Comparé à l’année qu’elle avait passé sur Byblos, entourée de technologie désuète, Delaani avait l’impression de redécouvrir la civilisation depuis son embarcation sur la Flotte. Le froid aussi. Trois mois avaient passé depuis son arrivée et la Terrienne avait toujours l’impression que le thermostat des vaisseaux était cassé. Après avoir vécu dans l’espace pendant un petit moment, elle avait eut beaucoup de mal à se faire à la chaleur de la planète mais elle avait fini par s’y faire. La chaleur ambiante et les rayons du soleil commençaient à lui manquer en comparaison de l’atmosphère froide de la Flotte. En revanche, elle était plus que ravie de retrouver une gravité moins importante qui lui donnait l’impression d’être aussi légère qu’à ses quinze ans.

Frottant ses mains l’une contre l’autre pour récupérer un semblant de chaleur, la brune mit quelques secondes à réaliser que la navette avait gagné l’Hélios, sa destination finale. Delaani sauta sur ses jambes pour demander au chauffeur de bien vouloir marquer de nouveau l’arrêt pour pouvoir descendre. Elle traversa les vastes espaces éclairés artificiellement pour ressembler à la Terre, ne pouvant empêcher la nostalgie pour sa planète natale de lui pincer un peu le cœur, et réussit à trouver – après avoir arrêté plusieurs personnes – les locaux des ingénieurs. Ils étaient fermés, bien évidemment, et elle ne semblait pas avoir les accréditations nécessaires pour forcer les portes à lui livrer le passage. Que pouvaient-ils bien avoir à cacher au commun des mortels, ces fichus scientifiques ? Les Stellariens semblaient tirer leur fierté de leur ouverture d’esprit, de leur curiosité et de la transparence de leur organisation et pourtant elle avait vite constaté que personne ne savait vraiment ce que les résidents de l’Hélios trafiquaient derrière les portes closes.

Il faudrait qu’elle prenne le temps de tirer tout cela au clair mais pour le moment, Delaani avait autre chose à penser. Elle était venue pour des raisons professionnelles. Elle cherchait quelqu’un de retranché derrière ces fichues portes closes. Heureusement qu’elle n’était pas pressée, elle avait tout son temps à vrai dire. Ses heures de service étaient terminées et elle pouvait s’adosser à la paroi face aux portes en attendant que celle qu’elle cherchait les passe. Pour s’occuper, elle avait toujours son terminal à découvrir. Delaani avait déjà parcourut certaines fonctions – dont l’accès au réseau Starchat qu’elle avait découvert avec délice –, mais était persuadée de ne pas tout avoir vu. Plusieurs personnes traversèrent les portes mais aucune ne répondait à la description qu’on lui avait fait de l’ingénieure en charge du matériel d’exploration, jusqu’à ce qu’une demoiselle passe les portes à son tour. Elle rangea son terminal dans la poche de son uniforme.

— Aileas Kinsley ?

Delaani se décolla du mur qui la soutenait et s’avança vers la jeune femme fraichement arrivée. Réminiscence de ses bonnes manières terriennes, la brune avança la main pour serrer la sienne. La vie et le cadre militaires n’étaient pas vraiment un réflexe naturel pour elle. Il lui était arrivé d’assister à des scènes de saluts entre différentes personnes depuis son arrivée, mais elle n’avait toujours pas saisi si elle devait, elle aussi, se plier à cette règle et surtout à quel moment et avec qui… Dans le doute, elle préférait se ficher complètement des usages, faire à sa manière et rester naturelle. D’expérience, les gens avaient tendance à prendre le temps d’expliquer plus volontiers leurs us et coutumes à quelqu’un d’ouvert et de serein qu’à quelqu’un de sur les dents et pressés de faire leurs preuves. Delaani lui offrit un sourire tranquille avant de se présenter.

— Delaani Siskin. Je viens d’être affectée sur l’Hypatia… Enfin, j’y ai été affectée il y a deux mois maintenant mais je n’avais pas réussi à vous attraper avant aujourd’hui.

La Terrienne était tout autant à blâmer que la jeune femme si on devait commencer à accuser des gens. Lorsqu’elle aurait pu prendre le temps d’aller trouver l’ingénieure pour poser ses questions sur le matériel à la fin de son service, la brune avait préféré profiter de son temps libre pour aller explorer le réseau de vaisseaux.

— Il semble que j’ai raté le B.A-BA sur le matériel, on m’a dit que c’était à vous que je devais m’adresser.

Expliqua-t-elle en rangeant sagement ses mains de chaque côté de son corps. De la description qu’on lui avait de l’ingénieur, Delaani ne pensait pas avoir apostrophé la mauvaise personne mais, eh ! Personne n’est à l’abri d’une erreur !

Elle avait entrapercu la femme quand elle avait passé l’entrée mais n’y avait pas prêté une attention particulière. Des gens qui attendaient que les travailleurs sortent il y en avait partout. Elle avait juste remarqué. Mais lorsque celle-ci l’interpella, elle tourna les yeux vers elle, et hocha la tête.

- Vous l’avez trouvée !

Elle observa la femme qu’elle n’avait jamais vue, mais qui se dirigea vers elle d’un pas assuré, lui tendant la main, et en se présentant. Il ne fallut pas longtemps à Aileas pour se rappeler qu’effectivement on lui avait parlé d’elle. Les derniers mois pourtant avaient été largement occupés à faire des allers retours jusqu’à Byblos, en plus de ses travaux, et de ses nombreuses activités. Une peine parce qu’elle était effectivement très intéressée par la venue de la femme. Mais la voir à présent face à elle lui arracha un large sourire qui vint adoucir son expression quelque peu réservée.

- Enchantée de vous rencontrer enfin !

Elle savait peu sur la nouvelle recrue de la flotte, arrivée très récemment, en même temps qu’une large population byblienne qui les avait rejoints, mais on lui avait raconté tout de même qu’elle avait voyagé. Une information qui était de la plus haute importance. Pour une stellarienne de pure souche, qui n’avait découvert une planète pour la première fois de sa vie que quelques semaines plus tôt, la rencontre avec une femme venue d’ailleurs prenait une toute autre tournure. Aileas avait des milliers de questions qu’elle n’oserait pas proférer tout de suite. Fidèle à elle-même dans sa discrétion, elle ravala toute remarque, et se contenta de confirmer les paroles de la femme.

- Oui pour le matériel c’est bien moi !

Elle hésita un moment avant de demander.

- J’ai du temps maintenant peut-être que ca vous dit ! Est-ce que vous voulez qu’on le fasse tout de suite ? Ca devrait prendre un moment mais si vous avez prévu autre chose, on peut faire ca un autre jour.

De toute évidence elle ne s’était pas déplacée pour rien, mais il valait mieux demander, et invitée à suivre son guide, la byblienne lui emboita le pas. Le silence se fit. Elles marchaient côte à côte, et Aileas ne parlait pas tellement, comme à son habitude. De temps en temps elle jetait un regard à la demoiselle, détournant vite les yeux, jetant parfois un sourire, la plupart du temps une expression intéressée. Observatrice, elle était intriguée par son allure, ses manières quand elle avancait, sa facon de se tenir. La femme semblait décidée et cela semblait en accord avec le portrait qu’on avait fait d’elle. Une femme indépendante qui n’avait pas froid aux yeux. Evidemment dans les yeux d’Aileas elle était déjà un modèle.

