2199 NEW BORN | Dans la famille, je demande la fille - Borislava. Avant elle, on compte Stanislav, né huit ans plus tôt, qui s'extasie bruyamment sur le nourrisson fripé et rouge qu'elle est encore. « Elle fait du bruit » commente-t-il quand elle se met à brailler plus fort que lui, inondant la pièce (et la chemise de son père) de pleurs de bébé. Et les adultes d'éclater de rire devant l'air outré du petit garçon. « J'espère qu'elle arrêtera vite de dormir pour jouer avec moi » conclut cependant Stanislav - c'est qu'après tout, il n'y a pas tant d'enfants que ça sur Chronia (et il y en a encore moins avec lesquels il aime s'amuser).

2200 THE FATE OF THE GALAXY | La Terre, depuis Chronia, ça semble lointain. Daria aime cette distance : elle n'a que de mauvais souvenirs sur la planète bleue - quand elle a décroché ce poste d'administrateur systèmes sur la station orbitale, elle est partie en laissant la pauvreté, le chômage et la maladie derrière elle. Elle ne veut plus entendre parler de la Terre - Stanislav n'en entend d'ailleurs parler que via la modeste école où sont éduqués les enfants de la station. C'est Aleksei qui rapporte la nouvelle alors qu'ils sont à table (« Bordel, chéri ! Je t'avais dit de ne pas ramener de saletés à la maison ! » s'exclame-t-elle dès qu'il dit le nom honni). Au départ, ça agace un peu Daria mais tout le monde se dit (ou se persuade) que ça ne les concerne pas. Ils sont loin après tout - ce n'est pas exactement comme la Lune ou Mars, un collègue de Daria prétend qu'ils sont déjà en train de préparer leurs bagages là-bas. Puis un jour, ça tombe comme un coup de massue à l'heure d'aller chercher les enfants. Aleksei voit Daria débarquer, Stan impatient au bout d'un bras et Boris en train de baver dans l'autre. Sa femme a le regard paniqué comme celui d'une biche prise au piège (il a vu un holo-enregistrement à l'école qu'il fréquentait sur Mars). « On ne retournera pas là-bas, ils ont ordonné mais je ne vais pas condamner les enfants à ça ! » s'exclame-t-elle.

2201 DARK CORNERS | Dans le silence assourdissant de la salle de maintenance où ils ont trouvé refuge, il n'y a que les pleurs de Boris pour emplir l'air. Ca, et l'odeur ferreuse du sang et de la mort. Elle ne voulait pas ça. Elle voulait juste ne jamais jamais rentrer à la maison - même si les autres, les riches et les employés, souhaitaient revenir sur Terre. Les forcer, les obliger à rejoindre la flotte partie de Mars, d'accord. Mais ça ? Elle ne pensait pas, elle n'imaginait pas que les autres iraient si loin, qu'ils feraient ça. « Ce n'est pas ta faute, Daria, a-t-il soufflé d'un air paniqué, terrifié, alors qu'ils le traînaient loin d'eux, le traitant de traître, de vendu pour avoir osé prôner le pacifisme : tout va bien se passer, reste avec les enfants, je vais revenir. » Mais Aleksei n'est jamais revenu. Et maintenant, elle a les mains pleines de sang. Son fils la fixe, horrifié, et refuse qu'elle l'approche, il réclame son père. « JE VEUX PAPA » a-t-il hurlé dans la carcasse du vaisseau alors qu'elle l'entraînait au loin, craignant la réaction de ceux qu'elle voyait comme des camarades encore quelques heures plus tôt. Sa fille, sa toute petite fille, pleure dans les vêtements qui puent la culpabilité et le crime. Elle ne voulait pas ça.

