Une explosion sucrée dévasta sa bouche et Nova ferma les yeux en soupirant bruyamment de bonheur. À cet instant précis, elle ne vivait plus que pour mâchonner le plus longtemps possible le bout de fruit qui ambiançait ses papilles. Les ryeles et les dilubis… il n’y avait quand même pas trente-six recettes du bonheur. Pourquoi est-ce que le Triumvirat continuait à les prendre pour des cinglés – slash – traîtres – slash – renégats ? S’ils envoyaient leurs grands pontes discuter tranquillement avec ceux de la Fédération de leurs plans respectifs pour l’avenir autour d’un bon repas byblien, elle était sûre que la paix se mettrait à fleurir dans l’univers comme de la mauvaise herbe. À moins que ça ne soit une question de compagnie, songea-t-elle sa bouchée avalée en rouvrant les yeux pour observer son fidèle compagnon d’exploration gustative. Elle lui offrit un petit sourire amusé à moitié pour s’excuser du bruit qu’elle faisait et reprit une nouvelle bouchée de ryele. Elle aurait donné un rein pour que cet instant parfait s’éternise ou qu’elle puisse le garder bien au chaud pour pouvoir le revivre plus tard.

La chaleur du jour était retombée avec l’obscurité et même s’il faisait encore chaud pour les standards stellariens, les ventilateurs d’un autre temps balayaient régulièrement leur table d’une brise rafraîchissante. La luminosité de la cantine était un peu tamisée, laissant à leurs yeux la possibilité de se reposer après avoir encaissé la pleine puissance de Gattaca toute la journée, réverbérée par le sable du désert. Et puis la nourriture était sans conteste la meilleure qu’elle ait jamais mangée de toute sa vie. Certes la dernière fois la délégation avait eu le droit à un véritable festin, mais ils étaient tous trop chamboulés pour pouvoir en profiter correctement. Désormais, le corps de Nova avait trouvé les contre-mesures à adopter pour supporter la chaleur et la gravité et le séjour était tellement plus agréable.

Cependant, la compagnie faisait aussi beaucoup. Elle ne connaissait personne dans la délégation la dernière fois, et là, elle était avec un ami. Et Akum la comprenait parfaitement lorsqu’il s’agissait de manger. De manger beaucoup et de manger bien. Elle était ravie qu’il lui ait proposé d’aller faire une razzia sur les spécialités locales. Depuis leur balade de la dernière fois, sa proposition lui était un peu sortie de l’esprit. Quand la brune songeait qu’elle aurait pu passer à côté d’une telle soirée si elle avait dû ne compter que sur sa mémoire, elle était dépitée. Mais en même temps… Ugh. Nova aurait été incapable de verbaliser ce qui la dérangeait mais il y avait quelque chose de différent par rapport aux autres repas qu’ils avaient pu partager. Au début, Nova se l’était justifié en se disant que ce truc indéfinissable dans l’air venait du fait qu’Akum avait du mal à se confier. Elle lui avait bien redit qu’elle était là pour lui s’il voulait se confier mais… – et encore une fois elle était loin de pouvoir l’affirmer haut et fort – elle était presque certaine que c’était autre chose. Son comportement avec elle aussi était différent. Bon sang, peut-être qu’elle se faisait des films mais c’était comme si le secouriste était plus… sérieux ? Oui, c’était ça. Il semblait plus sérieux que d’ordinaire. Plus présent aussi, quoi que ça veuille dire. La brune ne savait pas trop comment prendre ce changement d’attitude. Ils étaient plus proches depuis leur arrivée sur Byblos, ils passaient plus de temps ensemble – et Aileas était toujours là pour le leur faire remarquer même si la maraîchère ne savait pas si c’était un demi-reproche ou un fantasme tordu de la part de son amie. Parce que tous les sous-entendus de l'ingénieure l'avaient hantée toute la soirée, Nova avait même poussé sa légendaire couardise de côté pour lui demander s'il n'était pas en train d'appliquer les conseils de leur amie. Sur le ton de la blague. Histoire de pouvoir nier si besoin. La réponse d'Akum avait été loin de redonner le calme à son esprit mais sans rien clarifier de la situation alors elle avait continué à faire mine de rien.

Pour chasser ces réflexions de son esprit, Nova se resservit une minuscule portion de lasagne aux néridlas plus par gourmandise que par faim et reposa le plat entre eux. Il lui suffit de relever les yeux vers Akum pour que ses pensées se remettent à tourner en vain dans sa tête. Non. Elle ne devait voir dans l’attitude d’Akum que ce qu’elle voulait sans doute y voir. Quelques jours en compagnie d’un membre du sexe opposé et voilà le résultat ! Elle était désespérante… La brune engloutit le reste de son assiette avant de soupirer, mais d’aise cette fois. Il fallait connaître ses limites et elle était à peu près sûre d’avoir dépassé les siennes dix minutes plus tôt.

— Mh… Pour moi ça va s’arrêter là.

Soupira-t-elle en se laissant tomber contre le dossier de sa chaise.

— Je n’en peux plus !

Un grand sourire lui échappa. Lorsque son ventre était heureux, Nova était heureuse. Ses interrogations quant à ce truc dans l’air ne faisaient pas le poids face au contentement d’un estomac plein attaquant la digestion.

Le repas c'était excellemment bien déroulé. Non seulement la cantine était excellente, ravissant à la fois son estomac et ses papilles, mais il n'avait pas manqué de remarquer que Nova avait visiblement trouvé son compte, elle aussi, dans l'étalage de spécialité locales salées et sucrée. Il savait qu'il avait pris la bonne décision, en l'invitant à manger et il avait instinctivement su que Aileas n'allait certainement pas lui en vouloir de ne pas l'avoir conviée également à se régaler avec eux. Pas qu'il ne voulait pas partager ce genre de réjouissance avec sa meilleure amie, mais il n'était pas exactement dénué d'arrières pensées en emmenant Nova ici. Des arrières pensées qui nécessitait qu'il n'y ai pas d'influence extérieure connue pour leur rappeler leurs rapports habituels.

Cette soirée avait donc sans doute du paraître dépaysante aux yeux de la jeune femme, habituée à une autre facette d'Akum qui, pour l'occasion, n'avait pas été l'ami qu'il avait plus ou moins toujours été avec elle. Depuis l'instant où ils avaient quitté Aileas, jusqu'à celui où Akum avait posé ses propres couverts, repus, le secouriste avait montré un autre visage à la maraîchère, optant pour une attitude plus sérieuse, bien que toujours agréable. Il avait aussi eu cette manière de s'imposer un peu moins en tant qu'ami, un peu plus en tant qu'homme et potentiel partenaire plus impliqué. Il savait que Nova avait noté les changements, il l'avait lu dans son regard, il l'avait vu dans son attitude au fur et à mesure que la soirée passait. Elle avait même bravement essayé de lui faire remarquer cette attitude inhabituelle de sa part, à quoi le secouriste avait répondu par un sous-entendu qui pouvait à la fois tout et rien dire.

Cependant, alors qu'elle se resservait une petite part de lasagne, Akum ne pouvait s'empêcher de s'interroger encore une fois sur la pertinence de ses intentions vis-à-vis de Nova. Il savait qu'elle était chère à son cœur, très chère même, mais si ses propres sentiments avaient évolué à son égard dernièrement, il ne pouvait s'empêcher de penser à ses précédentes relations et à leurs conclusions, inévitablement douloureuses pour tout le monde à cause de sa façon de voir la vie, bien moins cloisonnée que celle de la plupart des gens. Et cause du tort à Nova était bien la dernière chose qu'il souhaitait faire. Voilà pourquoi il avait mis tant de temps à se décider à faire ce pas qu'il avait déjà bien entamé, ce soir.

-C'était vraiment copieux, confirma-t-il en riant. Et c'est quand même meilleur que le self de la flotte !

