Les jambes de Marine la faisaient souffrir, tout comme son dos, à force de se hisser par-delà des buttes parfois abruptes et à enjamber des racines hors de contrôle. Parfois, elle acceptait l’aide de quelqu’un, une main tendue, mais ne disait rien, consciente qu’il lui fallait garder ses forces. Il y avait trop longtemps qu’elle n’avait pas vécu une véritable gravité et les entraînements avaient aidé à renforcer ses muscles atrophiés par l’espace, mais il n’en demeurait pas moins qu’elle savait que la période d’adaptation serait plus longue qu’escompté par la docteure Cope. Marine espérait simplement que ça ne serait pas une raison de la mettre en second plan et de l’empêcher de mettre la main à la pâte, aussi se tait-elle en toute circonstance, afin d’éviter de laisser échapper un grognement qui démasquerait sa douleur. À travers le feuillage rouge épais, ils avaient suivi un tracé hypothétique calculé par l’intelligence artificielle grâce aux clichés satellites pris lorsqu’ils étaient en orbite, dans l’espoir de ne pas arriver trop loin de leur profit. La mécano avait cru qu’ils pourraient faire leurs analyses à partir des marais qui n’étaient pas trop loin du campement, mais apparemment, il valait mieux tenter sa chance d’abord à la rivière et au bassin naturel qui l’alimentait.

Évidemment, ça ne pouvait pas être simple.

Lorsque le bruit de l’eau commence à se faire entendre, Marine ne réprime pas un discret soupir de soulagement. Les sons des oiseaux qui piaillent la font sursauter presque systématiquement, peu habituée à la présence d’animaux, mais elle tente de se contenir au mieux. Quelques minutes plus tard, le bassin et son rivage se dessinent devant eux et elle regrette de ne pas simplement pouvoir aller y boire. Les scientifiques s’installent, certains ayant besoin de monter de l’équipement, et elle se contente de les observer, appuyée sur un tronc d’arbre, se maudissant d’être trop fière pour s’asseoir sur le sol.

Elle demeure silencieuse pendant un petit instant vaguement inconfortable, observant le milicien qui s’adressait à elle. Globalement plutôt réservée, elle ne s’attendait pas à se faire entraîner ainsi dans une discussion, d’où le moment de flottement entre les quelques mots du jeune homme et quelque réaction de la part de Marine. Elle pince ses lèvres dans ce qui pourrait se rapprocher d’un sourire courtois, hochant la tête. « Je tiens debout grâce à l’énergie du désespoir », admet-elle candidement, dissimulant habilement la douleur qui lui tiraillait les cuisses et le dos. Il n’y avait rien qu’elle puisse faire de toute façon à part conserver son énergie pour le trajet du retour et espérer que demain ne soit pas une journée trop chargée physiquement. Quoiqu’il en soit, le médecin qui s’avance permet de détacher l’attention du milicien d’elle, et elle se complaît dans les quelques mots qu’ils s’échangent, parfaitement satisfaite de n’être que spectatrice. Toutefois, dans l’intérêt de ne pas paraître trop sauvage, elle répond, concise : « Je suis née sur Shinbashi. » Pour elle, c’était une maison comme une autre, aussi sordide soit-elle. Pour quiconque avait croisé qui que ce soit venu de la colonie ou en avait entendu parler, c’était suffisant pour causer de conséquents malaises. Apprendre à composer avec la réalité était une partie importante de sa thérapie et même loin de son psychiatre, elle savait qu’il ne fallait pas baisser les bras.

Elle entend un bruit d’explosion et porte aussitôt son regard sur l’assemblage mécanique posé sur le rivage. La fumée qui s’échappe presque aussitôt de l’appareil fait paniquer les deux scientifiques. Ni une ni deux, elle oublie qu’elle a mal aux jambes pour se précipiter sur la machine et débrancher la génératrice. « J’suppose que c’est pour ça que je suis là », marmonne-t-elle, s’accroupissant près de la machine pour en défaire le boîtier. L’odeur de caoutchouc fondu qui s’échappe ne laisse pas beaucoup de doute quant à la source de la fumée. « David, est-ce que tu peux m’apporter mon sac? » Ses doigts graciles plongent dans les entrailles de la machine pour en retirer une courroie fondue. Avec un peu de chance et de débrouillardise, elle parviendrait à réparer la courroie et à empêcher le problème de se reproduire. Une fois qu’elle a ses outils en main, elle se met au travail.