qui lui faisait parfois un peu peur, même, surtout parce qu'il ne le voyait jamais. C'est juste pour quelques mois, Will ; il y repense maintenant, la main plaquée contre la bouche de sa sœur de six ans, essayant tant bien que mal d'étouffer les sanglots qu'elle ne parvient pas à contrôler. Lui aussi, il a envie de pleurer, les dents enfoncées dans sa lèvre inférieure pour s'en empêcher. « Je veux maman, Oz » c'est ce qu'elle arrive à bredouiller entre ses doigts, et il resserre la pression pour éviter qu'elle continue à parler (quand elle commence, elle est incapable de s'arrêter). Le vaisseau de croisière est presque silencieux, depuis quelques minutes maintenant, mais leurs parents ne sont pas encore venus les chercher et leur père leur a fait promettre de rester cachés. Pour une fois, il n'a pas désobéi. Il jure entre ses dents que, s'ils reviennent, il ne désobéira plus jamais. Il ment, bien sûr, mais sur le moment, il y croit. Une partie de lui pensera, plus tard, que s'il échoue à garder sa promesse, on lui reprendra brusquement ses parents et qu'il se retrouvera à nouveau coincé dans une des cabines du vaisseau de croisière. Du coup, il s'appliquera à ne pas se faire prendre. Au cas où.

threele conflit | Bee a l'oreille collée à la porte, les yeux écarquillés, quand il se réveille. « Qu'est-ce que tu fais ? » Encore. Il ne le dit pas mais il le pense, ça résonne presque à la fin de sa phrase. La gamine sursaute puis plaque un doigt contre sa bouche. On se tait, Oz, on se tait qu'elle dit souvent, quand quelque chose a capté son attention et que ses phrases à lui ne semblent plus être que des bruits parasites pour elle. Il hausse un sourcil et s'extirpe du lit, s'approchant à pas légers (lui aussi, maintenant, peut apparaître sans prévenir) pour se positionner à côté d'elle, collant à son tour son oreille contre le matériau fin qui les sépare de la petite pièce commune de leur cabine. Elle recule imperceptiblement, venant plaquer son dos contre lui, manière qu'elle a d'exprimer sa tendresse toute enfantine. « Tu fais comme tout le monde, Will, tu t'adaptes ! » Ce n'est pas encore un cri, mais presque, et Oz sait que sa mère est en train d'essayer de se contrôler pour ne pas hurler (c'est difficile, pour elle). Il se raidit légèrement, fatigué de leurs disputes. Beatrix n'avait pas encore remarqué parce qu'ils ont tout fait pour leur cacher, mais leurs parents se disputent presque tous les jours depuis des mois. Depuis qu'ils sont arrivés. Plus rien de nouveau, et encore moins d'excitant, là-dedans. Il soupire et pose une main sur l'épaule de sa sœur. « Laisse, Bee, c'est des problèmes de grands. » Elle dégage sa main d'un coup d'épaule et marmonne un shh agacé. Il regrette un peu qu'elle ne rétorque pas par un bzz bzz, comme avant. Mais elle s'en souvient mal, d'avant, les souvenirs semblent lui filer entre les doigts et il ne fait rien pour qu'elle les conserve. Si elle oublie, tant mieux : chez lui, la vue du sang est ancrée, et il voudrait bien s'en débarrasser. Du sang, partout. Il frissonne et s'éloigne de la porte, décidé à ne pas se mêler de la dépression débile de son père. À son avis à lui, ils devraient déjà être contents d'être tous en vie. Il ne l'a pas dit, cependant, de peur d'entendre un autre pourquoi ? et de ne pas être capable d'expliquer. Il en a marre d'expliquer. « Pourquoi ils se disputent, Oz ? » 'Fait chier.