2210 VIRAL PLASMA | « Stan ? » La porte est timidement ouverte, inondant le placard à vêtements d'une lumière artificielle. « Tu ne veux pas venir ? » Lentement, les genoux se plient et la gamine se faufile à quatre pattes, rejoignant la silhouette adolescente qui peine à se cacher dans le seul endroit un peu intime de leur cabine. « Mama' pleure dans la salle d'eau » insiste-t-elle en secouant doucement le genou du garçon. Son frère est intelligent, tout le monde le dit - et même Boris le dit quand il ne fait pas son embêtant. Stan a sûrement une solution pour éviter que Maman pleure toute seule. Mais Stan répond seulement dans un marmonnement : « elle mérite. » C'est un peu la réponse qu'il donne tout le temps quand il arrive quelque chose à leur mère. C'est toujours cette même colère, ce même dégoût. « Mais c'est Maman quand même... » « Elle mérite. » Et il n'a jamais voulu lui dire ce qu'elle méritait ou pourquoi elle le méritait. « Pourquoi ? » « Elle n'a pas été sage. » Et c'est toujours cette condamnation, ce jugement implacable qui lui fait un peu peur. « Et si je ne suis pas sage, tu ne voudras plus me voir aussi ? » « Toi, c'pas pareil. T'es une gamine et t'es ma soeur. »

2220 STAND STRONG, STAND TOGETHER | Ils l'appellent tous Petite ou la bleue en lui passant une main dans les cheveux. Mais déjà, au bout de quelques jours, elle sent qu'elle fait partie de l'équipe. L'ancêtre n'hésite jamais à lui donner des conseils, à répondre à ses questions de novice qui pose le pied sur un astéroïde pour la première fois. Souvent en râlant - auquel cas elle se fait un plaisir de répondre et ça le fait sourire aussi. Casa la dragouille, et elle n'hésite jamais à lui renvoyer la faveur parce que c'est amusant et qu'elle sait que ça ne veut rien dire. Elle l'a vu rembarrer un mec un peu lourd d'un « mec, je t'interdis de toucher à ma soeur » Il est jaune comme une omelette, elle est blanche comme un cul mais selon lui, « on s'en fout, c'est pareil ». Tools l'amuse avec son jargon hyper technique, la façon dont il parle avec la foreuse. Souvent il lui montre des choses auxquelles elle ne capte rien - mais c'est amusant et ça lui donne envie de tester la métallurgie sur les sculptures qu'elle vient de déménager dans sa cabine d'adulte certifiée autonome. Peut-être qu'elle invitera Tools parce qu'elle sait qu'il est triste depuis que Magnet est mort. Les autres n'ont rien dit, et elle ne connait pas vraiment Magnet, c'était le moins bavard du lot. Mais elle a lu entre les lignes qu'ils étaient ensemble avant. Elle sait qu'il y a un nouveau qui va arriver bientôt - pour remplacer Magnet. Elle se demande si elle va cesser d'être la bleue (mais elle sait qu'il y a peu de chances qu'elle cesse d'être Petite) et comment ils vont appeler le nouveau. Elle le découvrira sûrement pendant leur prochaine expédition ou au moment de la bière qu'ils prennent toujours après plusieurs jours de boulot. Elle espère juste qu'après lui, il n'y aura pas d'autre nouveau.

2224 THE ARTIFACT | « C'est un synthé' de voix ? » Les yeux brillent et instinctivement, les doigts s'avancent vers Nilin, cherchent à toucher l'objet pour s'assurer que c'est bien ça. Au creux de l'estomac, il y a comme une excitation qui lui fout la chair de poule à l'idée de travailler avec quelque chose de nouveau, à la perspective de faire quelque chose de différent. « Hm, elle se racle la gorge et se redonne une contenance mais ça n'atténue pas une seconde l'impatience et l'avidité au fond de ses grands yeux : tu en veux combien ? » Boris ne sait pas vraiment jouer les indifférentes, il y a toujours quelque chose qui la trahit : son sourire, son regard, ses gestes, sa posture. Toujours - Stanislav dit que c'est parce qu'elle manque de pudeur, qu'elle exhibe toutes ses émotions jusqu'à en faire trop (elle, elle dit juste que si elle est énervée, il n'y a pas de raison qu'elle soit la seule du coin à subir). « J'ai pas grand chose. » Au pied de la chaise du bar, il y a un sac rempli d'oranges, rondes et juteuses - tout ce qu'elle a gagné à la dernière australe avec ses sculptures y est passé. Trois oranges par jour, c'est le minimum syndical après tout. « Je peux te proposer ça, sinon ... » D'une des poches de sa besace presque vide, elle extirpe un oiseau mécanique, les ailes taillées dans un acier blanc et l’œil brillant d'une pierre noire. « Je l'ai fini hier soir. L’œil, c'est une pierre taillée dans la planète de la semaine dernière. » Puis une clé est inséré sous l'aile qui se déplie, puis se replie dans un clic-clic métallique. Toute la mécanique s'emballe, et l'oiseau semble s'ébrouer, faire sa toilette. « Il bouge comme ceux sur Terre si tu remontes le mécanisme, j'ai vérifié sur les holovidéos. Deal ? »

