« Elle va être insupportable après ça, tu le sais... » Tu décides de laisser passer. Que ta sœur et ta femme aient réussies à s'entendre jusqu'ici relevait de l'inconcevable, tu n'allais pas lui demander en plus de faire preuve de sympathie envers elle. De plus, tu n'avais pas nécessairement une meilleure façon de parler de tes proches lorsque tu ne souhaitais pas les voir. « Elle veut nous voir, ce soir. » Tu acquiesces. L'idée ne te dérange pas, tant que ta sœur vient seule. Pourtant, tu sens une certaine distance venant de la part d'Elie. Tu t'attends à ce qu'elle trouve une raison pour ne pas y aller, t'inciter à refuser la demande de ta sœur et tu es presque tenté d'accepter. « C'est toi qui décide. » Tu fronces le nez. Tu n'aimes pas que les gens se cachent derrière toi pour ne pas avoir à répondre de leurs envies ou de leurs actes. Tu le tolères aisément lorsqu'il s'agit de la douane, c'est ton travail de représenter et protéger tes hommes, mais venant d'Elie, tu as l'impression surtout de servir d'excuse. « Ok. »

Tu écartes les bras pour la laisser ses caler dans tes bras et tu poses ta joue contre sa tête, t'arrêtant un instant de manger pour la serrer contre ton cœur. La stature de ta femme la fait passer pour frêle entre tes bras. D'une main, tu tiens ton plat et tu la laisses tranquillement manger, te contentant de profiter de l'instant plutôt que de précipiter les choses inutilement. Vous avez largement le temps, tu n'es ni de quart et tu n'as rien d'autre de prévu que profiter de ta femme et répondre à ta sœur. Ton corps cependant se tend lorsqu'elle passe derrière toi et promène ses doigts sur ta colonne vertébrale. Réflexe plus que refus, tu ne parviens pas à te détendre lorsqu'on te touche le dos et tu te courbes instinctivement. « Le deuxième café est pour toi, au fait. » Tu acquiesces et tu te lèves, laissant ton repas à moitié entamé sur la table, tu bois tranquillement ton café, attrapant ton terminal pour répondre à Theevi que vous la rejoindriez en soirée. « Qu'est-ce que t-t-tu veux faire ? » Tu tournes ton regard vers elle, avalant les dernières gouttes de ton café, tu jettes ensuite le gobelet pour retourner aux côtés d'Elie. L'idée de rester toute la journée avec elle ici te plaisait plutôt et tu n'avais aucune envie de la partager ou de voir du monde aujourd'hui.

Si la douane n'était pas des plus fréquentés, ceux qui ne venaient pas avec un col rouge ou l'uniforme des dockers étaient généralement des gens impatients et pénibles qui te rendaient misanthrope pour le reste de la journée. Tu te tends à nouveau lorsqu'elle passe derrière toi. Tu cherches à te détendre alors que ses mains touchent tes tempes et ta nuque, mais la nervosité inconsciente qui accompagne ses mouvements font que tes muscles ne se détendent que bien trop lentement. « Il faut que je m..me douche. »

« Tiaan... tu te doutes bien que je ne peux, actuellement, rien lui refuser. » Alors quel était le problème ? Tu ne serais pas le rempart entre elle et son manque d'envies, toute épouse qu'elle soit. « Ce serait malvenu. Ne le prends pas mal... » Tu plisses les yeux, tu cherches les siens propres. Les mots suivants te font presque douter, est-ce que c'est toi qui t'imagine des choses ou essaie t-elle de te persuader que de vous deux, ce n'est pas elle qui n'a pas envie de voir ta sœur ? « Alors on va la voir. »

Tu fuis, tu t'échappes, autant par besoin d'être seul, de faire le point sur cette bague à ton doigt et à laquelle tu n'as pas plus réfléchir que pour te sentir mieux dans ton propre corps. Tu ne t’embarrasses pas à passer des heures sous la douche, tu sais qu'Elie cherchera elle aussi le confort de l'eau chaude. Alors, tu prends à profit le temps qui t'es imparti, celui qui ne la fera pas douter trop longtemps de ton départ, pour observer ton alliance. Simple, elle ne te gênera pas dans tes mouvements et si pour l'instant c'est la présence d'un corps étranger qui te fait régulièrement tourner la tête vers ta main, elle n'encombre ni tes mouvements, ni tes appuis.

