Quelques part dans le vide infini, hors de la Flotte
La poussière, partout, qui empêche de cerner tous les détails du chantier, la sueur qui perle sur le visage et dans les gants, les plis gênants de la combinaison et tous ces obstacles à éviter pour atteindre la ressource à extraire. Je me tiens dans la file des abeilles qui déplacent les blocs de roche grise afin de libérer l'accès à l'autre groupe. Organisés, efficaces, silencieux, nous atteignons enfin notre but après plusieurs jours de travaux éreintants. Je récupère les kilos de minéraux que me tend un collègue et me dépêche d'aller le placer plus loin, avec les autres, pour continuer de dégager la voie. Certains vont devoir se faufiler à travers les gravats émoussés et menaçants. C'est ainsi, malgré nos efforts, il y a toujours un risque. Aujourd'hui je n'ai pas à accomplir cette tâche, on se réparti équitablement, les équipes tournent. Certaines actions sont plus périlleuses, pas question que ce soient toujours les mêmes qui courent le risque.
Tandis que j'aide un extracteur à déplacer un bloc plus lourd que les autres, un cri nous parvient. Lointain, étouffé. Nous sommes enfermés dans nos tenues et malgré la technologie de communication, je n'ai pas entendu. Nous nous regardons et la mine inquiète qu'il affiche me glace le sang. Il s'est passé un truc...
~
Colossus
J'ai laissé couler l'eau chaude pendant de longues minutes et j'ai soupiré. Las, dégouté, triste. J'ai soupiré mais toute la frustration ne s'est pas évadée. Mes muscles tendus me font souffrir, je suis en colère contre des cailloux et je déglutis un vide étrange. Pénible. Vega était sur le même chantier. Vega n'est pas revenue de la mission. Vega ne reviendra pas.
Comme déconnecté de la réalité, j'enfile mes vêtements et reste planté dans mes quartiers de nouvelles longues minutes. Rien ne se dissipe. J'ai beau attendre, ça ne me fera pas oublier. Les cris de stupeur, le redoublement d'effort, la belle solidarité de tous. On s'est démené mais c'était déjà trop tard. Je cherche une solution qui n'existe pas, au contraire, cette solitude m'empoisonne. C'est stupide, il faut que je sorte ! peinabombillas ;
Automatiquement mes pensées se dirigent vers Crius. Parce que c'est un ami, d'abord. Je dois avouer que les similitudes entre la situation actuelle et les circonstances de notre histoire m'obligent à penser à lui. Alors que j'allais y passer, Crius m'a sauvé. Pourquoi personne n'a pu sauver Vega ? Quels sont mes torts ? Suis-je lâche ? Est-ce juste faute à pas de chance ?
" ... Eh ? Tu m'offres un verre ? "
Dis-je au gérant, en entrant dans la Ruche, où d'autres extracteurs sont visiblement venus noyer leur peine. Tout le monde est au courant désormais, encore un tragique accident. C'est un métier dangereux, personne n'est vraiment surpris lorsque ça arrive. L'émotion reste néanmoins la même.
" J'avais besoin de croiser une tête amicale. "
Un sourire faux barre trop largement mon visage. Je suis entier, moi. Si je suis peiné, ça se voit. J'essuie une larme au coin de l’œil et ravale la suivante. Buvons.
Sujet: (#) Re: Nous sommes une espèce en voie de disparition ~ Abeilles [Crius] Jeu 6 Déc - 16:38
Dit-il avec un professionnalisme chaleureux. Combo rare que je n'ai vu que chez Crius, de mémoire. Il tient son bar comme s'il avait toujours fait ça. Serviable, à l'écoute, présent mais pas envahissant, il connait ses clients, leurs goûts, la moitié de leurs secrets posés entre deux tournées mais il sait aussi se faire discret, presque invisible pour offrir un service impeccable. C'était un bon extracteur. Je ne le connaissais pas autant qu'aujourd'hui, mais j'avais de la sympathie pour ce type à qui le boulot ne fait pas peur, ni les efforts ni les risques ne l'inquiétaient.
Un frisson me parcoure l'échine quand un souvenir refait surface. Je le balaye de mes pensées en récupérant le verre tendu. Pas le moment de ressasser cette détresse, ma culpabilité, son handicap. Je ne veux pas penser à autre chose que Vega, son absence. Je voudrai ne pas penser à elle non plus. Juste me vider la tête, oublier. Comme si elle était là, capable de me lancer un de ses regards accusateurs et narquois, je lève le verre à sa mémoire ;
“Première fois qu’on a envie de croiser ma tête.”
