-Je suis vraiment trop vieux pour ces conneries.

Ça faisait maintenant plusieurs mois que Karst répétait cette même phrase, à divers moments de la journée. Devant leur pitance. Devant le travail accompli. Alors qu'ils étaient tous priés de retourner se coucher sous le bruit incessant des machines qui ne s'arrêtaient jamais de tourner. Il n'avait pas tord. Il était vraiment trop vieux pour ces conneries. Alors il se plaignait, rendant sans doute fous à la fois les autres détenus et les gardiens qui ne manquaient pas de le reprendre, voir de le bousculer un peu, ce qui ne manquait pas de le faire hurler à la maltraitance sur personne âgée. Il aurait sans doute du la fermer un peu plus s'il souhaitait purger sa peine rapidement, mais il n'allait pas non plus leur faire le plaisir de la fermer !

Son deuxième sujet de conversation préféré ces derniers temps était à quel point les stellariens étaient stupides et le système, défectueux. Les cailloux, affirmait-il, étaient des biens communs qui devraient être à la portée de tous les curieux pour qu'ils puissent les étudier. Ça coûtait rien de laisser quelques pauvres hommes vieillissants s'en aller avec quelques roches, si ? Eh bien non, ici on les jetait en prison pour ce qu'il appelait désormais un « crime de sagesse », puisque la seule chose qu'on leur reprochait, c'était d'essayer d'illuminer un peu les connaissances sombres des habitants de la flotte. Les juridictions étaient toutes pourries, les jurés étaient payés par leurs ennemis, la Terre devait sans doute avoir des hommes à bord venus directement pour les faire chier eux.

La seule chose qu'il se refusait encore, c'était de mourir sur ce fichu vaisseau. Ah ça, non, ça leur ferait trop plaisir à ces imbéciles pompeux qui avaient confondu un excès d'enthousiasme avec une agression préméditée. Et puis pourquoi y avait un connard qui surveillait des cailloux d'abord, hein ? Non, décidément, ça sentait la conspiration à plein nez, on les avait envoyé ici pour mourir et Karst ne comptait pas leur faire ce plaisir, à ces crétins. Il allait purger sa peine, ressortir d'ici comme s'il n'avait fait qu'un agréable jogging (il avait déjà perdu du poids d'ailleurs, ils les affamaient, les salauds), si tant est que ''jogging'' et ''agréable'' puissent être utilisé l'un à côté de l'autre, puis il allait leur montrer qu'il était plus en forme que jamais et qu'il ne manquerait pas une occasion de leur faire ravaler leur ignorance. Terminé, les gosses, il allait se faire sa place parmi le collège de la flotte, réclamer son titre de chercheur géologue et bien niquer tout le monde en faisant la découverte du siècle. Ou bien non, il allait resté prof et faire quand même la découverte du siècle, comme ça tout le monde pourra bien aller se faire enculer, sauf ce garde qui les avait balancé. Ça lui ferait trop plaisir à ce PD.

-Pierrino, faut qu'on se tire d'ici, marmonna-t-il un jour qu'ils trimaient sur des blocs de glace.

Il ne savait même pas combien de temps il leur restait, les jours avaient défilé sans qu'il ne réussisse à garder le fil. Il aurait du gratter des traits sur les murs de sa cellule, à l'ancienne.

-Ils vont nous laisser pourrir là jusqu'à la fin de nos jours si on se laisse faire, poursuivit-il à voix basse. Je sais déjà plus le combien on est.

Il regarda autour de lui pour repérer le garde le plus proche, qui lui répondit par un haussement de sourcil menaçant indiquant clairement qu'il devrait garder les yeux sur ce qu'il était en train de faire.

« Je suis vraiment trop vieux pour ces conneries. » Tu allais finir par croire que l'effort et la honte avaient fini de complètement déglinguer ton époux. La honte de t'avoir poussé avec lui dans le rejet et la délinquance – non pas que tu ais eu besoin d'aide pour cela, mais sur Terre tu avais de l'argent et la famille pour te sortir des éventuels mauvais pas. Trop las pour répondre, tu laissais Karst faire, tu laissais Karst attirer tous les regards et se faire bousculer, profitant parfois pour piquer dans son plat quelques morceaux de nourriture en plus. Tu avais perdu du poids depuis que tu étais arrivé sur le Lady et si tu avais indéniablement repris un peu de muscle, il n'y avait pas de quoi réellement te vanter. Tu étais fatigué et tu devenais de plus en plus taiseux. Inutile de reprocher une énième fois à Karst votre situation, ce serait tomber dans le même manège abrutissant que celui-ci et tu te refusais de ressembler ne serait-ce qu'un peu plus à ton partenaire. Tu avais commencé à le mettre en sourdine et tu te contentais d'acquiescer de temps en temps à ses paroles pour qu'il n'hausse pas le ton et reprenne sa logorrhée.