Tu ne sais pas si c'est là l’œuvre de Theevi ou d'Elie, mais tu apprécies la simplicité de cette promesse.

Tu finis par sortir pour retrouver ta femme qui se prélasse entre les draps défaits, rappel de votre union d'hier soir. Tu offres un maigre sourire à sa remarque et tu passes tes doigts le long de son ventre avant de t'éloigner vers le placard. Tu la laisses rejoindre à son tour la salle d'eau, elle a le droit à son temps à elle. Tu en profites pour couper la chique de Charlie, éteignant la musique qui emplit la cabine. Tu n'es pas le mélomane qu'est Elie et la musique trop douce t'endort. Tu utilises ton temps libre pour faire un rapide coup de ménage. Les boîtes vides sont mises aux ordures, les vêtements replacés correctement à leurs endroits attitrés et tu refais le lit au carré, inutile de se glisser à nouveau sous les draps, même pour une sieste.

Theevi ne t'a envoyé aucun autre message que celui où elle te confirme votre rendez-vous du soir. Tu lances un coup d’œil aux courbes d'Elie lorsqu'elle revient et se penche dans ton placard et brise le semblant de ménage que tu y as fait. Tu ne dis rien, profitant de l'observation comme tribut. « Ah ! Je savais bien que tu en avais caché ici ! » Tes yeux se plissent et tu te rapproches pour voir ce qui la réjouit tant. Tu n'as pas de véritable filtre pour le café qu'elle extirpe mais vous vous débrouillez suffisamment pour pouvoir vous retrouver confortablement tous les deux, une tasse de café – sûrement celle de trop – entre les mains. « Des envies particulières ? » Tu juges que la prendre dans tes bras risque de causer plus de dégâts qu'autre chose. Tu approches tes lèvres de ta tasse avant de la reposer, la jugeant encore trop chaude. « Toi. M-moi. Le lit. » Tu lui tends la main pour l'inviter à te suivre. Tu n'envisages rien d'autre qu'une journée à paresser, l'exercice physique nécessaire pour te maintenir en forme t'éloigne de trop de ce que tu considères comme plus important aujourd'hui, Elie. Tu niches ton visage au creux de son cou et tu soupires d'aise.

Tu t'endors, autant bercé par l'assurance qu'Elie est tout près de toi que par sa respiration. Ses massages ne sont qu'un supplément et les rares fois où ses mouvements te réveillent, tu n'en as conscience qu'au travers la brume d'une demi-conscience, mal réveillé et vaseux et tu te rendors presque aussitôt. Ce genre de journées te convient tout à fait et si certains y voient un ennui mortel – ne pas profiter de ce que la flotte peut bien vous offrir – tu y trouves pour ta part une nécessité. Collé contre le corps de ta femme, tu ne t'en trouves que mieux et tu ne peux t'empêcher de la serrer tout contre toi, ton nez dans sa nuque, à inspirer paisiblement, l'odeur de ses cheveux propres emplissant tes narines de rêves parfumés.

Tu restes là, tu ne sais pas depuis combien de temps tu es réveillé sans chercher à bouger, confortable. Tu te serais probablement rendormi, bercé par la respiration d'Elie si Charlie n'était pas intervenue pour vous tirer tous les deux des bras l'un de l'autre. Tu souris contre la peau de ta femme lorsqu'elle demande à l'IA de se taire. Tu déposes un baiser sur sa nuque, puis tu la laisses guider la danse. Tu préfères laisser ta femme faire, elle est encore plus difficile à réveiller que toi. « Mh. » Que tu réponds à sa question, la laissant partir à regret. Tu te redresses, les membres encore engourdis de la trop longue sieste.

« On doit la retrouver où ? » La question faillit passer inaperçue dans ton dépit face à la tornade qu'était Elie. Tu ne lui réponds pas et tu préfères te lever pour mettre hors de portée tes propres affaires. Lorgnant sur les siennes au sol, tu restes sans bouger avec ta tasse de café froid que tu bois par petites gorgées, à attendre qu'elle se décide pour repasser derrière elle et plier correctement ses affaires. Tu te contentes pour ta part d'enfiler ton pantalon et tes bottes d'uniforme et un pull que ta sœur t'avait offert il y a quelques années. « J'étais bien dans tes bras... » Tu lui prends la tasse des mains et tu vas la rincer, lâchant par dessus ton épaule. « Moi aussi. » Vous aurez toute la fin de soirée et le lendemain pour retourner dans les bras l'un de l'autre. Toute une vie également. « P-p-plus tard. » Que tu finis par lâcher en posant les deux tasses de manière à les laisser sécher d'elle même sur le rebord de l'évier, tu t'assures d'un coup d’œil que tout est à sa place. C'est en allant récupérer ton terminal que tu plaçais à ton poignet que tu en profitais pour replacer la couverture du lit, froissée par vos deux corps enlacés.