Il y avait triche, d'accord, une planète avait plus de moyen de rendre la nourriture plus diverse et savoureuse qu'un tas de ferraille dérivant dans l'espace, mais il fallait admettre la supériorité des autres lorsqu'elle était écrasante, et pour le coup, elle l'était en la matière. Il en avait sans doute profité un peu moins que Nova, restant plus raisonnable qu'elle sur la quantité ingurgitée, mais il en avait tout autant apprécié la qualité. Il laissa passer quelques secondes, juste le temps de laisser les estomacs se poser un peu, puis il l'invita à partir.

-On y va ?

Il se leva, attendant que Nova fasse de même, puis il glissa sa main dans son dos pour la guider vers la sortie, sur quelques pas, avant de retirer sa main, serein au moins sur l'attitude à avoir pour la suite. Une fois dehors il prit une grande inspiration en écartant les bras, comme toujours heureux de se retrouver à l'extérieur, sans cloison autour de lui, sans limite, enfin libéré de cette peur qu'il avait dû réprimer devant l'infinité du ciel, lors de ses premiers jours sur Byblos. Il n'avait ensuite pas pu faire autrement que d'en apprécier cette impression de ne pas avoir de limite tout autour de lui. Il laissa retomber ses bras, puis offrit un sourire engageant à Nova, véritablement content d'être ici avec elle, avec des températures plus acceptables à présent que le soir était plus avancé qui lui permirent de prendre sa main sans avoir peur qu'elle ne reste collée à la sienne. Un geste un peu inhabituel, mais pas franchement étonnant venant de lui.

-J'aime bien cette planète, déclara-t-il alors. Tu sais que mon coach de taik a décidé de s'y installer avec sa femme ?

Ils allaient lui manquer, c'était une certitude. Eux, leur énergie, les sorties au bar avec Maggie, les bons conseils et la présence presque paternelle de Ren lorsque Akum en avait besoin. Il ne doutait pas qu'ils seraient heureux ici, tous les deux, mais ils lui manqueraient. Quant à lui, il avait beau aimer la planète, il ne s'imaginait pas un seul instant y rester, ayant au contraire l'envie d'en découvrir plus, d'en découvrir d'autre, de ne pas se cantonner à la première découverte qu'il faisait.

-Sûrement pour les spécialités locales, plaisanta-t-il.

Ils avaient un petit peu de chemin à faire pour rentrer. Pas longtemps, mais juste de quoi discuter un peu. De plus, ils n'étaient pas pressés, sachant très bien que Aileas les attendrait sans doute de pied ferme avec moult regards entendu et autres remarques bien placées pour essayer de savoir ce qu'ils avaient fait. Ils ne mirent malgré tout pas longtemps avant d'atteindre la porte derrière laquelle se trouvait leur appartement temporaire et plutôt que de rentrer directement, Akum s'arrêta devant et retint Nova en la tirant doucement par la main.

-Attend. Il jeta un coup d’œil prudent à la porte avant de reporter son regard sur Nova, un léger sourire sur les lèvres. J'ai vraiment passé une bonne soirée avec toi. Plus que ça même. Son pouce caressa doucement le dos de la main qu'il tenait toujours. En fait, tu avais raison, j'avais un truc à te dire, mais j'attendais le bon moment et... je pense que c'est maintenant. Il ne la quittait pas des yeux en parlant, toujours avec ce sourire sur les lèvres, commençant imperceptiblement à se pencher. La vérité, c'est que tu me plaît beaucoup. Ça fait des jours que j'hésite à te le dire, parce que je savais pas comment tu le prendrais. Sa voix diminua en volume alors qu'il se rapprochait d'elle. Mais j'en ai assez d'hésiter. J'avais besoin que tu le saches.

Il acheva son discours en comblant l'espace qui subsistait encore entre elle et lui, l'embrassant sans l'once d'une hésitation, mais sans aucune précipitation, aussi prévenant dans son geste qu'il l'était avec elle habituellement.

Il n’y avait pas photo même. Rien à voir avec les plats disponibles dans les réfectoires de la Flotte. Bon, Nova aurait été mal placée pour critiquer ouvertement la nourriture qu’elle contribuait à produire et dont elle était censée être gage de qualité mais seule avec ses pensées, elle avait la liberté de son opinion. Et son opinion était que la nourriture de Byblos valait mille fois celle que la Fédération fournissait à ses membres. Notamment parce qu’elle n’était pas calibrée pour répondre à des besoins particuliers mais pour être bonne. Mine de rien, l’objectif d’un produit changeait beaucoup sur la manière dont on le percevait. Dans le cas de la nourriture, l’habitude jouait aussi un certain rôle. Nova, comme Akum, avaient grandi en connaissant seulement la nourriture de la Flotte, et forcément, l’habitude rendait celle de Byblos beaucoup plus exotique et appétissante que celle qu’ils trouvaient chez eux. Tout ce sucre non contrôlé influençait aussi sur leurs goûts…

— On est bien d’accord !

Fit-elle en acquiesçant vigoureusement. Son enthousiasme pour les spécialités culinaires bybliennes l’avait peut-être légèrement poussé à en abuser ce soir, d’ailleurs. Mais pourquoi se culpabiliser ? Ce n’était pas comme si elle allait rester indéfiniment sur la planète. D’ici quelques jours, elle retournerait chez elle pour retrouver les plats des réfectoires et elle ne pourrait compter que sur ses kilos en trop pour se souvenir des délices de la planète désertique. Akum, lui, avait été plus raisonnable qu’elle pour le coup et elle espérait ne pas être passée pour le trou noir de service. Et qu’il ait apprécié les plats aussi, parce qu’ils étaient quand même venus pour ça à la base : faire découvrir les spécialités au secouriste, pas donner une excuse à la brune de faire des réserves dignes d’un ours avant hibernation.

Galant ou très au courant de la digestion humaine, Akum leur accorda quelques instants de répit avant de proposer de s’extraire de leurs sièges et regagner leurs pénates. Aileas allait sans doute les attendre avec pleins de sous-entendus – elle était de moins en moins discrète dernièrement – mais il restait une petite marge à la maraichère pour prétexter une soudaine envie de dormir avec plus ou moins de crédibilité. Nova réagit à peine en sentant la main d’Akum pour la pousser doucement vers la sortie mais elle ne put s’empêcher de songer que son amie n’allait pas lui lâcher la grappe de si tôt avec les attentions du secouriste même si elles ne lui étaient pas réservées exclusivement. Quoi que sa main dans la sienne, c’était nouveau ça. Pas désagréable mais donnant du grain à moudre à ses questionnements sur l’attitude de son ami ce soir.

— Mais il ne pourra plus jouer au taik, ici…

Ils n’avaient pas les structures et Nova n’était même certaine qu’ils aient jamais entendu parler du principe même. Et puis, même si elle aussi adorait Byblos, elle n’aurait jamais osé franchir le pas pour s’y installer. Il faisait beaucoup trop chaud, son corps n’était pas formé pour supporter la gravité sans compter que personne ne savait encore si le terraforming serait assez performant pour rendre la planète plus stable et propice à la vie humaine. Tous les deux prenaient un pari risqué en quittant la Fédération mais s’assuraient un accès direct à la nourriture locale. Nova gloussa doucement en se disant que dans son cas, ce serait sans doute un argument valable. Si elle survivait à la digestion de ce repas, bien sûr, mais leur logement était en vue, ce n’était plus question de temps avant qu’elle puisse s’allonger et méditer sur les bienfaits de la pondération. Ainsi que sur cette soirée des plus étranges. Être seule avec ses pensées lui permettrait sans doute de réfléchir un peu sur ce qu’elle avait cru voir et remettre de l’ordre dans ses pensées. Sauf qu’Akum ne semblait pas vouloir la relâcher tout de suite, mais il ne devait pas avoir conscience de son trouble. Nova se laissa tirer vers lui et s’immobilisa en enregistrant ses paroles. Qu’est-ce que…

— Oui, moi aussi j’ai passé une bonne soirée…

Souffla-t-elle, happée par son regard. Son contact l’enflamma et elle eut soudain l’impression que son sang se mettait à tourner plus vite dans ses veines. Oh bon sang… Ce n’était pas juste dans sa tête. Il y avait bien quelque chose de différent dans l’attitude d’Akum envers elle ce soir. Ce n’était pas son imagination qui interprétait différemment son regard, ou qui le voyait se rapprocher doucement d’elle, c’était bien en train d’arriver. Même elle ne pouvait pas trouver d’excuses bidons pour donner un autre sens à son aveu ou ignorer ce que ses mots lui faisaient ressentir. Aucune phrase un tant soit peu intelligente ou réaction appropriée ne lui vint, son cerveau était aux abonnés absents. L’espace entre eux deux disparut en ce qui sembla être des minutes entières jusqu’à ce que ses lèvres touchent les siennes. Tout son corps se raidit de stupeur puis se détendit imperceptiblement et elle se laissa aller à ce contact jusqu’à ce qu’il finisse par se couper.