FOURl'angoisse | « T'as encore fouiné dans mes cours. » Elle a le regard innocent, mais elle n'a jamais su mentir : déjà ses joues rosissent, et son visage se fend en un sourire qu'il a depuis longtemps classé dans la catégorie de type 2 (gêne, culpabilité, bienséance forcée). C'est pas sa catégorie préférée, mais c'est pas la pire non plus – il a appris à fuir quand le type 3 surgit au détour d'une conversation. Plus vraiment d'effet, celui-là, ceci dit, et elle le sait déjà quand elle s'enfonce légèrement dans le lit (son lit, putain). « Non ? » La tentative est si pathétique qu'il laisse échapper un léger rire, avant de reprendre une expression sévère en voyant ses traits s'éclaircir. « T'y seras bientôt, tu pourras étudier autant de conneries que tu veux. » – « Oui mais quand j'y serai, t'y seras plus, et on pourra pas en discuter ensemble. » – « T'en discuteras avec les autres. » Elle grimace, l'air affligé. Elle a toujours été à ses côtés, depuis leur arrivée, mais (alors qu'il croyait que ça allait s'arranger en grandissant) elle semble particulièrement décidée à rester avec lui ces derniers mois, vivant difficilement son entrée à l'Académie. « Je veux pas parler aux autres » elle s'insurge presque, comme s'il l'avait insultée. « Tu les connais même pas, Bee. Laisse-leur une chance. » Et elle lui sourit à nouveau, et il sent que ça s'approche dangereusement du type qu'il redoute tant alors il lui renvoie un sourire encore plus grand et bientôt ils s'affrontent, tout en dents. « Je veux bien les connaître. Je veux juste pas leur parler. » Elle semble croire que l'un est possible sans l'autre, et il n'a pas envie de la contredire (après tout, elle a peut-être raison). La rejoignant, il s'écroule à ses côtés et lui jette un coup d’œil en biais, jusqu'à ce qu'elle rosisse une nouvelle fois et s'agite. « Et donc, t'as appris quoi aujourd'hui ? » C'est le type 1, cette fois-ci, éblouissant, alors qu'elle se lance dans un discours animé et qu'il s'étire, plutôt sûr qu'il pourrait s'endormir en l'écoutant si elle ne passait pas son temps à vérifier.

FIVEle premier | Oswald regarde sa sœur d'une façon différente, ces derniers temps. Il aurait préféré continuer à l'imaginer comme la gosse insupportable de sept ans qu'elle avait toujours été dans son esprit, mais les récents événements l'avaient forcé à réaliser qu'elle avait grandi (et du coup, lui aussi, il est presque vieux, putain). « On retrouve Reza pour manger, ce soir ? » Elle feint l'indifférence, ou en tout cas elle croit le faire, et il a envie de lui rire au nez et puis de lui dire non il vient pas. Sauf que si, il vient. Comme souvent. Comme tout le temps, qu'il aurait presque envie de grogner. Non pas qu'il ne l'apprécie pas – après tout, c'est lui qui l'avait d'abord présenté à tout le monde, le collègue devenu ami. Il ne l'apprécie juste pas à ce point-là, et les voir se tourner autour comme des gosses de quinze ans a tendance à l'irriter profondément. Venant de Bee, bien sûr, rien d'étonnant. Il aurait par contre espéré que son comparse fasse quelque chose pour éviter les moments gênants. « Yep. » Elle sourit, ça rend ses yeux pétillants et il regrette presque sa mauvaise humeur. « Papa sera content de pouvoir lui raconter notre voyage en région 7, il en parle depuis une semaine ! » Presque. Si d'ici la fin du mois, rien n'a bougé, il les enferme dans un vaisseau et les laisse se démerder loin de la flotte.

SIXle mensonge | Peut-être qu'il devrait lui dire quelque chose. Ça a commencé bêtement, sans même qu'il s'en rende compte, et il a cru pouvoir le persuader de parler avant que ça dégénère. Il le croit encore, sans doute. Jusqu'ici tout va bien. Il se le répète quand il la voit sourire, les bras autour du cou de Reza (son mari, putain, ça y est, il est vieux). Il se le répète quand elle lui raconte sa journée, agitant les bras dans tous les sens et ne tenant presque pas en place. Il se le répète quand Reza lui dit enfin qu'il lui en parlera bientôt. Et elle, bien sûr, ne voit rien. Elle ne voit jamais rien, et quand il en a marre, il lui en veut pour ça, il aimerait qu'elle détecte la façon qu'il a de froncer un peu les sourcils quand elle parle de lui, il aimerait qu'elle remarque quand Reza change de sujet au lieu de répondre à sa question, il aimerait qu'elle ouvre un peu plus les yeux mais ne sait pas comment lui dire sans tout casser.