Elle avait la classe, suffisamment pour que toute stellarienne ne puisse le remarquer, et voir même vouloir lui ressembler.

Pour rejoindre leur destination, il fallait emprunter une navette, qui les ménerait jusqu’aux docks d’un autre vaisseau, un chemin qu’Aileas empruntait chaque fois qu’elle voulait effectuer des réglages. A l’instar de tout stellarien, se déplacer était naturel, trouver son chemin relevait d’un sens particulier. Elle savait d’avance la meilleure facon de se rendre dans tous les endroits, le faisait sans y penser, des réflexes peut-être encore loin pour la demoiselle qui l’accompagnait maintenant.

Delaani se fendit d’un petit sourire satisfait en réponse.

— Super !

C’était une occasion de moins pour passer pour une idiote en interpellant la mauvaise personne. Il faudrait qu’elle pense à remercier ses collègues. Ils avaient été redoutablement efficaces pour lui décrire la jeune femme. Elle l’avait trouvée du premier coup et n’avait même pas eu besoin d’arrêter plusieurs personnes pour y arriver. Leur talent leur valait bien de chauds remerciements.

Impossible de remarquer la réserve de la jeune ingénieurs qui l’observait comme pour savoir à qui elle avait à faire. Delaani s’empressa de l’éclairer en réalisant que si elle avait eu un portrait d’Aileas, il était fort probable que celle-ci ne sache rien d’elle. Combien de matériel avec elle à charge ? Combien de personne dépendait d’elle ? Vu qu’elles ne s’étaient jamais vues, la brune ne voyait pas comment le bout de femme qui lui faisait face aurait pu deviner ses intentions ou même son identité. Qu’elle lui révéla rapidement pour observer avec amusement l’austère visage se dérider d’un sourire plus franc.

— Mais moi de même !

Répondit-elle en lui offrant un sourire en retour. Elle hocha de la tête et lui dédia toute son attention. Depuis le temps qu’elle remettait à plus tard cette rencontre dont son travail aurait pourtant largement bénéficié, elle comptait bien être là à 100% avec elle pour écouter ce qu’elle avait à lui dire. Comme son interlocutrice l’avait fait avant elle, la brune détailla cette Kinsley pour se faire une première idée de qui elle avait à faire. L’air vif et énergique, elle avait l’air curieuse et, au grand soulagement de la Terrienne, n’arborait pas cet air pincé des gens qui se croient supérieurs aux autres, par leur rang, leur argent ou leurs connaissances. Ouverte et professionnelle, voilà l’impression qu’elle lui donnait.

— Vous avez toute mon attention, miss Kinsley. Je vous suis.

Sans perdre de temps, la petite jeune l’entraîna à sa suite sans un mot de plus. Par timidité ou pour un soucis de rapidité, elle n’aurait pu le dire et se contenta de ses regards et sourires jetés dans sa direction de temps à autre.

Miss Kinsley semblait connaître le chemin comme si elle l’avait fait un millier de fois. Ce qui devait être le cas, en y réfléchissant bien. Mais sa connaissance des lieux crevait les yeux quand on la regardait enchaîner les couloirs et les passerelles sans s’arrêter, sans hésiter, sans constamment surveiller sa progression. Delaani était encore bien loin d’être aussi à l’aise quand elle devait aller d’un point A à un point B, mais elle avait pour excuse de ne pas être là depuis longtemps. Elle l’a suivit jusqu’à un quai de navette qui arrivait justement au moment où elles l’atteignaient. Delaani monta à sa suite et s’installa à côté d’elle. Quand la navette reprit son chemin en vrombissant, elle décida que l’attente serait l’occasion parfaite pour faire un peu connaissance avec la jeune femme.

— Vous êtes sur la Flotte depuis longtemps, miss Kinsley ?

Elle tourna la tête de son côté avec un sourire avenant et se lança dans un mini monologue, technique qui avait déjà fait ses preuves.

— Tu as l’air si à l’aise pour t’orienter, on dirait que ces couloirs n’ont pas le moindre secret pour toi ! –Oh ! Je peux te dire « tu », j’espère ! Fais pareil pour moi, surtout ! – En tout cas je t’envie beaucoup ! Dès que je sors c’est un vrai casse-tête, je passe mon temps à demander mon chemin !

Il existait peut-être une carte cela dit. Il faudrait qu’elle vérifie... Hm. Non, de toute façon elle se connaissait et savait qu’elle ne le ferait pas. Avoir une carte l’empêcherait de discuter avec de nouvelles personnes et de découvrir de nouveaux endroits.

Les gens qui n’avaient jamais rencontré Aileas pouvaient la trouver sérieuse, trop même parfois, au point qu’elle semblait distante. Les discussions n’étaient jamais vivaces. Il suffisait toutefois de très peu pour qu’elle se mette à parler. Elle se montrait plus avenante, et si on l’encourageait plus, elle pouvait même devenir agréable, voir même pour ses amis les plus proches un poil trop entreprenante. Delaani était encore loin de lui inspirer une telle attitude mais la stellarienne apprécia qu’elle lance la discussion. Le sourire aux lèvres elle hocha la tête.

- Je suis née sur la Flotte, ma famille l’a rejoint juste avant que je naisse, ma mère était enceinte de moi à ce moment.

Elle accueillit sans problème la soudaine familiarité de la femme, qui avait vite abandonné le vous, trop rigide peut-être pour elle, et adapté à Aileas, pas suffisamment adepte des règles strictes. Delanni n’était pas seulement ouverte. Elle avait la tchatche. Elle avait la voix qui portait loin. Aileas était sûre en l’entendant qu’elle était une femme de poigne qui savait marcher droit. Rien que pour cela elle l’enviait. Ce n’était pas elle qui aurait parlé de cette facon. Et entendre que Delaani l’enviait était plutôt étrange. Sans doute se sous-estimait-elle, mais elle pensait, avec assez de raison, qu’il n’y avait rien de très talentueux à ne pas savoir se diriger. Surtout dans un endroit qu’on connaissait depuis longtemps.

- Il est normal de se perdre, tu viens juste d’arriver, franchement y’a pas de quoi s’inquiéter.

Avec les kilomètres de couloirs qu’on pouvait arpenter, il y avait de quoi vite se tromper, prendre un mauvais couloir, devenir totalement dingue.

- Pas trop de mérite de mon côté, je suis là depuis longtemps, et donc logique que je sache ! Mais toi on m’a dit que tu avais voyagé. Et franchement c’est encore mieux. J’aimerais pouvoir faire la même chose. Je sais pas si tu sais mais j’ai été sur Byblos. C’était la première fois de ma vie que je quittais l’espace. C’était vraiment impressionnant.

Elle avait déjà les yeux émerveillés à l’évocation de la planète, dont elle avait découvert il y avait peu de temps les étendues sauvages, les oasis perdus entre les plaines sableuses, le lourd Gattaca dont les rayons n’épargnaient pas ceux qui foulaient la terre en dessous de lui. Delaani y avait vécu. Elle savait encore mieux qu’elle de quoi il s’agissait.