Déjà, ton terminal vibre pour t'indiquer que Theevi est prête et qu'elle vous attend. Tu tends la main vers Elie pour l'inciter à la prendre et te suivre. « Je ne sais p..pas. » A vrai dire, tu avais décidé de laisser Theevi vous emmener où cela vous chantait et tu avais accédé à sa requête d'aller la retrouver devant sa cabine qui se trouvait quelques « ruelles » plus loin. Le temps de sortir, tu relâchais la main que tu ne repris pas de suite en te dirigeant machinalement vers la cabine de ta sœur. Tu ne prêtais guère attention aux habitants du Colossus, marchant d'un pas plus mesuré qu'à l'habitude pour laisser à Elie le loisir de marcher à tes côtés. Theevi vous attendait pour sa part devant sa cabine en compagnie de son pirate.

Ta sœur ne s'était pas apprêtée d'une façon aussi sophistiquée que ta femme, sûrement plus habituée à la population du Colossus ou gênée par son compagnon, elle vous fait un signe de main dès qu'elle vous aperçoit. Le pirate, pour sa part, rentre la tête dans les épaules en remarquant ton regard et offre un sourire et une légère courbette dans la direction d'Elie pour poursuivre d'une voix zezayante. « M'dame Krishvin, félicitations. »

« Merci Bus... Aks. » Le regard teinté d'incompréhension du pirate te fait frémir, plus d'amusement que du mépris habituel qui t'étreint lorsque tu te retrouves en compagnie du compagnon de ta sœur. Celle-ci observe d'un œil curieux ta femme, cherchant à démêler probablement la raison de l'hilarité soudaine qui vous empare. L'embrassade et la salutation de ta femme coupe cependant court à tout questionnement et l'esprit de Theevi est dorénavant tout tourné vers les nouvelles tandis qu'Aks vous observe toujours un peu en retrait. Tu ne fais pas l'effort de l'inviter parmi vous, considérant qu'une soirée sans ton beau-frère est une soirée réussie. « Tiaan ! » Tu ouvres les bras pour accueillir ta sœur qui te serre avec un peu trop de force pour être confortable. Elle te relâche aussitôt pour admirer ton alliance, comme si elle ne l'avait jamais vue. Tu la laisses faire de bonne grâce, lançant parfois un regard à ta femme ou à ton beau-frère. L'excitation de ta sœur semble pourtant dépasser celle dont a pu faire preuve ton épouse, voire toi même, à croire que c'était elle qui se mariait et au vu de la mine que tirait Aks en fond, tu sentais que le sujet avait été déjà abordé.

Il allait être nécessaire d'avoir une petite discussion avec l'un et l'autre.

Tu attrapes la main de ta femme pour suivre le rythme soutenu imposé par ta sœur, trop excitée pour prendre le temps de vérifier que vous la suiviez et c'est surtout grâce à Aks que vous parvenez à la suivre au détour des ruelles et vous retrouver dans un réfectoire peu fréquenté. Placé contre votre gré à tous les deux à côté de Buster, tu croises les bras, lui mettant volontairement ton coude dans les côtes, tandis qu'il croise ses jambes pour te mettre la semelle de sa chaussure contre ta cuisse. « Tu l'as vu v'nir ? » L'accent habituellement polissé de ta sœur ressort sous l'effet de son excitation et, sentant qu'on t'interrogeait toi, tu secouais la tête à la négative, sans être réellement sûr du sujet de la conversation. Tu sens une autre jambe qui se frotte contre la tienne et tu fous une autre bourrade à ton voisin pour qu'il arrête de jouer au con. « Hey, quoi ! »

« Et la robe ? Tu as vu la robe ? » Tu fronces les sourcils. Bien sûr que tu as vu la robe, Elie la portait littéralement. « Tu aurais dû voir Elie dedans ! » Aks se sent d'un coup pris entre deux feux, entre la remarque de Theevi et celle de son voisin de table, il se redresse brusquement en souriant. Visiblement persuadé qu'on attendait de lui une remarque, il finit par lâcher : « Ah ! Ouais ! Ch'uis sûr ! D'jà qu'elle est bonne comme ça.. fin.. » Il coule un regard vers toi. « En tout bien, tout honneur. » Tu sens que son pied quitte ta cuisse. « Je vais chercher à euh.. manger. » Tu te lèves pour l'imiter et, en essuyant ta cuisse, tu fais signe que tu le suis, laissant les deux femmes ensemble un moment à table tandis qu'Aks avance, les épaules relevées.