SEVENla chute | Mort. Mort. Mort mort mort mort. Elle a pas l'impression d'avoir respiré, depuis que la nouvelle est tombée. Restée figée dans un mouvement, et ça fait plusieurs jours pourtant. Elle ne pensait pas en arriver à ne plus être capable de fonctionner. Elle aimerait trouver une façon de tout réparer, mais pour une fois, elle ne sait pas. Mort, et lui, parti. Morts tous les deux, à ses yeux. Trahie. Il y a eu la colère du père, et elle ne l'avait jamais vu hurler comme ça, les hurlements c'était pour la mère, pas lui. Pas lui. Pas lui. Qui ? Il y a son prénom sur le bout de sa langue mais elle est terrifiée à l'idée de l'appeler. Silence. Les appeler, peut-être. Il y a un R qui roule presque, pas tout à fait, et elle est assise mais elle ne sait pas depuis combien de temps. Il y a eu la cérémonie, et tout le monde est venu lui parler, la toucher, gestes de confort qui l'ont glacée. Et elle a souri, elle a souri à s'en briser les joues, oui ça ira merci mais tout le monde la regarde tout le monde sait que « C'est ta faute, Beatrix, ta faute ! » Il ne l'a pas dit ou peut-être qu'il l'a fait, cette fois-ci, William. Elle l'a vu dans son regard. Pas besoin d'être perceptive pour le voir, ça. C'est Elizabeth qui semble encaisser le plus difficilement la mort de son fils, et on lui en veut pour ça aussi. On. Elle a continué à sourire et elle a essayé de tout organiser même si d'habitude, ça aurait été lui qui l'aurait fait. Ou peut-être R– elle a tellement souri qu'elle a eu l'impression de se fissurer de la tête aux pieds. Mais elle n'a pas encore craqué. Terrifiée de ce qui arrivera quand ce sera le cas, pas certaine de pouvoir reconstruire ces choses-là.

EIGHTl'ia |  « Tu devrais venir te détendre sur le Tiantang ! » C'est Parks qui lui parle, un bras s'enroulant nonchalamment autour de son cou comme pour la forcer à suivre le pas. Elle l'aime bien, Parks, souvent. Elle prend pas trop de place et parle que quand c'est nécessaire. Parfois, cependant, elle dit toutes les choses qu'il faut pas (et elle se demande pourquoi on dit que c'est elle qui fait ça). « Pourquoi je ferais ça ? » Elle se baisse pour échapper à l'emprise étouffante et l'autre éclate de rire comme si elle avait posé la question la plus drôle du monde. Non, parfois, elle la comprend pas. « Pour te détendre, Bishop, je viens de te le dire. » – « Je suis très détendue, merci. » Parks rit encore et elle commence vraiment à se demander ce qu'il y a de drôle, quand elle hausse les épaules et détourne les talons, lui disant au passage que quand elle aura fini de bosser, elle y sera, si elle est intéressée. Elle n'est pas intéressée. Préfère amplement se concentrer encore un peu sur Charlie, sur la version avec laquelle elle a joué, ces derniers mois. Rien que pour elle. Bien sûr, c'est prohibé de modifier quoique ce soit, mais c'est elle qui s'en occupe, et c'est juste pour son usage personnel. Elle attend toujours que tout le monde soit parti du boulot pour rentrer à son tour, embarquant au passage quelques notes, et s'affaire à continuer ce qu'elle avait commencé la veille. Si concentrée, certains jours, qu'elle en oublie d'être triste, qu'elle en oublie les prénoms qu'elle a décidé de ne plus prononcer, même en pensée. Elle n'a pas craqué, finalement. Pas de morceaux à rassembler, pas de plaies à panser. Alors, à défaut de se réparer, elle répare tout le reste, tant bien que mal, crée des problèmes, parfois, pour mieux les résoudre.