- On m’a dit que tu étais une espèce de journaliste ?

La voix hésitante d’Aileas montrait qu’elle n’était pas très sûre de ce qu’elle disait. On lui avait parlé de Delaani mais pas suffisamment pour se faire une idée précise. Elle ne voulait pas l’offenser en lui assignant un rôle qu’elle n’endossait pas. En revanche si c’était vrai Aileas aurait été ravie de lire ses articles et de glaner toutes les informations qu’elle aurait pu. Elle voulait savoir et peut-être que Delaani était celle qui allait l’inspirer plus que les autres. Elle lui avait déjà fait une forte impression qu’elle espérait voir s’esquisser en une émotion plus appuyée.

Delaani se mit à sourire en entendant la jeune ingénieure répondre à ses questions sans sembler se formaliser de sa familiarité soudaine. Pour sa défense, la brune n’avait jamais désirer embrasser une carrière militaire et elle se retrouvait engoncée dans cet uniforme plus par opportunisme que par réelle vocation. La Fédération lui avait trouvé une occupation pour justifier sa présence sur son sol mais elle ne comptait pas s’éterniser à bord. Elle profiterait de la balade jusqu’à qu’ils arrivent à Qiang et partiraient ensuite vers de nouvelles aventures pour découvrir de nouveaux horizons. Rien ne la retenait ici et ce n’était certainement pas sa nouvelle affectation qui la pousserait à embrasser les manières de la Fédération. Bien qu’amusant quand elle avait un peu de travail, elle avait surtout l’impression de perdre son temps et de tourner comme un loup en cage, maintenue par des obligations d’horaire et de responsabilité. Sans compter qu’elle devait perte le pire exemple possible d’un représentant de la sécurité de la Fédération.

Cependant, elle n’était pas là pour imposer son avis aux autres et leur faire embrasser son point de vue de force. Bien au contraire ! Elle adorait découvrir l’avis et la vie des autres, essayer de se mettre dans leurs chaussures, de voir pour un instant le point de vue par leurs yeux – qu’elle le partage ou non. Depuis que son chemin dans l’espace avait commencé, elle avait découvert tellement de nouvelles cultures, de nouveaux modes de vie, de voir comment ses congénères s’adaptaient et créaient de nouvelles choses dans des conditions parfois extrêmes. Donc même si son voyage à bord de la Fédération ne serait pas éternel, Delaani comptait bien faire en sorte de découvrir tout ce qu’il y avait à découvrir ici. Comme par exemple la conception de la vie de ceux qui n’avaient jamais connus que l’espace, comme c’était le cas de sa voisine. Elle haussa les sourcils, surprise avant de sourire devant la mine émerveillée de la jeune femme. Elle ne voulait pas la relancer au risque de paraitre trop insistante et de la braquer. Depuis le temps, la brune s’était rendue compte que les gens s’ouvraient plus facilement lorsqu’ils y allaient à leur rythme et qu’ils avaient l’impression de mener la discussion.

— Ah oui ? Non, je ne savais pas, je n’ai vu que les membres de la toute première délégation.

L’ingénieure faisait peut-être partie de ces délégations qui avaient succédé mais dès lors, Delaani avait déjà rejoint la Fédération à ce moment-là. Elle était curieuse de savoir comment cette petite Stellarienne avait perçu sa toute première excursion sur une planète avec une vraie gravité. Quant à son envie de voyager, elle ne pouvait que la comprendre tout en se demandant qu’elles étaient les réelles perspectives des Stellariens de voir de nouveaux horizons. Ce n’était pas comme s’ils débarquaient sur de nouvelles planètes tous les jours et avec ce qui était arrivé au Jeanne d’Arc, même leur relation avec Keller en avait pris un coup.

— Tu as aimé le voyage ?

Demanda-t-elle cependant en espérant la relancer subtilement, espérant lui faire parler de ses impressions.

Décidément ! La jeune miss Kinsley semblait savoir beaucoup de choses sur elle. Sachant que ses aventures avaient surtout trouvé leur public sur Terre, elle était surprise qu’on ait entendu parler d’elle ici. Delaani haussa les épaules avant de secouer un peu la tête.

— Une espèce de journaliste, oui… Mais pas professionnel, plus pour le plaisir.

On ne pouvait pas dire que sa passion pour l’espace et la découverte lui aient permis de vivre. Heureusement qu’elle avait prit le coup pour se contenter de peu. Elle avait pu se débrouiller avec eux, se reposant essentiellement sur la générosité des personnes qu’elle rencontraient pour bénéficier du gite et de couvert.

— Il y a une destination qui t’attire si tu devais voyager ?

Oui elle avait aimé le voyage, et mieux encore, parce que c’était peu dire, mais elle avait tout simplement adoré. Delaani était la personne parfaite avec qui en parler. Elle savait où étaient les endroits dont Aileas parlait. Cette dernière n’avait que peu visité les alentours, très absorbée un projet plus important, la terraformation défaillante de la planète, et n’avait pas eu trop de temps pour le tourisme, lui-même assez limité par l’environnement difficile que le monde de Byblos représentait.

- J’ai énormément aimé le voyage malgré le fait que l’adaptation a été assez dure.

Delaani expliqua ensuite qu’elle était une journaliste mais que ce n’était pas son occupation principale. Aileas aurait voulu lui poser tout plein de questions sur ce qu’elle faisait exactement. Sur son expérience dans la matière. Mais pour l'instant elle préféra laisser son interlocutrice parler. Delaani voulait savoir quel monde plaisait le plus à la stellarienne, et forcément elle se devait d’avoir un moment de réflexion, tellement le doute l’assaillait, quand il s’agissait de répondre.

- Est-ce que tout est une réponse acceptable ?

Elle eut un faible sourire mais en vérité elle ne mentait pas.

- Peut-être pas partout mais voyons.

Elle essaya de réfléchir aux endroits qu’elle connaissait.

- J’aimerais aller sur Bethany, ma famille vient de là.

Ce n’était qu’à moitié vrai, sa mère n’avait pas toujours été là-bas, elle venait de la Terre, mais Aileas préférait ne pas amener Delaani à poser trop de questions sur ses origines, qui amèneraient à une histoire familiale qui ne vendait pas du rêve. A la place elle n’ajouta rien. Cela restait ainsi pour l'instant. Si elle voulait vraiment être précise sur ses envies, elle était plutôt du genre à vouloir aller sur une planète que personne n’avait encore visité, à en découvrir la végétation, à faire ses propres traces dans un endroit que personne n’avait découvert avant. Peut-être rencontrer d’autres formes d’existence intelligente. Aileas n’avait pas encore jeté l’éponge sur leur présence.

- Quel est l’endroit que tu as préféré ?