" Ne sois pas si modeste vieux ; tu crois que je les vois pas, tes fans ? "
On dirait n'importe quoi pour trouver un peu de sourire, de divertissement. Son geste franc sur mon épaule m'arrache un vrai rictus. Il est sympa, ce bourrin. Moi aussi je suis content qu'il soit là. Toujours prêt à me recevoir. Moi ou les autres. Ses anciens collègues, mais pas seulement. Son bar, c'est un lieu de vie. Mais nous, on est un peu sa famille. Je regarde autour de moi et constate que nombreux extracteurs sont présents. Ouais, la Ruche, c'est la maison.
" J'étais pas sûr que tu sois là. "
Il peut bien faire travailler des employés. Il aurait pu avoir trop de chagrin, mais je ne l'imagine pas absent pour cause de deuil. Plutôt pour tracas administratifs ou que sais-je ; après tout ils vivaient ensemble non ? C'est ridicule, Charlie s'occupe sans doute de tout. Je secoue la tête et avale une gorgée bienvenue.
" T'as besoin d'aide d'ailleurs ? Tu m'dis. "
Inutile de préciser que je lui dois au moins ça. A lui. A elle. Esclavagée, traumatisée, abusée. Sous mes yeux. La jeunesse n'excuse pas tout. Je focalise mon attention sur l'ami, espérant presque qu'il réclame mon aide.
Sujet: (#) Re: Nous sommes une espèce en voie de disparition ~ Abeilles [Crius] Lun 31 Déc - 0:19
Je ne sais pas bien ce que j'attends de Crius. J'apprécie toujours sa compagnie, la force tranquille qu'il dégage, cet air blasé qu'il affiche sans jamais être totalement las. Presque l'inverse de moi. Sa voix grave et ses regards sérieux m'apaisent. Il est un ami attentif à mes bavardages, comme un parent sur qui je compte sans qu'il n'ai envisagé de me le proposer. Il m'a sauvé la vie. Je n'ai rien pu faire pour Vega.
J'ai honte de ça, j'ai honte - comme à chaque fois que je le vois - d'être responsable de son handicap. Je sais que la disparition de la jeune extractrice ne me sera jamais reprochée, je n'étais même pas avec elle lorsque ça s'est produit. Mais c'est une perte de plus, une perte chère, une perte bête. Et il n'y avait pas de super Crius pour la secourir. Il n'y en a plus, des types capables de penser d'abord à l'autre. Par héroïsme, solidarité ou simple réflexe stupide. Personne n'a été assez rapide, assez humain, assez fou.
« - Pas certain que je veuille que tu mettes le nez dans mes affaires, à faire les cartons et ranger ses affaires. Les astres savent ce que tu pourrais trouver. »
Je soupire, un sourire amer sur les lèvres. Moi j'en suis certain : je n'ai pas envie de mettre le nez dans ses affaires ou de ranger les affaires de Vega. Je replace mon regard sur l'homme fatigué et hausse les épaules.
" Ok. "
Je fais tanguer le liquide dans mon verre en le fixant avec trop d'attention avant de laisser échapper cet aveu, sans être sûr qu'il était secret :
" ... elle était dans le C5. Avant que ce soit le C5 j'veux dire. On est arrivé en même temps sur la Flotte. "
Et nous sommes devenus extracteurs. Probablement nos uniques points communs. Pour le reste, tout nous opposait, à commencer par son statut de captive lorsque j'étais compté parmi les pirates. Je déglutis ces horribles souvenirs. Elle méritait mieux, dès le début. Elle méritait mieux. Mais elle n'est plus là. Je relève les yeux vers lui pour essayer de deviner : est-ce qu'il savait ? Lui en a-t-elle parlé ? Sait-il les conditions de son arrivée, de son passé sinistre ?
Un peu plus loin on trinque à l'abeille disparue une fois encore. Les verres se lèvent les voix se mêlent à l'unisson. Je suis le mouvement, incapable de prononcer son prénom cependant. J'avale une gorgée et secoue la tête. J'espère peut être effacer ces sentiments douloureux qui me traversent.
Sujet: (#) Re: Nous sommes une espèce en voie de disparition ~ Abeilles [Crius] Sam 9 Fév - 20:44