2224 BAD CHOICES | L'air est lourd, étouffant. Il faisait chaud déjà sur cette planète balayée de vents brûlants. Mais sous terre, c'est pire et la poussière la fait tousser, et tousser fait mal, bordel. « Encore en vie, petite ? » Elle grogne, ne trouvant pas la force de l'insulter à son tour sur son honorable âge. « Bouge pas, ça va tout aggraver. » Sauf que bien évidemment, ce n'est pas tellement le conseil du vieux qui arrive le premier au cerveau. Tu dois sortir d'ici, et son stupide instinct tire sur le bras bloqué, la fait crier, cracher la douleur. « J't'avais dit. » Elle halète, essaie de ravaler le feu qui lui retourne l'estomac - elle n'ose pas regarder son épaule, elle n'ose pas vérifier pourquoi elle ne sent plus que du froid après l'articulation. « T-tu sai-sais où s-sont les aut-tres ? » Les mots sont hachés, difficiles ; elle craint un peu de s'être perforé un poumon et de s'être brisé à nouveau la clavicule. « En sécurité de l'autre côté. J'espère. » Boris déglutit ; elle ne veut pas penser à ce qui est arrivé aux autres. Elle préfère se dire qu'ils sont encore vivants - tout sauf la mort. « T-toi, ça v-va ? » « Mieux qu'toi, petite. D'solé, j't'ai pas tirée de là assez vite. » Boris ne sait pas alors que la mort, ce n'est pas vraiment le pire de ce qui peut leur arriver. Elle ne sait pas que pour la sauver, l'ancêtre y a laissé ses deux jambes.

2226 LOST IN YOU | La pression des doigts de son frère sur son épaule la fait sursauter et ravaler une exclamation. « Tu fais chier, Borislava. » Et la tablette de diagnostic s'abat sur sa tête, la faisant protester : « EH ! » Précautionneusement, la paume vient frotter l'endroit endolori - ceux qui disent que son frère est un super infirmier ont menti ou sont drogués, ce mec n'a rien de doux ou d'attentionné. « Je faisais juste mon taff. » Avec beaucoup de zèle, certes, mais plus vite la besogne est faite, plus vite ils rentrent tous chez eux. « Tu crois que je ne suis pas au courant ? » Et elle le fixe de ses grands yeux écarquillés. « Tes pirouettes à la con, tu appelles ça du boulot ? » « Ton coup, tout à l'heure, on appelle ça un génocide de neurones, non ? » Stan soupire, prescrivant à nouveau des pilules pour aider à la régénération des fibres musculaires trop sollicitées. Entre ses lèvres, il n'oublie pas de saler un peu le propos avec quelques insultes et beaucoup de plaintes contre son idiote de petite soeur qui n'écoute rien. (En vérité, et tout le monde sait, c'est surtout elle qui est à plaindre, non ?) « Essaie de ne pas trop en faire. » finit-il par dire quand le bip de son terminal indique qu'elle a reçu sa nouvelle prescription. « Je parle du capitaine. » « Le capitaine ? Elle feint l'incompréhension avant de s'exclamer avec une expression d'enfant fier de lui : oh, l'homme dans la salle d'attente ? C'est lui, Woodrow ? » « Tu sais très bien que c'est lui - la première fois que tu l'as croisé, tu m'as dit que tu le trouvais 'sexy'. » « Ah bon ? » Sa fausse innocence fait lever au plafond les yeux de son frère. « Bref. Je vous ai vu flirter et ne te laisse pas avoir. » « Oh, mais je ne compte pas me faire attraper - pas tout de suite en tous cas. » Où serait l'amusement sinon ? « J'ai bien vu qu'il te plaisait. Et sa réputation, ce n'est pas exagéré. » « C'est un bon amant ? » « Pas ça, crétine ! Et cette fois, heureusement, elle esquive la tablette : Juste ... épargne-moi le drama habituel de tes histoires d'amour, d'accord ? » Il parle des pleurs qui laissent place aux crises de colère, puis aux tentatives d'humiliation et/ou de vengeance. Bref, la réaction pas toujours très mature de Boris (mais encore une fois, elle ne voit pas pourquoi elle serait la seule à subir). « Ne t'inquiète pas, et se levant, elle lui claque une bise sur la joue : Je ne compte pas tomber amoureuse. »