Il était difficile pour elle d’imaginer combien d’endroits Delaani avait pu visiter. Toute son existence se résumait à la flotte ou presque. On avait que peu le droit de sortir. Les échanges avec les colonies étaient pour la plupart interdites en raison du triumvirat. On avait tendance en retour à se faire des idées sur tous les endroits. Keller pour ne parler que de la station n’était qu’un repaire infâme et rien ne sortait de bon de là. Evidemment il s’agissait d’un avis biaisé mais puisque peu de gens pouvaient se rendre sur place, il devenait au final difficile de se faire une idée réelle. Parler avec quelqu’un de l’extérieur ne pouvait qu’aider à mieux appréhender l’univers. Et puis il y avait Qiang évident, mais cela elles allaient en parler plus tard, une fois qu’elles auraient fait le tour du matériel. Aileas ignorait ce que Delaani savait. Sans doute qu’elle en savait déjà pas mal, après quelques mois passés sur la flotte. Elle aurait peut-être même un intéressant avis d’experte.

Difficile de nier que Byblos était une planète qui se méritait. Son cerveau avait tôt fait d’oublier les premiers temps d’adaptation sur ce paradis du sable. Dès que son corps avait commencé à prendre le coup et se fortifier suffisamment pour supporter la chaleur et le poids que lui rajoutait la gravité, tout souvenir de douleur et de mal-être avait été éclipsé. Que ce soit une réaction normale due à la programmation du cerveau humain ou juste sa curiosité naturelle qui prenait le pas sur la faiblesse de son corps, Delaani avait fini par oublier complètement tout ce qui lui avait fait maudire le destin qui l’avait amenée sur cette planète en premier lieu. Mais si miss Kinsley avait eu du mal à prendre ses marques sur Byblos, l’inverse était aussi vrai. À ne connaître rien d’autre que les conditions particulières de la planète pendant un an sans discontinuité, l’opératrice avait eu elle aussi du mal à s’adapter à la fraicheur et cette impression d’être plus légère inhérente à la Fédération. Ces changements lui plaisaient pour tout dire. Elle aimait découvrir de nouvelles sensations, ou juste redécouvrir des sensations – comme celles de la vie dans l’espace – qu’elle avait oubliées. De toute manière, ce n’était pas comme si elle pouvait se plaindre de paramètres sur lesquels elle n’avait pas le moindre contrôle.

D’un sourire engageant, elle encouragea la jeune ingénieure à continuer mais au lieu de lui parler de Byblos et de son expérience sur une nouvelle planète, la jeune femme préféra lui poser plus de questions. Une chose en amenant une autre, Delaani lui demanda si elle aurait aimé voyager plus, découvrir de nouvelles planètes et à sa grande satisfaction, découvrit que miss Kinsley était plus qu’enthousiaste à l’idée de s’envoler vers de nouveaux horizons. La brune sourit à sa réponse. Sa voisine était encore jeune. Si elle souhaitait découvrir tout l’univers connu de l’homme, elle avait tout le temps devant elle. Seulement si elle le souhaitait. Son envie de faire la fit sourire. La Fédération semblait abriter la plus grande population de rêveur de l’univers. Pourtant, elle haussa un sourcil au nom de Bethany.

— Très bon choix. Bethany est une planète merveilleuse, mais tu risques d’avoir un peu de mal à t’y rendre. Elle est sous le joug du Triumvirat maintenant…

Du fait d’hommes comme son premier mari, avides de gloire et de prestiges espérés à jouer les laquais pour la Terre. Même elle ne pourrait pas y retourner si l’envie lui prenait. Pas après tout ce temps, à condition même que la présence humaine soit encore tolérée sur la planète au ciel de cendres. Son regard tomba sur la jeune femme et elle se demanda si elle faisait partie des hommes, des femmes et des enfants avec qui Delaani avait décollé, quelque temps avant la victoire finale du Triumvirat, celle qui lui avait conféré tous ses droits sur Bethany. Quelque chose dans le ton de miss Kinsley mettait en doute cette rêverie de destin et de chemins croisés. Les rangs de Baolei n’étaient pas si nombreux et nombreux colons avaient quitté la planète bien avant que les soldats de la Fédération ne foule le sol de la planète.

— Tu n’y es jamais allée ?

De son côté, elle fut également assaillie d’une nouvelle question. Beaucoup de gens lui demandaient quand ils apprenaient ses pérégrinations, quel était l’endroit qu’elle avait préféré de tous ceux qu’elle avait eu le privilège de découvrir. Un peu comme si chaque endroit était un bonbon avec une saveur différente que l’on pouvait forcément juger et classifier. Difficile d’établir la valeur d’un endroit quand différents facteurs étaient à prendre en compte : les paysages, les gens, la culture… Quel critère avait préséance sur les autres ? Comment être sûr que l’on formulait une réponse au regard des critères de son interlocuteur ? Malgré tout le questionnement que l’on pourrait se faire autour de la méthodologie de la réponse, celle-ci apparut claire comme de l’eau de roche dans son esprit sans qu’elle ait à la forcer. Delaani se tomber dans ses souvenirs et répondit avec un vague sourire :

— Lamartine.

Revenant à l’instant présent, elle se pencha vers la jeune femme en prenant le ton de la confidence.

— Mais je vais avoir encore plus de mal à y retourner.

Et tout ce qu’elle pourrait retrouver à la limite serait des cailloux éparpillés dans le froid glacial du cosmos. Delaani se redressa avec un sourire avant de continuer, sur un sujet moins personnel.

— Et puis… ici n’est pas si mal que ça. Vous avez la technologie qui fait défaut à Byblos. L’ordre qui fait défaut à Keller. Et une stabilité qu’il est rare de rencontrer dans les colonies… Comment les Stellariens normaux perçoivent-ils les colonies ici ?

Être normal n’avait jamais constitué une insulte dans la bouche de Delaani. Avoir l’opinion de ceux qui connaissaient tout, avaient tout vu et savaient tout ne l’avait jamais intéressé. C’était l’opinion de ceux qui vivaient normalement, avec des aspirations normales qu’elle voulait entendre.

Elle savait qu’elle ne pouvait pas y retourner tant que la planète ne serait pas libre d’accès mais ca n’enlevait rien au fait de rêver, de s’imaginer l’existence de sa famille quand elle était là-bas. Une époque qui ne lui était pas familière. Elle l’était à sa mère. Aussi à sa demi-soeur. A travers leurs récits plus qu’épars, elle s’en était fait une vague idée. Le reste n’était qu’archives qu’elle avait examinées d’elle-même lorsqu’elle était à l’Académie.

- Je n’y suis jamais allée parce que justement on a fui avant que cela ne devienne impossible.

Elle n’en rêvait pas, elle était juste intriguée. L’absence d’un père avait voulu qu’elle grandisse avec cette part manquante, et elle se disait, qu’en s’y rendant, elle en saurait plus sur son père. Ses souvenirs étaient inexistants. Elle voulait les bâtir d’une manière plus réelle qu’avec de simples photos. L’insistance de la femme à savoir ses motivations la laissait hésitante. Elle aurait voulu ne pas paraitre idiote et à la fois elle se refusait à dire ce qui taraudait son esprit.

Delaani avait elle d’autres plans en tête, qui lui arrachèrent une grimace.

- Effectivement.

Lamartine n’était plus que ruines, et sans doute pas le meilleur endroit pour décider d’aller faire un tour. L’espace d’un moment elle se demanda ce qui poussait Delaani à vouloir y aller. Etait-ce les mêmes raisons qu’elle ? Elle hésitait à demander lorsque Delaani enchaina, demandant à ce qu’elle lui explique comment les stellariens voyaient les autres. Elle avait employé le terme normal, ce qui fit réfléchir Aileas sur sa signification.