Son premier réflexe fut de se rapprocher de lui, de retrouver sa proximité et sa chaleur, de goûter de nouveau au sentiment d’euphorie qui l’avait emportée mais elle croisa son regard et se raidit de nouveau. Comment est-ce qu’ils en étaient arrivés là ? Elle avait dû rater quelque chose.

— Hm... Bonne nuit alors...

La jeune femme la salua d’un sourire totalement incontrôlé et, la gorge nouée et le corps à la fois lourd et léger, rentra dans le bâtiment avant qu’il ait le temps de la retenir ou d’ajouter quelque chose. Avec cette impression d’être prise dans de la gelée de croissance, elle réussit à monter les escaliers, esquiver Aileas et retrouver la familiarité rassurante de sa chambre. Que venait-il de se passer ? Autant qu’elle sache, elle n’avait pas eu d’épisode psychotique ou d’hallucination... et elle n’avait pas rêvé, Akum l’avait bien embrassée. Mais elle ne comprenait pas, elle pensait qu’ils étaient juste amis, rien de plus. Il fallait croire que la transition s’était faite sous son nez sans qu’elle ne la voit arriver. À moins que ça ne soit qu’une réaction à un moment qui s’y prêtait. Peut-être qu’elle prêtait plus de valeur à ses paroles. Peut-être qu’il voulait dire autre chose qu’elle n’avait pas bien interprété. Elle savait que sa conception de la vie était plus libre et moins prise de tête que celle de la plupart des gens, nombre dans lequel Nova se comptait. C’était peut-être juste sous l’impulsion du moment, rien de bien sérieux. Est-ce qu’elle avait envie de se satisfaire de cette explication ? Est-ce qu’elle en serait déçue ? Ses pensées tournaient dans sa tête sans qu’elle puisse y mettre de l’ordre et il était hors de question de demander l’avis d’Aileas sur la question pour l’éclairer. Si elle se trompait, elle en entendrait parler ad nauseam. Il aurait fallu qu’elle en parle au principal intéressé mais, elle n’était pas sure d’en avoir le courage. La seule raison qu’elle avait eu de lui en parler plus tôt, c’était parce qu’elle était sure de se tromper. Oh et puis zut ! Elle était adulte ! Elle était capable de lui parler. Et c’est ce qu’elle comptait faire. Dès demain matin.

Forte de sa résolution, Nova alla se coucher. Elle se réveilla à l’aube, tiraillée par ses pensées et décida d’ignorer complètement sa résolution de la veille et décida d’éviter le problème en évitant Akum comme Aileas.

S’il entretenait des doutes quant à la pertinence de ses prétentions amoureuses envers Nova, ces doutes disparurent au moment où ses lèvres rencontrèrent les siennes, liant son sort au sien de manière irréversible. Il sentit la surprise de Nova quand il l’embrassa et craignit un moment qu’elle ne se recule, mais fut rapidement rassuré lorsqu’elle s’abandonna également à leur échange, répondant à sa douceur par la sienne comme s’il n’y avait jamais rien eu de plus évident entre eux, comme si les meilleurs pronostics d’Aileas venaient d’être atteint, puis dépassés.

Le baiser lui sembla trop court et il su lire dans le langage corporel de Nova, dans sa façon de revenir légèrement vers lui, qu’elle partageait avec lui cette impression. Pendant un instant alors, tout lui sembla bien, tout lui apparu parfait. Pourtant, lorsque la jeune femme ouvrit les yeux et croisa son regard, il vit ses pensées changer de trajectoire aussi sûrement qu’un astéroïde qui se libère de la gravité d’un corps plus dense, créant l’hésitation en Akum là où il n’aurait pas du y en avoir et semant une confusion entre eux pendant quelques secondes. Avant qu’il ne puisse parler, elle lui souhaita un rapide bonne nuit avec une grimace étrange qui passait plus ou moins pour un sourire, puis elle s’échappa, toujours sans vraiment lui laisser l’occasion de réagir.

Interloqué, il resta donc bêtement planté devant la porte qui s’était automatiquement refermée, l’observant comme si elle allait lui fournir des explications sur ce qui venait de se produire et éclaircir un peu ses idées. Elle n’avait pas directement répondu à sa déclaration. Elle n’avait pas non plus indirectement répondu à sa déclaration. En revanche, elle avait apprécié le baiser et il était donc légèrement perplexe quant au résultat de son entreprise avec elle. Il glissa lentement une main dans sa poche, l’autre venant se gratter l’arrière du crâne alors qu’il se demandait s’il ne devrait pas aller la voir immédiatement pour faire le point sur le sujet, mais il lui vint alors l’idée qu’elle avait sans doute besoin d’un peu de temps pour assimiler l’information. Il se contenta donc de rentrer tranquillement, haussant les épaules vers Aileas avant de se préparer pour dormir.

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Deux jours plus tard, il lui fallu tendre une embuscade à Nova, avec la participation discrète d’Aileas à qui il avait dû raconter l’issue de sa soirée avec leur amie, afin qu’elle comprenne pourquoi celle-ci les évitait autant depuis. En effet, Nova avait recopié le modèle des débuts de leur amitié, l’esquivant avec adresse quand il essayait de lui parler. Cependant, Akum savait qu’il ne devait pas laisser cette situation traîner et c’est ainsi qu’il laissa Aileas rabattre Nova dans leur cabine commune suite à un plan machiavélique qu’ils avaient fomenté à deux, afin de lui laisser l’occasion de discuter en privé avec elle.

Au moment opportun, il surgit donc devant elle, lui coupant la route vers la sortie de la cabine, trop proche pour qu’elle puisse esquiver sa présence ou trouver une issue de secours à la situation de façon naturelle. Il coupa de toute façon court à toute forme de tentative d’évasion en s’adressant directement à elle d’un ton ferme, faisant rempart de son corps pour ne pas qu’elle s’enfuit hors de la cabine. Plus d échappatoire, elle était coincée.

-Nova on a besoin de parler, lança-t-il de but en blanc. Pourquoi tu m'évites ? Si tu ressens pas la même chose que moi je comprendrais mais j’aimerais que tu me le dises directement, là c’est juste… bizarre.

Et il pesait ses mots. Ne pas pouvoir faire de point sur leur situation le rendait fou, il ne pouvait pas supporter ce flou, ni de ne pas savoir si Nova évitait sa présence parce qu’elle ne voulait pas devenir sérieuse ou si c’était parce qu’elle avait peur de s’engager avec quelqu’un comme lui, ce qu’il pourrait comprendre puisqu’elle le côtoyait depuis assez longtemps pour savoir qu’il était un être volage, même si ça n’était pas vraiment la définition qu’il se serait lui-même attribué.

-Est-ce que je suis allé trop loin en t’embrassant ?