Après quelques minutes à « choisir les plats », tu retournes vers les deux femmes, suivi par un Aks écarlate qui dépose son plat devant une Theevi aux anges face au choix opéré par son compagnon. Tu laisses devant Elie un plat qu'il te semblait l'avoir entendue mentionner il y a quelques temps sans pour autant avoir une réelle idée de ce dont il s'agissait. « Vous allez faire quelque chose d'aut' ? »

6 mois. Six mois où tu n'as rien remarqué. Tu ne sais pas si tu dois féliciter les deux femmes ou te fustiger. Si tu ne parviens pas à remarquer quelque chose qui se trame sous ton nez dans ta famille, comment pouvais-tu te targuer d'être un douanier efficace ? Étant donné le nombre de produits qui passaient sur les étals du marché noir, il fallait te rendre à l'évidence ; certains de tes subordonnés, voire de tes collègues, prenaient une part active dans l'arrivée des marchandises illégales. Tu ne pouvais cependant pas instaurer un système de dénonciation ou même de méfiance parmi tes hommes. Si certains savaient des choses, tu serais bien le dernier prévenu. Lorsque vous vous éloignez de la tablée, Aks ne moufte pas mot et il n'essaie pas de se trouver d'excuses lorsque tu le presses un peu trop aux distributeurs. Il rentre la tête dans les épaules et attend que la vague passe, comme toujours depuis qu'il est sur la Flotte. Tu ne sais pas si c'est la Fédération qui l'a rendu mou ou s'il essaie de faire bonne figure pour te montrer qu'il est bien là pour Theevi, mais cela a le don de t'irriter encore plus. Tu souris à ta femme sur le retour, à sa main contre la tienne, à ses pieds coincés entre les tiens.

« Eh bien, on n'a pas encore discuté de tout ça. » Mensonge. Pour l'instant vous aviez décidé de ne rien faire. Le regard cependant que te lance Elie t'incite à ne rien dire de plus. Si elle ne souhaite pas discuter de ça tout de suite avec ta sœur, tu n'allais pas la pousser à le faire. « Mais, vous allez quand même habiter ensemble ? » Tu déposes tes couverts, sentant que la conversation allait être ardue et qu'elle allait mener sur des terrains glissants. Aks à tes côtes se crispe également, semblant reconnaître le sujet de conversation galopant vers lui. Celui-ci préfère d'ailleurs se décaler tandis que tu lui jettes un regard de mauvais augure. Tu es certain que si Theevi pose cette question, c'est autant pour elle que pour vous. Elle n'en fera qu'à sa tête, mais tu sais que ton hostilité envers son conjoint la troublait et l'énervait. « On n'a pas encore discuté de tout ça. » Elie est trop obnubilée par son assiette pour voir le sourire de Theevi. Le regard que tu lui lances le fait disparaître et elle écarquille les yeux d'un air de dire qu'elle n'y est pour rien.

« Et vous, des projets pour le futur ? » Tu sens le soulagement de ta sœur qui n'attendait que cet instant pour pouvoir mettre sur le tapis ce qu'elle cherchait à te dire. A côté de toi, cependant, Aks s'étouffe avec une bouchée. Si tu étais réellement mesquin, tu pourrais croire qu'il l'a fait exprès. Aucun de vous ne bouge pour lui venir en aide tandis qu'il continue de tousser et tente d'atteindre son verre d'eau, que finit par obligeamment pousser vers lui Theevi. Tu cherches pendant ce temps les yeux d'Elie, interrogateur. Elle ne semble pas être dans son assiette et tu ne sais pas si ce sont les questions de Theevi ou d'autres pensées qui la travaillent. « Pas grand chose, non ! » Cela te fait quitter des yeux ta femme et tu donnes une grande claque dans le dos d'Aks. Tu sais bien que cela risque surtout de recoincer ce qui ne passe pas, mais histoire de dire que tu as fait quelque chose pour aider ton non-futur-beau-frère, tu l'observes l'air faussement inquiet. « Quand on aura peut-être un peu plus d'argent ou qu'on aura une vraie raison de demander une autre cabine. »