- Normal tu veux dire, quelqu’un qui aurait vécu tout le temps par ici ou….? Je ne sais pas trop. On va dire qu’ici on vient de partout. Certains ont vécu sur les colonies avant et forcément ils savent de quoi ils parlent. Je pense que sinon on imagine juste un monde privé de libertés. C’est justement pour cela qu’on reste dans l’espace et qu’on revient pas. Après tout on peut trouver un endroit où s’installer ailleurs, pourquoi on reviendrait là où ne veut pas de nous ?

Zafy avait raison sur ce point, ils avaient la possibilité de s’établir n’importe où. Ils n’avaient qu’à désigner un monde du doigt, voir s’il était habitable en l’explorant et décider de s’y installer. Cela prendrait du temps. Qu’importait, ils étaient là pour cela.

- Si jamais on renoue le dialogue, peut-être que ca sera okay pour les vacances. J’en doute quand même, on a déjà des échanges avec Keller et on voit ce que ca a fait.

Elle avait toujours considéré Keller comme un endroit dangereux mais avec toutefois l’envie d’y mettre le pied, rien qu’une fois juste pour voir ce que c’était. C’était assez stupide comme sentiment. Elle n’était pas prête. Mais elle avait toujours eu ce frisson en y pensant. Et puis sa demi-soeur y avait été retenue quelques semaines auparavant et ce sentiment avait disparu. Elle s’était inquiétée suffisamment pour avoir envie que tout contact soit rompu avec Keller et qu’elle oublie momentanèment que juste avant elle aurait voulu y aller elle aussi.

En organisant le rapatriement des Humains vers leur planète-mère, le Triumvirat avait laissé un véritable bordel derrière lui. Combien de famille avaient dû fuir ? Se séparer peut-être ? Perdre tout ce qu’elles avaient pour se raccrocher aux rêves que leur soufflaient les étoiles ? Si Delaani avait eu son ex-mari sous la main, elle l’aurait sans doute houspiller jusqu’à ne plus avoir de souffle.

Du côté d’Aileas, en tout cas, le sujet semblait douloureux. Elle aurait eu envie d’en savoir plus, sur son arrivée sur la Flotte, sur son statut d’apatrides et son intégration à la Fédération qui n’était, de fait, qu’un rassemblement immense d’apatrides mais la Terrienne savait reconnaître des limites. Les grimaces revêches et les réponses monosyllabiques – en particulier chez quelqu’un qui n’avait pas de mal à répondre aux autres questions – étaient de bons signaux d’alerte. Dommage que Delaani soit une insupportable petite curieuse. N’importe qui avec un peu de bon sens aurait sans doute lâché un peu de lest pour laisser son interlocuteur se détendre et y revenir plus tard lorsque l’occasion se présenterait. Ouvrez n’importe quel dictionnaire digital, vous ne trouverez pas le portrait de la Terrienne en face de « personne pleine de bon sens ». À la place, elle se contenta de parler un peu d’elle avant de réattaquer sur les politiques extérieures.

Elle laissa la jeune femme se faire sa propre définition de « normal » et l’écouta avec un sourire encourageant. Delaani tiqua légèrement en l’entendant parler de monde « privés de libertés ». Était-ce qu’on leur apprenait aux jeunes d’ici ? Que nul endroit n’était mieux loti qu’au sein de la Fédération ? À moins que ça ne soit qu’une vision issue d’un prisme personnel.

— Pour la Terre, tu veux dire ? Oui, je peux comprendre… surtout que revenir signifierait la fin de la conquête spatiale et de ses rêves de nouvelles planètes. Mais tous les endroits ne sont pas les mêmes… comment êtes-vous informés de ce qui se passe ailleurs ? En dehors des dires de ceux qui viennent rejoindre les rangs, je veux dire…

Delaani la gratifia d’un nouveau sourire sans pouvoir s’empêcher de se dire que si leurs nouvelles du monde venaient de ceux qui désertaient leur patrie pour telle ou telle raison, les colonies devaient paraître bien dangereuses aux yeux des jeunes Stellariens. Pourtant, ils devaient bien trouver un moyen de s’informer sur l’état des autres endroits, sinon comment créer des alliances ? Comment peser sur l’échéquier politique de l’espace ? Le pouvoir résidait dans l’information et elle ne pouvait pas croire qu’une telle structure accepte d’avancer sans savoir ce qui se passait autour d’elle. Mais Aileas n’était sans doute pas la meilleure personne pour savoir ça…

— À part pour trouver de nouveaux endroits à visiter, Keller n’est pas le meilleur endroit pour s’offrir des vacances.

Répondit-elle sur le ton de la confidence. En tout cas, d’ici à ce que les relations entre les différents acteurs du cosmos se fluidifient, elle espérait vraiment que la carte des destinations soit un peu plus étoffée parce qu’il était hors de question que Delaani remette un jour les pieds sur la station. Si se rappeler que chaque étape qu’elle y avait fait s’était terminée en une redirection vers Merry Fields ne suffisait pas, il lui suffisait de se représenter la rouille et la décadence de la Belle pour en être de nouveau dégoûtée.

— Donc c’est Qiang, pour toi ? La prochaine étape je veux dire…

Elle avait déjà entendu les frissons d’excitation parmi la population locale, lorsque quelqu’un évoquait la planète. À croire qu’ils se dirigeaient vers un nouvel Eldorado.

- Et des colonies qui sont sous le joug du Triumvirat. L’immigration est très limitée. Et puis on est assez isolés ici. On a ouvert des communications avec certains endroits mais pas tous.

La raison principale était la sécurité, mais la vérité c’était qu’Aileas s’en souciait peu. Pour elle le futur se situait dans les étoiles, pas dans des endroits qu’elle n’avait jamais visités. La flotte avait survécu toutes ces années sans avoir presque de contacts autres que ceux qui les ravitaillaient. Aileas n’était pas vraiment dérangée par ce manque de communications avec les colonies. Elle était une de ces stellariennes qui avait toujours vécu sur la flotte et à l’instar de pas mal d’entre eux, les colonies les laissaient indifférents.

- Non effectivement Keller n’est pas l’endroit idéal.

Elle secoua la tête.

- Même plutôt le contraire.

Avant de se tourner vers Delaani avec un intérêt non dissimulé.

- T’es allée sur Keller toi ?

Pas vraiment pour avoir une idée de comment était l’existence sur la station, mais parce que si cela avait le cas, cela aurait mis Delaani sur une marche encore plus grande sur l’échelle de la coolattitude. Tout le monde ne mettait pas les pieds dans un endroit aussi dangereux. De la flotte seulement une poignée y allait. Sa demi-soeur faisait partie de ces gens et elle aurait pu l’admirer pour cela, si leur situation familiale n’avait pas été un désastre, et si elles ne s’étaient pas détestées depuis de longues années. Heureusement il y avait eu de l’amélioration durant les dernières semaines. Mais parler de Keller avait été proscrit, le séjour forcé qu’avait expérimenté Rosa n’avait pas aidé, et la méfiance était de mise. En revanche quand on parlait de Qiang, ce n’était plus la même histoire, et lorsque que Delaani lanca le sujet, Aileas ne put que relever la tête. Ses yeux étincelaient d’une lueur qu’elle n’avait pas montrée auparavant. Autant dire que Delaani venait de viser dans le mille si elle voulait s’attirer toute l’attention de la stellarienne.