Tourner le dos à ses problèmes avait un effet impressionnant sur sa productivité. En deux jours seulement, Nova avait montré plus d'enthousiasme pour une mission qu'elle n'en avait jamais montré en vingt-sept ans d'existence pour quoi que ce soit. Elle était la première levée, la dernière couchée et elle mettait un point d'honneur à avoir quelque chose à faire ou quelqu'un à assister à chaque instant de sa journée. De cette façon, elle avait toujours quelque chose à faire, elle était toujours occupée. Ce n’était pas qu’elle évitait Aileas et Akum – mais alors pas du tout – mais elle prenait enfin la mesure de la chance qu’elle avait d’être là et son devoir était de travailler dur pour prouver qu’elle n’était pas là en touriste. La preuve : la jeune femme s’arrêtait toujours pour discuter avec eux à chaque fois qu’elle les croisait, c’était juste que toutes ses missions ne lui laissaient que peu d’occasion de les voir, rien d’autre.

Tiens, elle venait justement de retrouver Aileas – après avoir constaté qu’Akum n’était pas dans les parages – et elle essayait de se rattraper de l’avoir lâché ces derniers jours en se rendant très obligeante. Mais elle n’allait peut-être pas assez vite, songea-t-elle en entendant la porte s’ouvrir. Ou alors, la brune venait l’aider à chercher. Sauf que… non. Au lieu de la voix flutée de son amie, ce fut le ton plus bas du secouriste qui la fit sursauter. Nova se redressa comme une gamine prise en faute et piqua un fard. Pendant une demi-seconde, elle envisagea sérieusement de l'esquiver en sautant sous son bras, glissant par terre comme un robot ménager et repartir en courant. Puis elle se rappela qu'elle était adulte et se devait parfois d'agir en conséquence. Même si la manière dont toute cette situation était amenée était loin de lui plaire. Elle avait l’impression d’être prise au piège et la manière dont il avait fermé la porte lui donnait l’impression d’être bloquée. Ce qui était sans doute le cas. Et évidemment, Akum n’était pas là pour lui parler du beau temps.

Pendant trois bonnes secondes, elle envisagea de nier en bloc et de trouver un prétexte pour partir et quitter ce traquenard qu’on lui avait tendu. Puis elle se rappela de la dernière fois qu’elle avait voulu tenir quelque chose secret à Akum et à quel point elle avait lamentablement échoué. Surtout qu’elle ne se rendrait pas service en évitant plus longtemps le sujet. Que les choses soient bien claires : Nova aurait préféré s’enfoncer les pics de Bob le cactus dans la peau des bras plutôt qu’avoir cette conversation mais en même temps, mais si elle avait autant d’énergie ces derniers jours, c’était aussi parce que cette question la taraudait.

— Quoooooi ?

Il y avait plus de voyelles que prévu dans sa réponse. Nova s’en rendit compte en temps réel et dut faire un grand effort pour garder sa nonchalance feinte intacte. Entre ça et ses joues qui la cuisaient, on ne pouvait pas vraiment dire que les conditions étaient optimales pour avoir cette discussion. Qu’elle avait tout fait pour éviter – elle s’en rendait bien compte à présent. Elle croisa les bras et passa une main dans son cou, essayant désespérément de trouver une position agréable. Ou du moins supportable.

— Non, c’est pas ça…

Pour une fois, elle n’allait même pas essayer de nier l’évidence. De toute manière, elle avait d’autres choses plus importantes en tête. Akum ne la laisserait sans doute pas partir tant qu’il n’aurait pas eu sa réponse.

— C’est juste que… bon… je m’y attendais pas vraiment… et que bon…

Son cerveau était vide. Vide comme l’espace. Pourtant, ses nuits blanches lui avaient donné l’opportunité de réfléchir à ce qu’elle ressentait et ce qu’elle espérait de tout ça, ce qu’elle redoutait aussi, mais toutes les belles phrases qui lui étaient venues alors filaient entre ses doigts dès qu’elle tentait de les convoquer. Elle avait peur que les mots sortent de travers et blessent l’un d’entre eux.

— Je savais pas trop si c’était… une impulsion du moment ou plus… autre chose, tu vois ?

Finit-elle par dire, rouge comme une pivoine en regardant partout sauf dans sa direction. Il avait parlé de quelques jours l’autre soir mais c’était peut-être juste le soleil de Byblos qui lui avait tapé sur la tête à répétition.

Dans une toute autre situation, Akum aurait certainement ri de l’air déconfit de Nova lorsqu'elle tomba nez-à-nez avec lui. Il aurait sans doute surgi de nulle part en hurlant « Aha ! » pour la surprendre et se serait amusé de sa réaction, cependant l’heure était grave et la situation exigeait un minimum de sérieux. Il n'aimait pas vraiment l’idée d’avoir eu besoin de recourir à de telles ruses pour lui arracher une entrevue, mais elle ne lui avait pas vraiment laissé le choix. C’est donc ainsi qu’ils se retrouvèrent enfin seuls, Akum avec la détermination d’un Byblien qui essayait de communiquer avec Charlie pour la première fois, et Nova qui semblait prête à se découvrir un talent pour le parkour si ça pouvait l’aider à s'enfuir.

Ses questions posées, son large corps bloquant stratégiquement la porte, Akum attendait ses réponses, ne sachant pas trop quoi faire des ses bras mais ne voulant pas les croiser de peur de paraître trop agressif, ni poser ses poings sur ses hanches et avoir ainsi l’air accusateur. Il fit quelques essais avant de finalement se décider à poser sa main droite sur le mur le plus proche, laissant l’autre pendre le long de son corps sans savoir quoi en faire.

Il bougea cependant lorsque Nova ouvrit enfin la bouche, lâchant un mot bien trop long pour son nombre habituel de lettres, et fronça les sourcils, prêt à balancer des arguments et avancer des preuves en s’imaginant qu’elle allait tout nier. Cependant, il fut surpris et encouragé de la voir poursuivre seule, se lançant sur le sujet qu’elle souhaitait visiblement éviter en devenant progressivement de plus en plus rouge. Les mains du secouristes trouvèrent ses poches, essayant de deviner selon son ton ce qu’elle aurait souhaité entre les deux cas de figure qu’elle avait elle-même avancé, songeant à quel point il serait ironique qu’elle se sente gênée si ça n’était justement pas juste quelque chose fait sous l’inspiration du moment.

-Beeen, je te l’ai dit sur le moment, tu sais ? Répondit-il, gêné à l’idée de s’être mal fait comprendre.

Il avait pourtant dit tout ce qu’il avait prévu de dire, organisé à la virgule près sur un plan qui avait été élaboré avant même de l’inviter à manger avec lui. Sa préparation n’était pas au point visiblement, il allait devoir la revoir si jamais Nova le repoussait. Cependant il n’avait toujours pas clairement répondu à sa question et il se dépêcha de compléter son aveu.

-C'était… c’est plutôt autre chose.

Il ne fuyait pas son regard, gardant au contraire les yeux rivés dans les siens, peu importe si elle les détournait ou faisait de même. Un observateur attentif aurait cependant pu noter qu’il regardait de temps en temps vers ses joues, désormais très rouges, ce qui ne manquait pas de faire battre son cœur un peu plus fort. Elle était vraiment adorable.

-Je suis désolé si ça t’as paru un peu sorti de nulle part, mais je voulais vraiment te le dire et puis je t’ai embrassé un peu sans te demander aussi, j’aurais sans doute pas dû ou te demander ou quoi mais quand tu m’as regardé je sais pas, j’ai pas pu m'empêcher.

C’étaient là des excuses bien dérisoires et il se sentait un peu confus désormais de les avoir faites, puisqu’il se souvenait clairement qu’elle lui avait rendu son baiser, mais il était vrai qu’il n’avait pas vraiment demandé avant de le faire, même s’il lui avait laissé tout le temps du monde de le repousser.

-Mais je suis sûr de ce que je ressens pour toi et je sais que je suis peut-être pas le candidat idéal à tes yeux mais j’aimerais qu’on puisse se laisser une chance ? Toi et moi ?

