ONE 2187. Anna est à peine sortie de l'enfance. Elle se dit qu'elle laisserait bien le bambin aux chiens. Sa vie, bien que affreusement courte, serait plus belle que tout ce qu'il pourrait vivre ici se dit-elle. Bon sang. Elle aurait du être plus rapide. On lui arrache déjà l'enfant des bras. Là, on hésite aussi. Il est frêle et pèse bien peu le gamin. Après tout, les chiens ont faim. Encore quelques négociations. C'est bon, on le garde. Ca peut toujours être utile un gamin. Au pire, il reste toujours les chiens.

TWO Sous ses yeux d'enfant, l'horreur du monde s'abat. Orson ne connait que la dure réalité de Merry Fields. On l'a plus ou moins élevé jusqu'au moment où il a pu enfin se mettre au travail - en fait, il dirait plutôt qu'il a miraculeusement survécu à ses premières années d'existence. Très tôt il rêve de quitter cet Enfer. Mais pour aller où ? Il a vite compris comment ça marche dans le coin ; il est du mauvais côté de la chaîne. Peu importe où il se trouvera, l'histoire sera la même. Alors quand un gamin de son âge lui dit de le suivre, il préfère s'en moquer. Mais c'est mal connaître Syjad le téméraire. Le pétiot n'a même encore atteint la dizaine d'année qu'il se fait marchandeur d'excellence. Orson capitule vite parce qu'Orson n'a rien à perdre. Cela leur coûte cher mais finit par payer : le capitaine des Wūtuōbāng Bastard finit par accepter la désobéissance et sa présence. Après tout, qui refuserait un esclave gratos ?

THREE Une fois qu'un gosse devient un jeune homme, un gros problème se pointe : il ne peut plus se faufiler partout. Alors, qu'est-ce qu'on en fait ? On lui trouve une autre utilité. Les Wūtuōbāng Bastard  le fichent sur un de ces rings illégaux, où la seule issue est la mort. D'abord timide, Orson finit par se découvrir un véritable don pour le combat. Pour le massacre. Le carnage. La mort. Toute la haine qui bouillonne en lui s'extériorise enfin. Il hérite rapidement du surnom de Mad dog, parce qu'il saute littéralement à la gorge d'un gars dont il arrachera la trachée à pleines dents. Il est le chien de garde des Wūtuōbāng, ceux-ci s'assurant tout de même qu'il ne se retourne pas contre la main qui le nourrit. Orson reste à sa place parce qu'il comprend vite les choses ; s'il grogne un peu trop fort contre eux, il se fera revendre ou tuer. Aucune de ces deux options ne lui sied.

FOUR 2210. Syjad a le cran qu'il lui manquait. Ses yeux ronds matent le jeune homme qui lui dit qu'il faut en finir avec  tout ça, qu'ils ne pourront vivre éternellement de cette manière. Orson ne dit rien, dans un premier temps. Parce qu'il sait qu'il a raison. Ses paupières papillonnent un instant tandis que dans son crâne, c'est le branle-bas de combat. Alors, ça y est ? C'est maintenant ? La liberté ou la mort, le choix ultime, le destin qui décide pour eux ce que sera à partir de ce moment leur avenir. Non. Ils décident. Cela est étrange, parce que c'est totalement neuf. Il acquiesce. Remet entre les mains de son compagnon tant son corps que son âme. Lui, il ne décide pas. Il agit, et cela lui convient très bien.