- Tout à fait ! Est-ce que t’as vu les dômes de l’Helios ? Il y en un dédié à Qiang. C’est juste trop cool. Et quand on arrivera là-bas….ca sera exceptionnel.

Aileas avait de très larges attentes pour la planète vers laquelle la flotte se dirigeait. Les dômes elle y passait de nombreuses heures quand elle avait un moment. Elle étudiait la composition végétale, la topologie du terrain, les difficultés qu’ils pourraient rencontrer une fois sur place. Elle se préparait physiquement en faisant un maximum de sport. Quoi qui les attendait là-bas, elle se sentait prête à l’affronter. Sa réaction était peut-être étonnante pour les standards de Delaani, plus qu’habituée à ne jamais être au même endroit, mais pour Aileas, c’était une nouvelle existence qui débutait. Elle attendait cela depuis tellement longtemps. On pouvait difficilement lui reprocher d’être soudain aussi excitée. Quand elle s’en apercut elle eut une moue renfrognée qui trahissait l’éclat de rire qui menacait de passer ses lèvres et eut une expression d’excuse quand elle se tourna vers son interlocutrice.

Que ce soit dû à la récente attaque du Jeanne d’Arc ou à des expériences passées, la jeune miss Kinsley n’avait pas l’air de tenir Keller en très grande estime. Elle pouvait la comprendre. Même à vivre seul sur une planète glacée, on entendrait parler à un moment ou à un autre de la mauvaise réputation de la station et de ses habitants. Même l’Enfer devait être plus agréable que ce vieux tas de ferraille dérivant dans le cosmos et des salopards qui y vivaient. Il y faisait sans doute plus chaud, et il y avait aussi plus de règle et de respect. Delaani haussa un instant les sourcils en s’entendant demander si elle y avait été, presque prête à démentir avant de se rappeler qu’elle avait été assez jeune, naïve et cinglée pour aller là-bas.

— Oui, j’y ai vécu près d’un an il y a quelques années…

Le pire, c’est que le séjour avait été plutôt agréable tant qu’elle était sous la protection de la famille qui l’y avait invitée. Elle avait vu beaucoup de choses, rencontré beaucoup de gens… elle avait aussi beaucoup bu et avait mis un point d’honneur à en profiter le plus possible. C’était plutôt la fin du séjour et la fin de son contrat surtout qui pesaient lourd dans le jugement négatif qu’elle faisait de La Belle. Elle sentit, dans la voix et dans l’attitude que l’ingénieure avait pour elle, que la station l’intéressait. Ce qu’elle pouvait comprendre. Personne ne censé ne voudrait jamais vivre dans un endroit pareil mais il devait sans doute alimenter nombre de rumeurs et de légendes. L’ignorance avait tendance à fantasmer certains endroits ou certaines personnes. Le Grand Créateur pourrait être remercié pour avoir donné l’imagination aux hommes.

Cependant, elle connaissait déjà Keller – ou du moins s’était déjà fait son opinion sur la question. C’était plutôt la Fédération et ses habitants qui l’intéressaient en ce moment. Elle ne voulait pas braquer Aileas avec ses questions et prit donc un chemin plus léger, et qui devait la passionner tout autant que tous les autres Stellariens qu’elle avait été amenée à rencontrer : Qiang. Et elle fut ravie de constater qu’elle avait tapé juste en voyant la jeune femme s’exciter sur le sujet. C’était attendrissant de voir une telle ardeur, un tel enthousiasme. Delaani ne put retenir un sourire en la regardant. Elle hocha de la tête à la mention des dômes. En entendant parler, elle avait surmonté ses préjugés sur l’ersatz de nature qu’on proposait aux Stellariens pour aller voir les efforts nationaux.

— Tu comptes en être ? De l’équipe d’exploration ? On aura sûrement besoin de toi !

Un esprit comme celui de la jeune femme ne pourrait pas être négligeable s’ils se séparaient de la Flotte. Delaani se comptait déjà dedans. Après tout, elle travaillait déjà pour l’exploration et jusqu’ici, sa bonne étoile ne l’avait lâchée lorsqu’il s’agissait d’avoir assez de chance pour bouger d’un endroit à l’autre. Mais avoir une ingénieure qui connaissait le matériel et ses spécificités, qui pourrait les réparer et les booster, c’était un atout considérable.

— Imagine que ce que ça fait… de voir une planète en avant-première…

L’aventure était tentante malgré le danger mais évidemment elle n’y serait jamais allée, tout simplement parce que la fédération ne l’aurait jamais laissée, n’y allaient que les gens qu’elle avait formés. Les gens de Keller avaient leurs propre facon d’interagir. On ne pouvait pas y aller à la légère. Aileas pouvait être courageuse, ce n’était pas suffisant, et sans nul doute les gens n’auraient pas le moindre doute à tenter de l’avoir par tous les moyens possibles. De quoi appeler à la prudence mais pas à totalement lui enlever l’envie d’y aller. C’était tout pareil quand on lui parlait d’autres planètes à voir. Personne ne disait que Qiang serait dépourvu d’obstacles. On ne pouvait pas néanmoins rester éternellement à l’abri de la flotte. La réponse était inéquivoque.

- Waou mais t’as vécu partout.

Elle ignorait quels évènements avaient pu la mener jusqu’à Keller mais sans doute pas pour le plaisir. On allait rarement sur la station pour s’amuser. Peut-être qu’elle avait des affaires intéresantes ? Aileas nota de demander. Son enthousiasme pour Qiang semblait intéresser son interlocutrice et elle ne manqua pas de hocher la tête avec véhémence.

- J’en serai pour sûr !

Elle se morigénéra immédiatement.

- Evidemment faut passer les épreuves d’abord.

Ses mains se soulevèrent dans un geste assuré.

- Mais c’est pas grave parce que je suis prête et je pense que je les passerai sans problèmes, parce que je suis une de celles qui en sait le plus sur le matos, j’ai suivi toutes les nouveautés sur Qiang, je me suis préparée à fond.

Elle avait passé des heures à tout retenir et s’était laissée voir dans la salle de sport plus qu’à l’accoutumée, parce que tout était important pour passer les épreuves, et elle n’avait qu’une seule pensée, celle que ne pas être parmi les explorateurs n’était pas une option. Le moment était trop historique. Rater une telle sortie était inenvisageable, surtout qu’elle avait déjà été des leurs, et qu’il aurait été assez stupide, de rater le passage maintenant que ca devenait important.

- Pas sûr qu’on pense que je sois utile mais c’est gentil de me dire cela.

Qu’on puisse trouver sa présence nécessaire était encourageant.

- Ca doit être absolument génial.

La nature sauvage qu’ils fouleraient n’aurait jamais vu le moindre humain avant eux, et cela signifierait qu’il y aurait rien qui les aiderait à avancer, une perspective qui la mettait en ébullition. Elle trépignait en s’imaginantdéjà marchant dans les herbes. L’homme depuis très longtemps avait voulu découvrir des mondes que personne n’avait parcourus. Aileas était dans leurs traces. Elle ressentait la même intentité qui la menait à vouloir aller dehors.