Ses poings étaient désormais serrés dans ses poches alors qu’il la regardait avec un air mêlant espoir et inquiétude. Il avait vraiment envie d’essayer quelque chose de durable avec elle. Il savait qu’il ne souhaitait pour rien au monde lui faire du mal et qu’il ne se mettrait pas seulement la jeune femme à dos, mais beaucoup de ses amis s’il en venait à la blesser et il était hors de question pour lui d’en arriver à la faire souffrir d’une façon ou d’une autre. De plus, il s’était trouvé parfaitement incapable de lui cacher ce qu’il ressentait, une fois certain de ses sentiments, même si ça aurait été la décision la plus raisonnable à prendre sans doute.

S’ils avaient eu n’importe quelle autre discussion que celle qu’ils étaient précisément en train d’avoir, Nova n’aurait sûrement pas raté de le taquiner sur l’enchainement de positions bizarres que le secouriste sembla essayer sans en adopter aucune longtemps. La réalité étant ce qu’elle est, seule une petite voix en arrière-fond s’en amusa sans réussir à se faire entendre au centre de contrôle. Il avait un peu trop à faire à résister pour éviter que ce trop plein de gêne et d’incertitude ne prenne le contrôle de la place forte et trouve le bouton d’auto-destruction. Elle savait très bien ce qu’il avait dit. On ne pouvait pas dire qu’elle brille pour sa mémoire d’ordinaire mais ce qu’avait dit Akum avait été enregistré et repassé encore et encore dans sa tête ces deux derniers jours. Et à ces quelques mots, Nova avait trouvé une vingtaine d’interprétations différentes plus ou moins plausibles. À ce rythme, la maraichère pourrait encore en trouver une bonne centaine d’ici la fin de la semaine. Comme quoi avoir cette discussion n’était peut-être pas une si mauvaise chose, au moins pour la tranquillité de son esprit.

Enfin…

Ses excuses lui décrispèrent un peu les épaules et elle risqua une œillade rapide vers le grand roux avant de se remettre à regarder partout sauf vers lui en réalisant que ses yeux étaient tournés vers elle. Soutenir son regard lui donnerait sans doute envie de fondre et disparaitre à travers le sol. Si elle voulait mener cette discussion, elle avait besoin de tout son esprit et elle n’était certaine d’en être capable en le regardant. Son grand acte de courage – sur l’échelle Aldren, il valait au moins un bon 8 – lui avait appris au moins une chose : Akum était tout aussi gêné qu’elle. Ce n’était pas suffisant pour la détendre complètement mais c’était bon à savoir.

— Je…

Un coin de son esprit – sûrement le même qui s’était amusé de sa position un peu plus tôt – s’étonna qu’il puisse se considérer comme un candidat, pas un des favoris en plus. Comme si elle avait ouvert les inscriptions et croulait sous les demandes… Déjà ce n’était pas le cas, loin de là. Et ensuite, même si ça avait été le cas, Akum aurait eu l’avantage sur les autres, et de loin. C’était bien pour ça qu’elle était aussi mal à l’aise. Nova avait tellement envie de lui dire qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de chercher la petite bête, persuadée que quelque chose allait venir piétiner sa joie.

Pendant deux jours, la jeune femme avait essayé de trouver des arguments pour expliquer l’aveu du secouriste, pour se convaincre – de nouveau – qu’elle se faisait des films. La raison avait été un bouclier qu’elle avait projeté entre elle et ses sentiments. Ce n’était pas un franc succès : elle n’avait rien trouvé. Qu’il insiste – même en provoquant l’entrevue par des moyens honteux –, c’était une preuve suffisante pour ranger ses défenses. Sortir les mots lui coûtait. Elle allait sûrement épuiser tout son courage pour les deux prochaines années. Au moins. Nova s’exhorta à bouger. Elle rangea une mèche de cheveux derrière son oreille pour essayer de se détendre et s’avança vers lui avec l’impression que ses jambes allaient la lâcher d’un instant à l’autre. Son regard remonta pour trouver le sien.

— Ouais… ouais, ok.

Impossible à retenir, un grand sourire s’étala sur ses lèvres. Son regard retomba vers le sol, le temps de reprendre le contrôle de son visage, et de laisser le temps aux tâches rouges maculant son cou et ses joues de s’estomper. En vain. Une pensée lui traversa l’esprit, et elle redressa la tête avec un regard espiègle, en se tenant le coude.

— Mais… 'fin… t’es quand même le candidat idéal, tu sais ?

Ne put-elle s’empêcher de glisser avec malice, mais cet aveu relevait de nouveau le rouge de ses joues.

Akum avait rarement été aussi tendu en attendant la réponse d’une femme. Lui qui avait l’habitude d’être détaché en amour comme dans le reste de sa vie, le voilà désormais dans une situation qui, si elle pouvait paraître habituelle, provoquait en lui un mélange de sentiments contradictoires qui ne cessaient d’augmenter son malaise alors qu’il attendait la réponse de Nova, espérant qu’elle réponde par la positive, mais redoutant cette option malgré tout. Cependant, son envie de la voir accepter qu’ils essayent quelque chose, à deux, était plus forte que le reste et c’est pourquoi il restait suspendu à ses lèvres en attendant qu’elle prenne une décision.

Une fois encore, sa prise de parole fut fragmentaire, laissant des bouts de phrase en suspension entre eux, comme si elle cherchait des mots qui lui échappaient tandis que ses yeux le fuyaient d’avoir rencontré les siens. Elle s’approcha cependant de lui, remettant une mèche de cheveux derrière son oreille dans un geste qui ne manqua pas de faire battre plus vite le cœur du secouriste alors qu’il devenait de plus en plus clair qu’elle allait accepter. Le regard de la jeune femme remonta enfin pour chercher le sien alors qu’un sourire discret prenait place sur les traits du jeune homme. Sourire qui devint plus large lorsqu’elle énonça enfin son accord, timide, mais positif malgré tout.

Immédiatement après, Nova redevint rouge et son sourire répondit à celui du secouriste, qui pu l’admirer faire preuve d’un peu plus de timidité encore. Il venait d’être libéré d’un coup de sa propre tension et retrouvait peu à peu cette tranquille assurance qui le caractérisait dans la plupart des aspects de sa vie, lui permettant de pouvoir apprécier à sa juste valeur à quel point Nova (sa petite amie désormais) pouvait se montrer attendrissante lorsqu’elle était gênée, mais également lorsqu’il y avait cette lueur un peu plus joueuse dans son regard. Ne pouvant alors s’en empêcher, il laissa son sourire devenir légèrement différent.

-Ça, c’est le truc le plus... commença-t-il en s’avançant, sortant les mains de ses poches.

Il avait du mal à savoir ce dont il avait le plus envie en ce moment précis, entre la serrer dans ses bras, l’embrasser, ou simplement lever les deux poings à hauteur d’épaule en signe de victoire, mais il était sûr de ne pas vouloir la laisser repartir avant d’avoir fait l’une ou l’autre des deux premières options. Il avait également du mal à savoir comment il souhaitait finir cette phrase.

-En fait oublie, je crois que je vais mettre trop de temps à trouver ce que je veux dire et ce temps sera bien mieux employé à autre chose. Akum glissa tranquillement ses mains autour de la taille de Nova et commença à se pencher vers elle avant de s’interrompre, se souvenant d’un des arguments de son discours. Est-ce que je peux t’embrasser ?

L’idée qu’il puisse la faire paniquer à force d’être trop confiant n’était absolument pas présente dans son esprit, tout à la joie qu’il était de savoir ses sentiments partagés par la jeune femme. Il n’avait pas vraiment envie d’attendre la réponse, impatient à l’idée de retrouver les sensations que lui avaient procuré son premier baiser avec elle, cependant il souhaitait aussi la voir faire demi pas vers lui. Aileas allait tellement ne jamais arrêter de lui en parler.