Ton poing se crispe et tu lui en remets une dans le dos, moins gentillette cette fois, tandis que Theevi ignore superbement le côté des hommes. « J'espère bientôt ! »

Pour une fois, Aks et toi êtes unis dans un moment de gêne dans lequel ni lui, ni toi n'osez intervenir. Tu as bien conscience que Theevi insiste et titille ta femme, qu'elle joue avec ses nerfs, autant par amusement que par véritable curiosité. Elle tâte et teste le terrain, tu ne sais pas trop à quelle fin. Est-ce pour voir jusqu'où elle peut aller avec son propre compagnon, qu'est-ce qu'elle peut proposer et qu'est-ce qu'elle peut te dire, mais aussi voir jusqu'où elle peut aller avec Elie. Tu te concentres pour l'instant sur ton assiette, lançant un bref regard vers ton voisin qui arque les sourcils et incline légèrement la tête vers les deux femmes.

Qu'est-ce qu'il veut que tu fasses ? Que tu tapes du poing sur la table ? Pour appuyer encore plus la gêne ? Elie était bien capable de se débrouiller seule et si elle ne parvenait pas à contenter ta sœur, ce n'était pas à toi de combler les problèmes perpétuels qu'il semblait y avoir entre les deux femmes. A croire qu'elles étaient comme Aks et toi, plus polies, plus sur les apparences, des femmes plus mondaines où tu étais certaine que tes autres sœurs auraient déjà fait jouer des poings et des coudes. Si tu espérais être tenu à l'écart de leur conversation, Theevi se décide à changer de tactique et de te prendre à parti et tu sers tes doigts autour de tes couverts. Va pour le dîner tranquille. « Ca s'rait quand même l'minimum, Tiaan. » Gn. La remarque froide d'Elie te fait froncer les sourcils tandis qu'à ta gauche, Aks se racle la gorge. Le sourire de Theevi s'agrandit et elle pose doucement ses couverts pour se tourner en partie vers sa belle-sœur. « C'est vrai ! Excuse moi, j'ai été indiscrète. Tiaan, j'ai un truc à te dire. » Tu posais tes couverts à ton tour et tu te frottais les mains entre elles en attendant que ta sœur finisse par lâcher la bombe.

« J'ai eu une promotion ! » Tu tournais ton regard vers ton voisin, arquant un sourcil face à son interruption, ne sachant pas trop si tu devais le féliciter, dire qu'il était pas trop tôt ou juste l'ignorer. Ta sœur acquiesçait à côté en souriant. « Oui, aussi ! Ca va nous faire plus d'argent mais ce... » « Je reviens, il faut que …  » Déjà levé, tu suivais du regard Aks qui s'éloignait au petit trot de la table. Tu fronçais les sourcils et tu retournais ton attention vers ta sœur qui hausse les épaules en faisant la moue. « Suis le, on en parlera plus tard. » Ton regard se tourne cette fois vers Elie, l'air de lui demander si ça irait.

Tu finis par te lever après avoir laissé un dernier regard aux deux femmes, véhiculant des sous entendus, des non-dits qui auront eu pour effet de faire sourire les yeux de ta sœur. Tu t'éloignes, tu laisses les deux femmes ensemble. Persuadé que Theevi a compris, c'est plus pour Elie que tu t'inquiètes. Votre façon de fonctionner ne correspond pas aux critères de sociabilité qu'a connu la Terrienne et, si tu aimes profondément ta sœur, elle se remettra d'une claque sur la main plus facilement qu'Elie une claque sur le cœur. Tu suis Aks et sa démarche saccadée, incertain. Est-ce que tu dois faire preuve de diplomatie pour une fois et arranger l'homme que tu te plais à détester ou te contenter de rester à l'écart ? Le malaise de Buster était surtout prégnant depuis que Theevi avait cessé de houspiller Elie et les craintes d'Aks devenaient immédiatement les tiennes dès qu'ils quittaient le cadre du travail. Le manège que vous effectuez depuis le début avec le pirate attire quelques regards qui finissent par s'éloigner en voyant vos mines et si tu pensais le suivre jusqu'aux salles d'eau, tu finis par louvoyer pour sortir de la cantine pour le retrouver dehors où il attend, les bras croisés, à observer le sol. Tu te places à ses côtés, sans le toucher et il finit par sursauter lorsque tu te racles la gorge. Des tréfonds de tes poches, tu extirpes un paquet de clope et, sans lui en proposer une, tu l'enfiles entre tes lèvres, arquant un sourcil pour l'inviter à s'exprimer.