- Tu seras de la partie j’imagine ?

Delaani ne pouvait pas vouloir repartir aussi vite et étant donné le nombre d’endroits qu’elle avait visités, elle ne pouvait que vouloir amplifier son expérience, et vivre elle aussi un moment que peu de gens avait vécu.

- Je sais pas si je peux me permettre mais si t’as des conseils qui peuvent m’aider je prends sans soucis !

L’enthousiasme contenu de la jeune femme lui fit sourire. Pour quelqu’un qui n’avait sans doute jamais quitté la Fédération, l’espoir de faire partie d’une équipe d’exploration devait être grand. Cette mission, c’était l’opportunité non seulement de découvrir de nouveaux horizons mais aussi d’écrire l’histoire en posant le pied le premier sur une planète encore inexplorée. Connaissant l’histoire de la Fédération, elle ne comprenait pas qu’ils n’aient pas songé à explorer de nouvelles planètes. Après, c’était bien pour ça qu’ils avaient quitté la Terre et l’influence du Triumvirat.

Miss Kinsley alternait les moments entre confiance et doute avec une vitesse forçant l’admiration. Comment pouvait-elle douter de la nécessité d’esprits aussi brillants que le sien dans une mission pareille ? Au-delà de ses compétences, elle était jeune, dynamique, et sans doute en bien meilleure santé qu’une quadragénaire comme Delaani.

— Et pourquoi tu ne serais pas utile ? Tu connais de tout de Qiang et de l’équipement… tu viens de le dire toi-même…

Et puis, elle était bien d’accord avec elle sur le fait qu’elle passerait sans problème les tests. Physiques en tout cas.  Pourquoi doutait-elle autant alors qu’elle semblait avoir préparé son sujet. Un mystère qu’elle aurait bien voulu éclaircir.

— J’y compte bien.

Un petit sourire mystérieux accompagna sa réponse. Dans cette histoire, Delaani partait avec un avantage certain : elle faisait déjà partie de l’équipe d’exploration. Elle avait l’expérience et les compétences : tout ce qui fallait pour être prise. Du moins sur le papier. À bien y regarder, la Terrienne risquait de très mal prendre qu’on refuse sa candidature…

Si elle pouvait se le permettre ? La formulation la fit sourire. Delaani n’était pas un super ponte de l’armée de la Fédération. Elle qui se pensait accessible aurait espéré avoir l’air assez abordable pour qu’on se permette toutes les questions. Tant pis. Elle haussa les épaules avec un sourire et secoua la tête en riant en entendant sa requête.

— Des conseils ? Qu’est-ce que tu voudrais savoir ?

C’est qu’elle l’aiderait bien, mais sur quoi ? La Terrienne s’était toujours contentée de découvrir des endroits déjà habités par l’Homme. Où les fondations étaient déjà là, un certain niveau de confort présent et les colonies établies autant sur le territoire que dans leur fonctionnement interne. Visiter une planète vierge était un domaine inédit pour elle aussi. De la seule fois où elle s’était retrouvé dans un endroit inhabité la brune ne gardait pas un bon souvenir. Bien loin de là.

— Tu as l’air de t’être déjà bien préparée…

Et pourquoi elle ne serait pas utile ? Il faudrait des gens de tous horizons. De toutes les spécialités possibles. Qui puissent s’occuper des diverses tâches. Elle devait juste passer les tests et il n’y aurait pas de raison de se voir refuser l’entrée dans l’équipe. Hochant la tête aux paroles de son interlocutrise, elle se focalisa de nouveau sur l’expérience qui l’attendait. Savoir que Delaani serait de la partie lui plut. Le peu qu’elle avait entendu sur la femme lui donnait à penser qu’elle attendait autant qu’elle l’opportunité de joindre l’expédition. Le ton qu’elle employa ne démentait pas cette pensée. Aileas n’hésita pas quand elle accepta de l’aider.

- Je ne sais pas mais puisque t’as déjà été partout, t’es sans doute plus préparée que moi, et tu peux m’orienter sur quoi faire.

Elle réfléchit rapidement sur ce qui lui fallait et secoua la tête.

- Je suis préparée en théorie.

David lui faisait faire de l’escalade, améliorant ses prises, et sa technique. Avec Akum elle s’était musclée, avait amélioré son endurance, et son agilité. Tout ce que savait Nova sur les plantes, qui d’habitude ne l’intéressaient que peu, avaient soudain trouvé de quoi satisfaire sa curiosité. De long en large et en travers, elle avait tout fait pour être au niveau. Elle avait passé des heures à le faire de toutes les facons possibles. Prenant de ses amis toute l’aide qu’ils pouvaient lui apporter.

- Mes amis m’aident énormément.

Elle haussa les épaules tout en réfléchissant.

- Les tests sont dans pas longtemps et je veux être prête. Je fais du sport. J’en ai toujours fait mais il faut être au top pour aller sur Qiang. Je cours quasiment tous les jours, je fais du taik, de la muscu.

Elle se tourna vers Delaani.

- Est-ce que tu fais quelque chose de spécial ?

Delaani semblait en excellente forme et Aileas ne doutait pas qu’elle suivait un entrainement particulier, peut-être même meilleur que le sien ? Elle aurait pu demander à n’importe qui de l’aider. Elle le faisait déjà en demandant autour d’elle. Aux gens qui étaient proches d’elle, aux gens qui l’entouraient, à ceux qu'elle voyait. Delaani elle ne la connaissait pas, mais son passé, son métier et son expérience, toute l’assurance qu’elle dégageait, ne pouvaient que pousser Aileas vers elle. C’était de cette facon qu’elle se voyait dans le futur, ou du moins ce qu’elle espérait atteindre, une version de la femme qu’elle voulait être. Peut-être que Delaani n’était pas ce qu’elle pensait, ce qui était fort probable, étant donné qu’elle venait de la rencontrer, mais elle avait une facheuse tendance de se faire des idées sur tout le monde. Au moins son occupation lui semblait intéressante, son oeil tourné vers l’univers, tout était fascinant pour le moment. Nombreuses étaient les femmes qui l’avaient inspirée durant son existence. Sa soeur avait la première, et d’autres avaient suivi, toutes autant de femmes fortes, indépendantes, décidées, décisives. Est-ce que Delaani était une des ces femmes ? Aileas semblait décidée à se faire une idée d'elle-même.

Oh ! C’était donc des conseils nés de l’expérience qui intéressait la jeune miss Kinsley. Un étrange sentiment l’envahit à cette pensée, pas désagréable du tout, et la réchauffa un peu. Pendant toutes ces années de vadrouilles, personne ne lui avait jamais rien demandé à entendre les leçons de sagesse tirées de que lui avaient imposé le hasard et la chance. L’idée qu’elle puisse être, pas forcément un modèle, mais une base de référence n’était pas pour lui déplaire. Elle qui passait son temps à poser des questions aux autres allait peut-être enfin goûter à son propre traitement pour une fois.

