Oui mais était-elle vraiment la meilleure personne, de tous les habitants du Columbiad, à pouvoir faire des remarques constructives, donc en abordant le pire comme le meilleur, au capitaine dudit vaisseau ? Ça, la jeune femme en doutait fortement. Avoir un avis précis sur quelque chose était une compétence qu’elle aurait rêvé posséder sans jamais vraiment oser faire en sorte que son rêve se concrétise. Nova était très forte pour absorber l’opinion des autres et se l’approprier comme s’il s’agissait de paroles saintes. Il lui suffisait ensuite de les ressortir de sa manche comme des jokers à coups de « J’ai entendu dire » ou « Je connais quelqu’un qui... » pour maintenir l’illusion qu’elle ne se laissait pas tout simplement couler dans la vie sans jamais vouloir la changer ou l’améliorer. Sans compter que la jeune femme avait des amies très au fait de ce qui se passait autour d’elles et qui avaient surtout assez d’intérêt et d’esprit pour pouvoir analyser tout ça et s’en faire un avis tout prêt à être reapproprier par la maraîchère. Pour cette raison, l’ironie que le capitaine Pinto lui demande son avais à elle était assez tangible pour que même Nova la saisisse. Lui aurait-il demandé son avis sur la floraison des courgettes ou de la culture des petits pois qu’elle aurait dans doute ou être utile à quelque chose, mais là... La jeune femme se contenta de hocher platement du chef, cherchant désespérément quelque chose à jeter à son voisin dans les tréfonds de son cerveau vide.

Il fallait au moins lui reconnaître une chose : il était décidément très fort pour trouver le sujet parfait de déstabilisation. Si elle pensait avoir grandi depuis leur dernière rencontre, avoir gagné en confiance en elle et avoir suffisamment de recul pour aborder le capitaine avec assez de recul, il venait de mettre ses espérances au sol dans un KO assez humiliant. À côté de lui, la brune redevenait cette gamine à peine adulte encore en formation trop timide, et intimidée qui avait bégayé tout du long de sa première rencontre avec lui. Qu’il veuille des gens comme elle pour faire l’interface entre lui et les autres résidents du Columbiad lui semblait être une blague monumentale. Et pourtant elle se força à hocher la tête de nouveau, comme un automate cassé en soufflant :

— J’y penserai...

Peut-être qu’elle se plaindrait assez pour qu’une de ses colocataires craque et aille voir les autorités compétentes mais il n’était pas dit qu’elle y aille elle-même. Même si elle aurait adoré avoir des salons de chill un peu partout à disposition sur le vaisseau pour pouvoir paresser en ayant l’impression, même vague de se sociabiliser.

« J'y penserai... » Ces quelques mots voulaient tout dire. Cause toujours, tu m'intéresses. Tu lui offrais tout de même un sourire pour l'effort et tu cherchais, sûrement vainement, une réaction plus volontaire de sa part. Probablement peine perdue. Tu ne t'attendais, au final, plus vraiment à des retours et tu savais qu'il fallait que tu te rendes à l'évidence ; les délégués étaient là pour faire tampon entre les habitants du Columbiad et la capitainerie. Essayer de faire autrement, c'était faire à la fois preuve de démagogie mais également te voiler les yeux, tu ne pourrais pas changer la vision que les gens avaient de toi et tu n'étais pas certain qu'il s'agisse d'une bonne chose à faire. Discuter avec les gens devait se faire en dehors de ton uniforme et du cadre de ton grade, en t'attendant tout de même à de longs silences. Tu n'étais pas leur ami et tu n'avais aucun intérêt à le devenir. Être proche des habitants du Columbiad était quelque chose que tu pouvais poursuivre, mais leur demander plus que ce que les autres capitaines le faisaient ne servait à rien d'autre que courir après quelques idéologies passéistes.

Tu prends une longue inspiration, posant tes deux mains sur tes genoux pour t'aider dans le mouvement à venir. « Je vois. Je vous remercie d'au moins considérer la question. Sur ce, je ne vais pas plus longtemps vous retenir loin de vos affaires, passez une excellente journée, mademoiselle Aldren. » Tu prends quelques secondes pour repasser péniblement en position verticale. Tes muscles te tirent, ta nuque t'élance et tes yeux peinent à rester ouverts. Un bref sourire à l'intention de la maraîchère et tu entreprends de te diriger vers le distributeur le plus proche de ton second. Et peu importe s'il avait quelque chose à dire sur ta consommation de boissons énergisantes.