Un long silence suit durant lequel tu profites pour allumer ta clope et tirer dessus. « Tu peux même pas m'en proposer une, hein ? » Le juron qui suit te fait à peine cligner des yeux et tu penches la tête vers lui sans faire un autre geste qui pourrait l'inviter à croire que tu vas lui être agréable. Tu te retiens cependant de lui souffler les volutes vaporeuses dans le visage, patientant toujours. Il serre les poings à côté de toi et fait les cents pas, visiblement en train de peser le pour et le contre de parler ou de juste attendre que la vague soit passé. « Tu veux pas retourner à l'intérieur, j'croyais qu'Theevi avait un truc à t'dire. » Tu hausses les épaules avec un sourire trop plein de dents, pas sans lui, pas sans que tu puisses lui mettre une main sur l'épaule et y planter tes doigts pour l'empêcher de déguerpir. « Mais putain ! »

Il y a un moment de surprise. Theevi observe le profil de sa belle sœur, ses beaux-cheveux, sa belle allure. La Duchesse qu'on l'appelle. Elle comprend parfois, sans vraiment saisir la portée du mot. Elle a vaguement conscience qu'il s'agit de quelque chose de noble, de haut, de supérieur, mais ce n'est pour elle qu'un surnom affectueux, légèrement moqueur. « Rien de plus que d'habitude. J'aimerais que ça évolue et il a peur. » Elle hausse les épaules, la fille de Keller. On lui a toujours dit de ne jamais jouer avec la nourriture, mais comme toutes les recommandations qu'on a pu lui faire, enfant, elle n'en a jamais écouté aucune. C'est avec sa fourchette qu'elle remue l'intérieur de son assiette en lançant un regard, puis un sourire vers sa belle-sœur. « J'suis un peu envieuse quand même d'votre relation avec mon frère. J'aurais p't'êt' bien aimé que ça donne des idées à Aks, tu vois ? »

Tu restes loin des deux femmes, tu essaies de leur faire confiance et de ne pas te retourner vers elle pour t'assurer qu'elles vont bien. Theevi ne tenterait rien contre Elie sans être menacée et ta femme n'avait aucune once de violence en elle. Leurs armes étaient donc les mots, des phrases soigneusement choisies et polies pour couper aussi assurément qu'une dague laser, percer autant le cœur que le ferait une lame. Tu gardes alors obstinément ton regard tourné vers l'homme à tes côtés. Ses pas t'irritent, ses tics nerveux et les jurons qu'il tente d'étouffer parmi ses doigts. Tu ne le questionneras pas, qu'il s'ouvre s'il le souhaite. Tu sais pourtant qu'il est incapable de réellement parler, de sortir ce qu'il voudrait dire, parce qu'il a été élevé comme toi aux preuves, aux coups rendus et au son des dies qui se rassemblent. Par respect pour ta sœur, vous n'en étiez jamais venus aux mains, par sur la Flotte. Vous aviez échangé de nombreux coups sur Keller et tu restais persuadé qu'Aks avait rencontré les poings de presque tous les membres de ta famille. Le gamin trop sûr de lui qui errait dans la boutique, dépendant ses quelques dies en fournitures inutiles qu'il revendait plus loin, pour ne pas se faire chasser trop souvent de la boutique par un père énervé, un frère moqueur ou une sœur lasse.