D’avoir dit ces quelques mots, Nova se sentait aussi légère qu’un nuage d’atomes répandus dans l’espace. Fébrile aussi. Comme si on l’avait branchée sur une batterie et qu’on avait allumé le courant. Et plus le sourire d’Akum augmentait, plus elle se sentait légère et gourde à la fois. Peut-être qu’elle n’aurait pas dû éviter le problème aussi longtemps. Elle se serait évité deux jours d’efforts intenses dans une chaleur infernale et une plus grande tranquillité d’esprit. Son cœur bondit dans sa poitrine pour se mettre à battre plus vite en le voyant s’approcher d’elle. Pour la tranquillité d’esprit, on repassera. Le grand roux ne la laissait pas indifférente, et quelque chose lui disait que ce trouble n’allait pas se dissiper de si tôt.

Intuition renforcée lorsque les bras d’Akum s’enroulèrent autour sa taille et que leur soudaine proximité rendit ses jambes cotonneuses et réduit son palpitant dans un état proche de celui de la gelée nutritive. Nova avait une petite idée de comment employer ce temps, mais les changements induits dans leur relation par cette conversation éclair étaient encore en train de faire leur chemin dans sa tête et se morigéna aussitôt pour cette pensée. Par réflexe plus que par envie. À son regard posé sur elle, la brune devinait sans mal qu’Akum partageait la même pensée. Ce qui n’était pas pou lui déplaire. Dans sa tête repassait leur dernier – et premier – baiser et elle brûlait de réitérer l’expérience. Même si c’était tout récent entre eux, c’était. Elle devait juste s’y faire assez pour ne pas se sentir rougir à chaque fois qu’il était aussi près d’elle ou qu’il la regardait. Ils étaient ensemble maintenant, et rien qu’entendre les mots dans sa tête la remplissait de joie pure. Pourtant, le secouriste s’arrêta bien avant que ses lèvres ne touchent les siennes.

Pour lui demander s’il pouvait l’embrasser. Sa question lui tira un sourire. Qu’il puisse vouloir ne pas la brusquer était à la fois adorable et gênant car impliquant qu’elle dise oui, qu’elle affronte verbalement la situation. Mais au lieu de se perdre de nouveau en baragouinage – ce qui arriverait pour sûr –, la brune se contenta d’hocher timidement de la tête, de plus en plus fébrile. Elle poussa même la chance à tenter un nouvel acte de bravoure – un bon 9 cette fois sur l’échelle Aldren – en glissant sa main sur l’épaule d’Akum et en la faisant remonter sur sa nuque pour le tirer doucement vers elle. Dès qu’elle retrouva ses lèvres contre les siennes, son souffle contre sa joue, Nova se sentit aussi légère qu’une plume, le cœur si rempli qu’il aurait pu s’envoler hors de son corps. À peine avait-elle goûté à cette proximité qu’elle aspirait déjà à en avoir plus, à se couler dedans. Elle enroula ses bras autour de ses épaule et se hissa sur la pointe des pieds. Quand elle finit par se détacher, restant tout près de lui, c’était juste pour répondre enfin à sa question.

— Ne me demande pas… Enfin, tu sais ?… La prochaine fois…

Chuchota-t-elle avec un petit sourire, pour partir sur de bonnes bases. De toute manière, peu importait vraiment qu’il soit d’accord maintenant ou non, songea-t-elle en avançant de nouveau son visage à la rencontre du sien. Nova avait finit par prendre l’habitude de répéter, si besoin ad nauseam, et si ça ne la dérangeait pas de le faire sur des sujets qui lui prenaient la tête, elle aurait encore moins de problème pour le faire sur un sujet comme celui-là. Sans compter que si elle n’avait pas envie, Akum s’en rendrait bien compte. Probable qu’il se retrouverait avec sa main dans le visage, dressée entre eux deux comme rempart. En imaginant qu’elle puisse volontairement se priver de ce sentiment si grisant qui la prenait lorsqu’il était si proche d’elle.

Akum fut certain que poser cette question était une bonne idée lorsqu’il sentit la main Nova se poser sur son épaule et remonter courageusement vers sa nuque avant de le tirer à elle. Se complaisant dans sa reddition, Akum se laissa faire sans résister, lui facilitant la tâche alors qu’elle cherchait d’elle-même à combler l’espace entre eux. Le temps lui paru pourtant trop long avant qu’ils ne s’embrassent enfin, lui laissant retrouver la douceur de ses lèvres et cette sensation de chaleur parfaitement indépendante du climat local qu’elle répandait en lui. Le secouriste avait du mal à faire le tri dans ce qu’il ressentait alors, à la fois complètement attendri par l’hésitation qu’elle avait mis à franchir ce pas, mais enflammé par cette façon qu’elle avait de se presser contre lui une fois le baiser engagé.

Il souhaitait plus que tout faire preuve de douceur avec elle, prendre le temps de faire les choses bien, à leur rythme, à son rythme à elle plutôt qu’au sien, afin que tout se passe correctement entre eux. Cependant, les choses étaient déjà rendue difficiles, si tôt dans leur relation, par cette impression d’invincibilité qu’elle lui prodiguait en un simple baiser, cette sensation impossible, cette certitude que tout ne pouvait qu’aller bien tant qu’elle gardait ses lèvres contre les siennes, que ses mains pouvaient continuer de se tenir à sa taille, à épouser le creux de ses reins. Parce qu’il avait toujours envie d’en avoir plus, Akum, qu’il n’en avait jamais assez dès qu’il s’agissait du contact des autres. La tentation était rendue plus grande encore par le fait qu’ils étaient décidément très seuls dans cette cabine et que Aileas ne viendrait probablement pas chercher Nova de si tôt, grâce à leur plan pour le moins réussi de coincer Nova avec lui.

Il avait besoin d’un répit, le temps de réussir à reprendre ses esprits. Il avait également besoin de ne surtout pas lâcher Nova de peur qu’elle lui échappe, qu’elle se rende compte que c’était finalement une très mauvaise idée d’essayer avoir une relation stable avec lui. Encore deux souhaits parfaitement incompatibles. Ce répit, il vint brièvement de Nova qui s’écarta juste assez pour qu’il puisse plonger ses yeux dans les siens, le faisant fondre instantanément sur place alors qu’elle lui proposait de ne plus lui poser la question, la prochaine fois qu’il souhaitait l'embrasser.

Sans vraiment attendre de réponse, ce qui était pour le mieux puisque la repartie du secouriste était désormais aux abonnés absents, Nova engagea le mouvement pour l’embrasser à nouveau, effaçant toute amorce de réponse à laquelle il aurait pu penser. À la place, il se contenta de se laisser emporter un peu plus dans ce nouvel échange, toute résolution balayée par la simple addition du sourire de Nova couplé au contact de ses lèvres contre les siennes. La pensée qu’il ne pourrait plus jamais rien lui refuser désormais le traversa un instant avant de s’évanouir avec le reste de son cerveau. Elle mettrait un frein à son enthousiasme si elle le voulait. C’est dans un dernier effort de volonté qu’il réussit à s’écarter juste assez à nouveau pour rompre le baiser, ses mains restant pourtant sur elle, la gardant contre lui tout en se faisant de plus en plus caressantes.

-Ooookay Nova si tu m’embrasses encore une seconde de plus je réponds plus de rien, réussit-il a dire malgré son souffle court.

Il ne s’était même pas rendu compte que son pouls s’était emballé au fur et à mesure qu’il s'embrassaient. Son visage s’approcha à nouveau de celui de Nova, sans qu’il réussisse vraiment à se retenir, ses lèvres effleurant les siennes sans pousser le contact plus loin, en suspens.

La bouillie qui lui servait de centre de contrôle eut un peu de mal à décrypter le message d’Akum. Sa proximité n’aidait pas vraiment à sortir ses neurones de leur grève impromptue. Ils auraient pu, s’ils avaient voulu. Perdre pied. Se laisser aller. Même en pensée, Nova ne savait pas trop comment appeler ça sans sentir ses joues chauffer un peu plus fort de quelques degrés. Personne ne viendrait les chercher tout de suite. Enfin… quelqu’un finirait bien par venir voir ce qui lui prenait autant de temps. Aileas peut-être ou son coordinateur, quoiqu’en ce qui concernait son amie, elle avait soupçonné à l’instant même où la porte s’était refermée derrière Akum qu’il s’agissait d’un odieux guet-apens. Mais pas immédiatement, et le regard ou même le seul contact, que posait le roux sur elle ne l’aidait pas à penser correctement. Ni ses lèvres si près des siennes, si terriblement tentantes. Si ses paroles se voulaient un avertissement raisonnable, sa proximité en était un démenti flagrant.