2226 FOREVER LOST | Son terminal, comme toujours, est resté dans le vestiaire. Alors elle n'apprend la nouvelle que lorsqu'elle revient d'une mission de récupération, plusieurs jours après la mort d'Adam. Cette fois, elle ne va pas au bar comme l'équipe à l'habitude de le faire d'ordinaire - aucun d'eux n'y va. Nombreux sont ceux qui rentrent directement chez eux, avec leurs familles, pour se joindre au deuil. Pas Boris qui enfile les corridors et les couloirs, passe du Colossus 5 au Regina Mercy. Tout est étrangement vide, étrangement calme comme pour respecter le repos de l'amiral. Tout semble étrange ce soir, et il y a quelque chose qui remue en elle, une pointe au cœur - pas tellement pour Adam, mais pour lui. « Isaac ! » crie-t-elle, le poing s'abattant sur la porte, indifférente à la sonnerie. Un instant, elle se dit qu'il n'est peut-être même pas dans sa cabine - peut-être qu'il est avec Leona, se dit-elle avant de faire taire la jalousie qui lui mord le cœur et de continuer : « C'est moi, Isaac ! » Soudain la porte s'ouvre, dévoile un sourire alourdi d'un sommeil fraîchement brisé et pas la dévastation à laquelle elle s'attendait. « Les sonnettes sont faites pour être utilisées, tu sais ? » « Tu es trop con. » Les bras se croisent, tracent la contrariété d'être moquée au lieu d'être remerciée. « Tu t'inquiètes trop » contre-t-il sur son piédestal. Alors la main se lève et vient le cueillir à la joue dans son élan. « Tu es trop con. » Les mots sont plus doux, plus triste alors qu'elle vient l'enfermer dans une étreinte réconfortante. « Si tu crois que je n'ai pas remarqué... » Le chagrin qui alourdit ses épaules, le rouge qui inonde ses pupilles. « Alors tu es vraiment très con » souffle-t-elle entre leurs lèvres.

2227 THE CATALYST | Elle les entend. Chacun a son petit avis, sa petite idée. Priya a raison, Jonathan a raison, Leona a raison - tout le monde a raison pour quelqu'un et personne n'a raison pour tout le monde. Crevant. La paire de gants est jetée de frustration contre le mur. Dans la navette qui les a ramenés de l'astéroïde qu'ils ont foré, tout le monde n'a parlé que de ça (et personne n'était foutu d'être d'accord). « Et toi ? » lui a demandé le remplaçant de l'ancêtre alors qu'ils sortaient du petit vaisseau de transport. Elle a haussé les épaules parce qu'elle ne sait pas - elle voulait juste qu'on lui foute la paix, pas qu'on essaie de la convaincre. Il n'y a personne à convaincre : elle ne veut pas choisir, pas sur du vent, pas sur rien - les mots, ce n'est rien, même avec toute la bonne volonté du monde. « Tu vas pas me dire que tu hésites sur cette idéaliste à la con ! » Et pourquoi pas ? Ca n'a pas fonctionné avec son père, mais si ça évite des morts ? « Parce que déclarer la guerre à la Terre, c'est mieux p'tre ? » Et pourquoi pas ? Un jour, la Terre va les traquer et sans doute qu'à ce moment, ce sera trop tard pour eux. « Toujours mieux que d'se barrer on-ne-sait-où en espérant trébucher sur un lopin de terre habitable ! » Et pourquoi pas simplement tourner la page et se barrer d'ici ? « Je sais pas, OK ? Foutez-moi la paix. » Elle ne sait pas. Choisir, c'est renoncer. Boris n'aime pas renoncer.