Tu pourrais faire preuve de compassion, de maturité peut-être, en lui proposant une clope, en lui disant que ça irait. Lui aboyer dessus aussi, lui dire d'arrêter de bouger. La nervosité de l'ancien pirate faisait inévitablement monter la tienne. L'homme avait été à l'instar de Vespillo et des jumelles un homme qui avait probablement causé plus de mal que de bien et tu ne comprenais pas le pardon que pouvait lui accorder Theevi. Tu préférais cependant penser ça que de l'imaginer ignorer toutes ses exactions comme si l'énième fils de pute qu'était Aks n'avait pas été de ceux qui avaient tiré leur partie et leur graine à vendre des gens, éviscérer des mômes en les indiquant aux tabliers rouges ou à trancher les tendons des marchands trop riches pour leurs propres biens. Sa vantardise t'avait toujours plus irrité que ce qui avait été monnaie courante sur Keller, mais tu ne parvenais pas à assimiler Aks comme étant un homme repenti et sa façon de se comporter sur la Flotte, bien que relativement peu belliqueuse, n'avait rien perdu de ses habitudes kellari.

La blonde penche la tête un instant, ne quittant pas les deux hommes des yeux. Les épaules de Tiaan semblent de plus en plus se tendre au fur et à mesure qu'Aks passe et repasse devant lui et elle pourrait presque croire voir un père qui attend que sa femme accouche. « Oui, bien sûr. Pour ça qu'il a préféré prendre la tangente. » Ce n'était pas le courage qui faisait survivre sur Keller, la témérité peut-être mais elle avait un coût et fauchait plus assurément que la moindre salve. Il fallait également se rendre à l'évidence, Keller avait formé la plupart des gens à baisser la tête et les yeux lorsque la hiérarchie et les influences n'étaient pas en leur faveur. Trop enfoncé dans la partie presque primitive du cerveau, il était difficile de s'en défaire. « Y la ferme trop quand Tiaan est dans l'coin et lui y l'en profite. C'est une boucle sans fin. Tu... pourrais pas d'mander à Tiaan de faire quelque chose ? Ou plutôt de rien faire ? »

« Un autre jour ? » Cette réponse te rassure autant qu'elle t'ennuie. Tu n'as pas réellement envie de partager ta soirée et ta femme – tes femmes – avec quelqu'un d'autre, mais l'idée d'abandonner encore une fois ta sœur – surtout avec Aks – t'horripile. Tu tournes la tête vers ta cadette qui fait risette, sa posture te rappelle ses fausses questions, celles où elle connaît déjà la réponse mais attend que tu t'enfonces toi pour les lui expliquer. Ta main se resserre un instant autour de celle de ta femme et ton regard se tourne vers l'intérieur de la cantine où vous avez laissé vos plats. L'habitude te pousse à les abandonner, presque aussitôt suivi par Aks, pour aller récupérer vos restes. Rien ne se perd, tu auras bien un creux – ou Elie – dans les prochaines heures qui te feront apprécier d'avoir emporté ce qui n'a pas été consommé. Un flash de rancœur se tourne vers le pirate qui plisse les yeux en t'observant. Votre retour se fait en silence, l'autre préférant contourner une autre table plutôt que de sortir à tes côtés. « Bon, bah on va vous laisser, c'était cool de vous voir. » Buster a pris la main de Theevi qu'il serre peut-être un peu fort, te défiant du regard de dire quelque chose, sa voix porte trop également, comme s'il souhaitait prendre à témoin les passants de votre séparation. Tu clignes des yeux, arquant un sourcil. Tu ne vas pas faire de scène au milieu d'un couloir mais tu ne supportes pas qu'on essaie de te pousser à bout. Un soupir t'échappe et Theevi, les yeux pétillants, finit par rompre la tension qui monte à nouveau. « On se capte à nouveau bientôt, alors ! Tiaan, oublie pas de m'envoyer des messages de temps en temps. » Elle tire plus qu'elle n'invite Aks à la suivre, après avoir déposé un baiser sur vos joues respectives, et d'une pression sur la main de ta femme, tu l'invites à avancer également.

« Ça va ? » Que tu finis par lui demander après quelques pas. L'éloignement de ton « beau-frère » te détend au prorata des pas qui vous sépare et tu enroules tes doigts autour de ceux d'Elie. Tu crèves de lui demander ce qu'elles ont pu discuter, pas tant parce qu'il s'agirait d'un secret que parce que tu as envie de te donner une autre raison de détester le compagnon de ta sœur. Si ta femme souhaite te parler de ce qui a été échangé, tu peux bien patienter que son propre stress s'apaise. Les rencontres avec les deux semblent constamment vous épuiser mutuellement. Tes relations avec ta sœur sont plutôt bonnes et tu bénis parfois les étoiles qu'aucun autre membre de ta famille ne se trouve sur la Flotte, de peur de l'effet que l'un d'entre eux pourrait avoir sur Elie. Il est peu probable qu'ils aient plus approuvé ton union et leur envie de l'intégrer à la famille – ou plutôt l'inciter à réagir violemment, marche ou crève – aurait sûrement poussé Elie à partir ou toi à couper les ponts avec les autres.