La brune rit, un mélange entre un éclat de rire étranglé et un petit reniflement, en entendant les réflexions de sa voisine. Elle pouvait tout à fait comprendre la distinction qu’elle faisait entre être prête en théorie et être prête à réagir sur le terrain, dans le feu de l’action : c’est que ce n’était pas exactement la même chose. Sur le moment – même en étant totalement prêt sur le papier –, la théorie s’envolait, chassée par la surprise, l’inattendu et l’adrénaline. Parfois, la théorie n’avait même pas anticipé ce qui se trouvait sur le terrain. Être prêt demandait un minimum de connaissances techniques mais surtout de pouvoir improviser et réagir en gardant son sang-froid. Vous pouviez avoir tous les diplômes du monde et échouer lamentablement à cause de la panique comme réussir magistralement sans une once de préparation, juste avec un peu d’astuce et de bon sens. Sur ce point, Delaani en était l’exemple parfait. Treize ans plus tôt, elle s’était lancée à la conquête des mystères de l’espace sans rien savoir d’autre à son sujet que ce qu’en disait l’opinion commune sur Terre. Et elle était encore là pour en parler.

— De la natation.

Répondit-elle en pensant à ce qui gardait son corps en bonne santé. Mais si elle devait être parfaitement honnête, ce n’était pas ce qui gardait son esprit dans la bonne direction, ni même ce qui lui permettait de garder ses réflexes. Si elle devait recommander à quelqu’un de se préparer à une mission d’exploration sur une planète dont on ignorait tout, la natation serait le pire sport à recommander. À moins que la planète soit en zéro gravité ou recouverte à 95 % d’eau.

— Mh… faire du sport, c’est bien, mais te muscler pour être musclée n’est peut-être pas le meilleur cadeau que tu puisses te faire. Il te faut des muscles taillés pour ce dont tu as besoin, qui puissent réagir vite. C’est la vitesse et les réflexes qu’il faut préparer. Ce à quoi tu ne t’attends pas, ou ce que tu n’as jamais eu à affronter avant, parce que tu ne sais jamais comment tu réagirais…

Peut-être que la Fédération préparerait plus les heureux élus qui poseraient les premiers le pied sur Qiang mais si Aileas voulait mettre toutes ses chances de son côté, montrer qu’elle avait des nerfs d’acier et un certain talent d’adaptation à l’imprévu ne pouvait qu’aider.

— Sur Byblos, on m’a appris un sport d’autodéfense.

Commença-t-elle d’un ton songeur.

— Ça fait travailler ton corps, tes réflexes et ça te permet de garder ton esprit au calme quand tout part dans tous les sens. Les sports de combat ont ça de beau qu’ils te permettent généralement de développer des réflexes pour t’éviter de prendre un coup dans la tête. Je pourrais te montrer si tu veux…

Aileas devait revoir sa facon de penser quant au sport qu’elle avait toujours pratiqué. A vrai dire ce n’était pas un problème. La facon qu’avait Delaani de lui souligner le problème lui plaisait. S’entrainer pour être rapide c’était juste tout ce qu’elle avait fait toute sa vie. Suffisait de la regarder pour voir qu’elle n’avait pas de gros muscles. Delaani avait pourtant une excellente idée et cela attira l’attention de son interlocutrice. Envisager qu’elle n’allait pas être dans l’environnement de la flotte où tout lui était tellement familier demandait une toute autre préparation que ce qu’elle avait fait. Vrai qu’elle avait déjà fait énormément de préparations pour ce qui l’attendait. Mais il lui manquait peut-être un truc. Même que ca pouvait être un sacré avantage. Delaani savait de quoi elle parlait. Travailler ses réflexes ca serait utile. Pour faire face à tout ce qui pouvait se trouver dans cet endroit. Un sport d’auto-défense. Et pourquoi pas ? Elle n’était pas du genre à se fermer à une idée.

- Ca serait vraiment cool de ta part.

Elle la regarda en hochant la tête.

- On débute quand ?

Un peu trop enthousiasme qu’elle rattrapa aussitôt.

- Quand tu veux hein, et puis en échange, si je peux faire quoi que ce soit hésite pas.

Elle n’était pas très sûre d’elle, parce qu’avec Delaani déjà sur un pied d’estale dans sa tête, pour pas grand chose, autre qu’une réputation qui la précédait, Aileas se voyait peu de chose face à elle. C’était mauvais de penser d’une telle manière. Aileas avait nombre de qualités qu’elle ne voyait pas. Elle aurait pu aider Delaani mais ne voyait pas comment, ce qui la faisait hésiter, à se proposer. Moins expérimentée que son interlocutrice, du moins dans ce qu’elle imaginait, elle avait du mal à se voir comme celle qui savait.

L’enthousiasme débordant de la jeune femme lui tira un sourire. Bon, elles n’avaient pas assez de temps devant elles pour faire d’Aileas une super combattante d’ici leur départ pour Qiang mais si Delaani réussissait à lui apprendre les coups et les parades de base et à l’aider à développer ses réflexes, elle pourrait d’estimer heureuse. Et puis… l’idée d’avoir quelqu’un à qui enseigner la séduisait un peu. Le rôle de professeur restait une panoplie qu’elle n’avait jusqu’ici pas eu l’occasion d’endosser et la nouveauté avait toujours eu un éclat particulier à ses yeux. Miss Kinsley avait l’enthousiasme et la curiosité. Elle semblait robuste et déterminée et si ce qu’elle disait sur son entraînement était vrai, elle était aussi endurante et possédait ce petit plus de force mentale nécessaire pour obliger le corps à faire ce qu’il n’avait pas envie de faire. Elle serait parfaite dans le rôle de l’élève et si jamais ce n’était pas le cas, rien n’empêcherait Delaani de la renvoyer vers un autre Byblien. Aucun pacte ou contrat ne liait les deux femmes. Mais elle serait ravie de pouvoir compter sur l’aide de sa collègue si besoin. Les faveurs, si elles étaient échangées dans la cordialité et le volontariat, pouvaient souvent valoir beaucoup plus que des crédits.

— Demain si tu veux.

Proposa-t-elle en gigotant pour extraire son terminal de sa poche d’uniforme. Un doigt tapota l’écran rapidement avant de faire glisser quelque chose en direction d’Aileas.

— Voilà mon contact. Envoie-moi un message quand tu es prête et je te dirai où me rejoindre.

Il lui semblait avoir entendu parler de zones dédiées au sport du côté du Tiangtang. Si ses spéculations venaient à être vérifiées, elle irait entraîner la jeune femme de ce côté. L’idée de se trouver un coin dans une salle de sport lui déplaisait. À choisir, la brune préférait mille fois endosser le rôle de maître vénérable dans un coin tranquille, loin de la cohue pressée d’augmenter le volume de sa musculature, où personne ne verrait rien du tout si elle devait faire un professeur exécrable. Delaani rangea son terminal et releva la tête d’un coup pour regarder hors de l’habitacle, reconnaissant les murs de métal qui se dessinaient.

— Mais d’abord. Allons faire un sort à ce matériel.

Avant que la navette ne se soit stabilisée devant l’arrêt, la brune s’était déjà relevée, poussant gentiment l’ingénieure devant elle pour gagner la sortie et ne pas perdre plus de temps.