Nova ne put s’empêcher de rire doucement en se forçant à ne pas lui demander un autre baiser. Pour son plus grand malheur; elle faisait partie de ce genre de personnes qui manquent complètement de volonté. S’il ne la laissait pas partir, elle ne partirait pas. Et ce n’était pas vraiment comme ça qu’elle voulait commencer leur histoire, vite fait mal fait, alors qu’Aileas l’attendait – ou pas, on devait pouvoir appliquer la théorie du chat de Schrödinger à ce cas précis – en bas.

— Oh ! … et bah… ok.

Balbutia-t-elle pendant que son cerveau essayait de reconnecter les quelques neurones qu’il lui restait. S’éloigner. Il fallait qu’elle se souvienne quels muscles engager pour effectuer un pas en arrière. Même un petit pas. Juste un petit pas.

— De toute façon, il faut que j’y retourne...

Chuchota-t-elle sur un ton d’excuses en rassemblant le peu de volonté qu’il lui restait pour mettre de la distance entre eux deux. Un pied, puis l’autre. Là, voilà. Elle avait retrouvé une distance de sécurité. En revanche, elle n’était pas parvenue à détacher ses mains de ses bras. Comme pour ne pas le lâcher trop abruptement. Ca ne changeait pas grand chose. La sensation était atroce. Un peu comme lorsqu’elle devait quitter la chaleur et l’amour de son lit et de ses draps chauds un jour où les régulateurs de température du Columbiad faisaient des siennes. Et cette distance entre eux aurait pu être calculée en années-lumière. Une vraie torture. Elle s’en voulait d’autant plus de s’être portée volontaire sur autant de missions pour avoir une raison valable de se tenir loin d’Akum et d’Aileas. Non seulement elle allait s’épuiser au travail, mais en plus, elle perdait du temps qu’elle aurait pu passer auprès de lui. Oui... on pouvait considérer cette tactique comme un échec. Échec total.

— Mh, bon… J’y retourne.

Il y avait assez de détermination dans son ton pour s’auto-convaincre de le faire. C’était comme pour les fées, il suffisait d’y croire fort. Elle baissa les yeux, espérant briser la tentation de rester en sortant Akum de son champ de vision, oh ! Et tomba justement sur le prétexte de son amie ingénieure pour la faire monter. Elle l’attrapa et esquissa un sourire contrit. Même cette excuse ne pouvait pas la garder là.

Se détacher d'elle lui semblait être une tâche impossible alors que son univers semblait s'être réduit à une seule et même personne. Pourtant il fallait être raisonnable, leur laisser le temps de faire les choses au rythme qu'ils se seraient fixé, ne pas effrayer Nova en voulant aller trop vite, trop loin. Celle-ci avait cependant l'air tout à fait à l'aise avec l'idée de rester contre lui, voir de continuer sur leur belle lancée. Que ce soit dans leurs baiser qui semblait s'être fait plus audacieux ou dans la façon qu'elle avait de se tenir à lui, il y avait largement de quoi encourager les réflexes naturels du secouriste qui l'auraient tout simplement poussé à la déshabiller ici-même, sans retenue aucune.

Bien entendu il n'en fit rien. Si ça devait être à lui de faire ce premier pas, il le ferait, mais pas tout de suite. Attendre encore un peu lui semblait une torture insupportable sur le moment, avec les lèvres de Nova si proches des siennes et ses mains à lui qui se promenaient dans son dos désormais, mais il savait qu'il faisait le bon choix en lui annonçant qu'un baiser de plus suffirait à lui faire perdre le peu de raison qui lui restait.

Étonnamment, Nova semblait subir le même dilemme que lui, à ne pas pouvoir, ne pas vouloir se détacher alors que les choses pressaient. Un léger rire d'abord, comme si la situation n'était pas aussi sérieuse qu'il le disait, puis quelques balbutiements hésitant alors qu'il pesait réellement le pour et le contre de sa propre décision. Finalement, céder tout de suite ça ne pouvait pas être si mauvais que ça, puisqu'ils céderaient forcément un jour. Donc vraiment, attendre, est-ce que ça n'était pas un peu du temps perdu, vu comme ça ?

À l'aide d'une force complètement mystique venu d'un endroit qui lui échappait, Nova réussit malgré tout à invoquer l'excuse qu'elle avait du travail (et ils en avaient d'ailleurs tous les deux, même si elle s'était arrangée pour qu'ils ne se croisaient pas pendant la journée, dernièrement), sans conviction, puis à faire deux pas en arrière. Le tout sans le lâcher complètement. Lui-même n'avait pas réussi cet effort et ne pouvait s'empêcher de la dévorer du regard, comme s'il n'allait pas être séparés quelques heures, mais plutôt des années et qu'il voulait graver ses traits dans sa mémoire pour ne pas les oublier. En tout cas, c'était l'impression qu'il en avait. La fin de la journée était beaucoup trop éloignée dans le temps pour qu'il ne soit pas complètement récalcitrant à l'idée de la laisser partir, là, maintenant, alors que tous ses espoirs venaient d'être réalisés.

-Ouais... Moi aussi, annonça-t-il bravement, mais sans se trouver le courage de la lâcher.

Ce fut une nouvelle fois elle qui fit preuve du plus de force de caractère en baissant les yeux, rompant ce contact presque hypnotique auquel Akum semblait être soumis. Mollement, il laissa tomber un bras, puis l'autre, avant de forcer un pas en arrière également et de la laisser attraper l'excuse pour laquelle Aileas l'avait envoyé droit dans les bras du secouriste (encore un excellent plan mené avec brio). Cette pensée lui arracha un sourire et il glissa une main sur sa nuque en détournant brièvement le regard. Il réalisa alors que sa meilleure amie allait devoir être mise au courant un moment où l'autre. Elle devait d'ailleurs plus attendre les nouvelles de leur discussion que l'objet qu'elle lui avait demandé de rapporter.

-T'es sûre que t'es prête à y retourner ? Plaisanta-t-il. Elle heu... elle sait que je t'attendais, donc elle risque de chercher à savoir comment ça s'est passé.

Plus ou moins subtilement. Tout comme l'aveu qu'il venait de faire qu'ils avaient agis de concert pour la coincer. Il leva les mains comme pour témoigner de sa discutable innocence, un sourire désormais jusqu'au oreilles, n'arrivant même pas à feindre qu'il était désolé.

-C'était pour la bonne cause !

Il se recula vers la porte, dirigeant sa main vers la console de commande pour l'ouvrir, mais laissant son geste en suspens pour regarder Nova encore un peu. Juste quelques secondes de plus. Il avait le droit de vouloir la garder encore un peu pour lui, non ?

Akum l’interpella alors qu’elle avait déjà du mal à faire parvenir ses ordres jusqu’à ses jambes. S’il lui donnait des raisons de s’attarder – et elle luttait pour écarter toutes celles que lui chuchotaient son cœur qui la voulait au plus près de secouriste –, ils n’étaient pas sortis du sable. Mais ce n’était pas pour la retenir, plutôt pour la prévenir qu’il l’avait arrêtée. De la réaction à attendre de la part d’Aileas. Et cet air hilare du coupable qui ne se repentait de rien du tout merci bien pour lui, bien qu’excessivement craquant – Nova sentit un point entre son cœur et son ventre tressauter – aurait du lui mettre la puce à l’oreille.