Un choix que tu n'as pas réellement envie de faire.

« Et toi ? » Tu la serres contre toi. Perdue dans ses pensées, vous avez déjà dépassé les terrains habituels, les lieux connus. Le silence te convient, tu aimes juste profiter du confort d'être contre – avec – elle, sans avoir besoin de verbaliser tes pensées. « Ça va. » Tu baisses les yeux vers elle et tu croises les siens. Tu ralentis le pas, pour ne pas avoir à la quitter du regard. Vous louvoyez sans trop y faire attention parmi la foule de travailleurs et de badauds qui traînent continuellement dans les ruelles du Colossus. Le vaisseau semble ne jamais tout à fait dormir et il est possible de croiser quelqu'un, un ouvrier qui rentre, quelqu'un qui vérifie l'état des machines, des trafiquants un peu louches ou des miliciens. Vos pas vous mènent à une des baies face à laquelle vous vous arrêtez, en plein contemplation comme la plupart de vos voisins. Elie en a peur, tu le sais, alors que toi, c'est le petit qui t'effraie. a Terre ne t'attire pas, les planètes t'effraient, tu ne les connais pas, c'est pour toi le grand vide, le saut que tu n'es pas près à franchir. D'une certaine façon, Elie est plus courageuse que toi, à vivre et survivre au milieu de l'espace qui la terrifie tant. Tu l'entoures de tes bras alors qu'elle te presse et tu poses ton menton contre ses cheveux, observant l'infiniment grand. Tu n'as sûrement pas le recul de ta femme, tu as toujours vécu au milieu de tout ce vide. Est-ce que ça te fait peur ? D'une certaine façon, il faudrait être inconscient pour ne pas en ressentir ne serait-ce qu'un soupçon, mais ça te fascine plus, c'est des possibilités par poignées.

« R'gardez les gars, c'est pas Krishvin ? » Tu fermes les yeux et tu espères un instant qu'Elie laissera couler, que tu puisses les ignorer tranquillement, leur signifier par ton silence que tu ne voulais pas les voir et qu'ils parviennent à rassembler suffisamment de matière grise pour le comprendre. Ta femme pourtant ne peut résister à l'appât et elle se retire doucement de votre étreinte pour lancer un coup d’œil vers ces hommes. Tu n'es pas toi même en uniforme et eux sont déjà moitié défroqués. Tu ne réponds pas à leur salut – tu le devrais pourtant – mais tu te contentes d'attirer à nouveau contre toi Elie lorsqu'ils ont enfin eu le bon goût de s'éloigner après leurs excuses. « C'est comme s'ils découvraient que tu as une vie en dehors du travail. » Comme si tu vivais à la douane, caché dans un dépôt, prêt à sortir en hurlant si tu les voyais tirer au flanc. La plupart avaient déjà partagé un verre avec toi, même si récemment les occasions se raréfiaient. Le travail ne baissait pas depuis que tu avais obtenu ta promotion et tu préférais passer ton temps en compagnie d'Elie que devoir voir plus longtemps leur sale trogne. « Mais si tu me cachais, c'est trop tard, ils savent. » Tu sais qu'elle te taquine, qu'elle en rit, mais tu ne t'épanchais pas auprès de tes collègues sur ce que tu faisais en dehors de ton temps de travail. Tes relations ne regardaient pas les autres et peu se risquaient à te demander où en était ta vie familiale. Certains devaient même penser que tu en étais incapable. « Des collègues ? » Elle sait, mais elle te pose tout de même la question, elle taquine toujours et tu la serres un peu plus fort, lui faisant effectuer un mouvement de balancier de droite à gauche, comme pour la bercer. « Mh. » Répondre à la négative serait de toute façon une mauvaise foi sans nom. « D'ex-collègues s.. s... s'ils p..parlent. » Tu retournes la tête vers eux, qui s'éloignent en vous jetant toujours des regards, en chuchotant un peu trop fort entre eux. Tu les dévisages – les fusille du regard serait plus juste – et tu espères sincèrement qu'aucun d'entre eux n'ait l'idée de venir discuter de votre rencontre avec toi.