FIVE "Syjad, lui, il est malin. Toi tu peux compter que sur tes poings. Tu fais pas partie de ce monde. Ils vont te bouffer là-bas, au pire t’utiliser. Tu devrais pas le suivre." Rares sont ceux qui n'ont pas désiré suivre leur capitaine dans son idée folle de rejoindre la Flotte. Mais, aussi peu nombreux soient-ils, ils comprennent rapidement qu'ils ont tout intérêt à recruter autant qu'ils peuvent. Le bras droit est un morceau de choix : avec un gars comme lui à leurs côtés, pour sûr qu'on hésitera à deux fois avant de les faire chier. Mais ils ignorent quel genre de lien unit les deux hommes ; l'un ne saurait vivre sans l'autre. Alors Orson décline, sans même une explication. Devant leur insistance, il leur explique en à peines quelques mots "J'irai où il ira". Personne n'oserait jamais lui dire en face ce pour quoi il se voile lui-même la face : Syjad est sa plus grande faiblesse, à n'en pas douter. Mais il ne voit pas cela de cet œil-là ; il est le seul et l'unique en cet univers à avoir su apprivoiser la bête qu'il est.

SIX Le bonhomme est loin d'être cultivé et, derrière ses airs fiers, ça l'emmerde pas mal. Il aimerait bien capter un peu mieux ce qui se passe autour de lui, ne fusse que pour savoir quoi répondre quand l'un ou l'autre crétin commence à lui causer politique - oui, parce que dans ces moments, ce sont eux les crétins, voyez-vous. Orson sait à peine lire, à vrai dire, son niveau de lecture s'arrête à reconnaître certains mots. Bien sûr, il pourrait prendre le temps d'apprendre mais deux choses l'en empêchent : son manque de patience et sa fierté.

SEVEN Officiellement, il est docker au sein du Colossus 5 et bras-droit de l'équipage du Wūtuōbāng. Cela ne l'empêche pas d'aller trifouiller parmi les ventres d'aciers des vaisseaux, l'homme n'étant jamais contre donner un petit coup de main aux mécaniciens. Il a appris les bases en traînant parmi ceux se faisant appeler les doigts noirs sur Merry Fields, les petites mains aux doigts de fée faisant des miracles sur  à peu près tous les engins pouvant exister.

EIGHT Il fait peur aux gosses le bougre. Inévitablement. Et cela le désole. Il essaye pourtant. Il sourit, souvent très maladroitement, et ça fait fuir à la vitesse de la lumière les bambins. Ou pire, ça les fait brailler. L'homme tente de ne pas prendre cela personnellement, mais vraiment, il reste perplexe face à cette observation récurrente. Sa plus grande hantise repose donc dans l'idée de se retrouver seul avec une bande de marmots. Assurément, ce serait le chaos. Il se dit que ça doit être parce qu'il n'a pas vraiment eu l'occasion d'être un gosse lui-même, que ça expliquerait qu'il soit à se point naze avec les gosses. Heureusement pour lui - et surtout pour eux -, il en croise rarement étant donné que leur présence est interdite au sein du Colossus 5.

NINE Après dix ans passé en son sein, Orson connaît le Colossus 5 comme sa poche. Il a même appris son histoire par cœur - et il l'adore, des esclaves brisant leurs chaînes et faisant valoir leurs droits, c'est tout ce qu'il aime. Est-ce qu'il en profite pour alimenter le marché noir ? Non. Bien sûr que non. Pourquoi un ancien pirate ferait-il une telle chose ? La seule raison pour laquelle il traîne de ce côté, c'est vérifier qu'aucun esclavagiste n'ait le culot de se ramener dans le coin. C'est tout. Voyons.

TEN La vie de pirate lui manque. Parfois. Trop souvent à son goût. Ici, il sait que sa vie est plus stable mais il a juste l'impression de tourner en rond. De temps à autres il lâche l'idée de revenir à leurs racines, les trois-quart du temps quand il est déjà bien saoul, dans ces instants où l'on refait le monde à partir de rien. Mais il sait que ce ne sont que des rêvasseries bateau, jamais ils ne reprendront ce chemin. Ils appartiennent à la Flotte et il est impensable de leur faire faux bond. Alors il hausse les épaules, n'y pense plus et se remet au boulot. C'est toujours ce qu'il fait quand quelque chose le tracasse, ça lui semble mieux ainsi.