Ha-ha ! Elle l’avait pressenti mais Akum venait maintenait de lui en donner confirmation. Toute cette mise en scène avait été manigancée par ces deux horribles manipulateurs. Dire qu’elle était surprise qu’ils se soient alliés pour une telle cause aurait été un odieux mensonge. Déjà parce qu’ils étaient tout le temps fourrés ensemble et qu’elle était pratiquement certaine qu’il n’y avait rien que l’un refuserait de faire pour l’autre, ensuite – et surtout – parce que c’était son amie qui s’était démenée, à la base, pour implanter l’idée qu’ils iraient bien ensemble. Que le secouriste la prenne comme alliée pour piéger Nova et avoir cette discussion tombait sous le sens quand on y regardait bien. 

— Je le savais… mais je le savais tellement !

Siffla-t-elle en secouant la tête, essayant de réprimer un accès d’hilarité. Elle poussa la main d'Akum qui bloquait la console d’ouverture et déverrouilla la porte. Rien que ce contact fugace mettait sa volonté à rude épreuve mais elle refusait de le montrer, par fierté, et parce qu’après ces quelques minutes, elle se sentait légèrement plus audacieuse.

— Vous êtes impossibles, tous les deux !

Mais vu l’état dans lequel elle était, Nova aurait été bien incapable de leur en tenir rigueur à l’un comme à l’autre. Son cœur était bien trop léger et elle luttait pour réprimer son envie de rire à tout va. S’énerver, ou ne serait-ce que prétendre être contrariée aurait été impossible dans ces conditions. Avec le sourire qui lui collait aux lèvres, elle n’aurait pas été crédible une seconde. Si elle tombait sur Aileas, elle aurait plus à réprimer son envie de lui sauter au cou pour tout lui raconter dans une mémorable diarrhée verbale que de lui passer un savon sur la honteuse trahison dont elle avait été l’objet.

Cependant la jeune femme ne passa le pas de la porte, pas vraiment capable de le faire sans quelques garanties, et se retourna vers le roux, une main sur la porte. Quelque part, c'était comme si elle redoutait qu'une fois partie, tout ça, lui disparaisse, comme si cette discussion n'avait jamais eu lieu. C'était irrationnel. Son cerveau sentait que c'était irrationnel, mais, ce n'était pas comme si elle avait ce genre d'inquiétudes tous les jours.

— Tu m’attends ce soir ?

Avec ses conneries de vouloir faire plus de travail supplémentaire elle finissait après tout le monde depuis deux jours – un super résultat quand elle cherchait à éviter Akum et Aileas mais qui se prenait bien moins aux derniers développements.

Nova ne se montra pas surprise par la révélation qu'il lui fit, dénonçant l'implication d''Aileas dans le plan qui l'avait menée droit dans cette pièce, coincée avec lui sans moyen de s'enfuir. Elle ne se montra pas non plus énervée de voir qu'elle avait été la victime d'un plan brillant de ses deux amis, ayant au contraire un sourire au moins aussi grand que celui du secouriste qui bloquait toujours l'accès à la sortie. Oh, bien entendu il ne souhaitait pas l'empêcher de partir, elle avait du travail après tout, mais juste la retarder un peu plus pour la garder avec lui n'était pas vraiment si grave, si ?

Elle poussa sa main de la commande pour ouvrir la porte malgré tout et il la laissa faire, gloussant légèrement de ses commentaires. Oui, quand Aileas et lui avaient une idée en tête, il devenait difficile de les empêcher de les arrêter, mais encore une fois, cette fois-ci c'était pour la bonne cause. D'ailleurs, Nova ne s'en plaignait pas vraiment, se contentant de le regarder avec un sourire qui lui faisait regretter de ne pas pouvoir mettre le temps en pause pour en profiter un peu plus.

Elle n'essaya pourtant pas de sortir, sans doute parce que Akum bloquait encore plus ou moins à moitié la sortie, mais aussi parce qu'elle semblait vouloir quelque chose de lui avant de partir. En fait, il s'agissait plutôt d'une demande qui changea son air espiègle en une expression parfaitement attendrie. Il serait venue la chercher même sans qu'elle ne le lui demande, mais il trouva adorable qu'elle ai ressenti le besoin de s'en assurer malgré tout. Ça n'allait pas du tout. Il ne pouvait décidément pas la laisser partir alors qu'elle le regardait avec ces yeux là.

Plutôt que de lui répondre oralement, toute sa belle détermination et sa raison envolée, il glissa un doigt sous le menton de Nova avant de se pencher pour l'embrasser une nouvelle fois, complètement incapable de faire preuve de retenue quand elle faisait autant d'efforts pour être aussi irrésistible. Il mobilisa pourtant toute sa volonté pour ne pas laisser le baiser dégénérer, contrairement à ce que souhaitaient chaque cellule de son corps. Sa main glissa doucement sur la nuque de Nova avant qu'il ne réussisse l'exploit insurmontable de séparer ses lèvres des siennes, luttant encore contre lui-même.

-Bien sûr, je viendrais te chercher pour rentrer, promit-il.

Puis, après un dernier baiser, il se redressa malgré ce qui lui criaient toutes les parties de lui qui n'étaient pas la partie raisonnable de son cerveau, clairement en sous nombre, mais luttant vaillamment pour ne pas se laisser déborder. Profitant d'être sur une lancée de bonne volonté, il s'écarta même de l'entrée, afin de lui laisser la place et lui fit signe qu'elle était libre de partir à présent.

-Je déteste dire ça, mais tu ferais mieux de filer parce que si je reste encore une seconde de plus avec toi, je risque de plus jamais te laisser partir, plaisanta-t-il.

Qu'il était dur d'être raisonnable.

C’était peut-être un peu bête comme demande, et elle s’attendait presque à ce qu’il s’excuse poliment pour aller se coucher, ou partir faire le tour des cantines avec Aileas plutôt qu’attendre son retour – ce qu’elle aurait parfaitement compris. Ou alors qu’il rattérrisse sur Terre et se rende compte soudain à quel point ce qu’il faisait n’avait aucun sens et décide de la fuir le plus vite possible. Pour être tout à fait honnête, c’était justement ça qui inquiétait la brune, ce pourquoi elle avait besoin d’une confirmation de le trouver au soir. Mais non, pas de plates excuses, polies ou non. Une lueur nouvelle brilla dans les yeux d’Akum à la fin de sa requête et cet air qu’elle aurait bien été en peine d’identifier lui fit rater une respiration. Puis encore une lorsque ses lèvres se posèrent de nouveau sur les siennes.

Un grand sourire lui répondit. Sachant qu’elle le retrouverait plus tard, après la fin d’une longue journée, était là seule garantie dont elle avait besoin pour y retourner sereinement, sans avoir l’impression que tout allait revenir à la normale entre eux en quelques heures. C’était suffisant pour la gonfler de l’air le plus léger et se sentir toute vaporeuse. Nova, perchée sur un petit nuage rose ouaté, accueillit son baiser en fermant les yeux pour le savourer et souffrir un peu de le voir se terminer aussi tôt. Pour un peu elle aurait oublié que c’était elle qui prêchait la raison à la base, et qu’elle était la seule personne à blâmer pour cette sensation de trop peu qui se dégageait de ce baiser. Ceci dit, la brune savait qu’elle avait raison et que c’était la bonne chose à faire. Avoir le visage mécontent et imaginaire de son coordinateur pour la juger de se mettre toujours plus en retard dans un coin de la tête risquait de l’empêcher de profiter d’Akum dans de bonnes conditions. Le secouriste, qui avait l’air de gérer une guerre civile au cœur même de sa tête, s’écarta de la porte pour la laisser passer, ajoutant quelque chose qui fit prendre quelques mètres d’altitude de plus à son nuage, et de nouvelles nuances de rouge à ses joues.

— J’y vais, j’y vais !

Répliqua-t-elle après avoir calmé un éclat de rire. Elle passa sa main sur son bras en le dépassant et, ne sachant pas trop elle-même ce qu’elle faisait, déposa un baiser sur sa joue.

— À ce soir, alors.

Souffla-t-elle avant de prendre le chemin de la sortie et de redescendre les escaliers en sautillant presque.