NINEle poids | « Y'a plus que toi et moi, maintenant. » Elle sursaute presque, Bee, à l'entendre lui adresser directement la parole. Ça se faisait de plus en plus rare, et quand ils se voyaient, c'était pour se fixer dans le blanc de l’œil, son sourire à elle contre son regard sombre, le malaise de plus en plus poignant. Elle n'a pas arrêté de venir le voir, pourtant. C'est sa famille, ou ce qu'il en reste. Elle laisse échapper un léger rire, parce qu'elle sait pas quoi en faire, de ces paroles-là. De ses paroles tout court. Incapable de rebondir comme elle aurait dû, de prévoir le changement de dynamique aussi soudain qu'incongru, elle le regarde bêtement et déglutit, les mots se mélangeant dans son crâne et formant un tout confus. Si Oz avait été là, il aurait su par quel bout les prendre, comment les démêler (elle arrive à penser à son nom sans avoir envie d'hurler, maintenant). Mais c'est bien le sens de ce qu'il lui dit, William : il n'est plus là. Sa mère non plus. « Au moins, c'est plus calme. » Elle lâche sans réfléchir, ou peut-être qu'elle a trop réfléchi, et l'étincelle dans le regard du père s'en va comme elle était venue. Mais elle a commencé et elle panique un peu, d'avoir parlé sans poser les bons mots alors elle continue et c'est maman criait quand même souvent qui sort et elle n'aurait pas dû, son rire sonne faux même pour elle (qu'est-ce que tu dis). « J'ai jamais compris pourquoi elle criait tant » elle achève, l'air d'avoir vingt ans de moins que ses vingt-neuf ans. À sa plus grande surprise, cependant, c'est à son tour à lui de lui sourire, elle s'y attendait pas non plus, à ça. « Elle aimait qu'on l'entende. Ton frère aussi. » Mais Oz ne criait pas. C'est ce qu'elle voudrait rétorquer, et les mots franchissent presque sa bouche mais elle s'interrompt à temps, réalisant que ça lui fait plaisir, à lui, de les lier comme ça. Alors elle hoche la tête et lui dit c'est vrai papa, ils aimaient ça, pas comme toi et moi et pendant un instant, elle a l'impression que toutes les pièces sont remises en place et que tout ira bien, même demain.

TENle second | « Tu vas voir ton vice-capitaine ? » Parks, dans son dos, surgie des ténèbres. Peut-être qu'elle s'est trompée, Bee. Elle pensait que l'autre ne parlait que lorsque c'était nécessaire, mais c'était peut-être parce qu'elle était nouvelle dans l'équipe. Parce que maintenant, elle n'arrête jamais. Si au moins elle lui parlait de leur travail, cela pourrait fonctionner (nombreux savent à quel point elle-même a tendance à être intarissable sur le sujet). Mais les questions ont pris un tournant personnel qu'elle a du mal à appréhender, ne sachant pas vraiment comment passer d'un cadre professionnel à quelque chose de plus informel. Parks, elle, semble n'avoir aucun problème. « Sûrement. » Une pause, et elle regrette déjà sa question une fois qu'elle l'a posée : « pourquoi ? » L'autre lui adresse une moue conspiratrice et se rapproche d'elle, la poussant à s'agiter. Espace vital envahi, alerte. « Je sais pas si t'as entendu ce qui se dit à son sujet, mais tu devrais faire gaffe. » – « Ce qui se dit à son sujet ? » Beatrix fronce légèrement les sourcils, confuse. Elle n'avait jamais réussi à suivre les bruits de couloir et, encore une fois, cela se vérifiait. « Tu sais... Qu'il n'est pas vraiment fréquentable. » Sa collègue fait jouer de ses sourcils comme si elle impliquait énormément de choses dans une phrase terriblement vague, et Bee s'en retrouve encore plus confuse, ne sachant pas trop comment elle était censée réagir à une telle déclaration. « Oh. Il m'a l'air parfaitement fréquentable. » Elle s'apprêtait à s'en retourner à son projet, mais un soupir à fendre l'âme la pousse à redresser les yeux. Parks s'est redressée, et s'apprête à s'éloigner quand elle lui dit « je dis ça en tant qu'amie, Bishop. Fais gaffe, c'est tout. » Elle est partie quand Bee réalise qu'il est trop tard pour prendre la peine de lui répondre, et elle reste un peu bête à fixer la salle dans laquelle l'autre a disparu. Amie ?