Bon, il était certain que tu étais d'accord sur la plupart des choses que pouvait dire Karst étaient vraies et fondées, mais tu ne pouvais pas décemment le lui dire en face sans briser la coque de rancœur et de reproche que tu avais savamment construit autour de toi. « Pierrino, faut qu'on se tire d'ici. » Enfin quelque chose qui changeait du disque rayé. Tu ne relevais pas la tête de ton bloc de glace, persuadé que Karst l'ouvrirait une nouvelle fois pour sortir une connerie plus grosse que lui, ce qui devenait de moins en moins évident vu combien le géologue avait perdu de poids. « Ils vous nous laisser pourrir là jusqu'à la fin de nos jours si on se laisse faire. » Si tu avais un peu plus de recul et moins d'amour propre, tu aurais probablement roulé les yeux et tu te serais esclaffé, lui rappelant que vous n'aviez plus tellement de temps à tenir sur le Lady... Mais le problème était que 1/ tu étais trop fatigué pour ça et de 2/ tu ne savais pas combien de temps il vous restait à vivre ici. « Je sais déjà plus le combien on est. » Même penser au cul de jolies filles ne te faisait plus bander comme avant et tu commençais à désespérer de revoir un jour la lumière artificielle de la flotte, de pouvoir remettre une main aux fesses d'une fille sans te faire casser la gueule par un planton, de pouvoir insulter à nouveau Priya qui avait certainement orchestré tout ça depuis son bureau.

« Le seul moyen de quitter cet endroit, c'est les pieds devant. » A ce stade, les gens qui quittaient le Lady après avoir purgé leur peine était pour toi une espèce de mythe inventé de toutes pièces. Ceux qui disparaissaient le faisaient dans des sacs mortuaires. Tu en venais à regretter de ne pas avoir accepté la proposition du garde. Presque. Des fois. Entre deux envies de planter ton plateau dans la gorge de Karst. Mais ça lui permettrait de quitter le Lady avant toi et ça il n'en était pas question, plutôt le laisser souffrir avec toi que le tuer pour abréger ses souffrances. « Merci qui ? Merci Karst. Si tu avais gardé tes mains où il fallait et que tu n'étais pas partie dans une crise de violence injustifiée, et que tu avais su la fermer face à ce garde, on serait tranquillement dans notre cabine à profiter de tes cailloux. Mais non, monsieur devait l'ouvrir, monsieur devait montrer au monde qu'il en avait dans le pantalon. »

Karst hocha brièvement la tête, les dents serrées. Oui, il se doutait que Pierro en était venu aux mêmes conclusions que lui. Il était moins débile que la plupart des gens, quand il voulait bien s'y mettre. Le reste du temps, il se contentait d'être d'une affligeante normalité, prenant des décisions insensées, comme par exemple se décider à faire des avances à la femme de la mauvaise personne, ce qui les mettait tous les deux dans des situations compliquées puisqu'il ne semblait pas supporter avoir des ennuis sans en faire profiter son époux officiel. C'était peut-être pour ça qu'ils avaient été si facilement jeter sur le Lady Grace. Ça et parce qu'un jury outrageusement hostile certainement payé par une femme avait tout fait pour leur mettre le plus de temps possible.

Mais là n'était pas la question. La question était : ils allaient crever là, les petits vieux. Ou en tout cas ils allaient crever là s'ils n'agissaient pas pour se tirer vite fait du Lady Grace. Cependant, même en tant que petit vieux, ils n'échappaient pas à une surveillance constante de la part des gardes qui avaient l'air au moins autant ravi que lui de se trouver là, ce qui le poussait à penser qu'ils avaient sûrement du faire une erreur plus grosse que les conneries que pouvaient sortir les enfants, pour finir en poste dans le pire endroit de la flotte. Cependant, Karst n'avait pas envie de mourir. Enfin, si, quand il avait terminé sa journée, qu'il avait mal aux bras, aux jambes, au dos, aux articulations et qu'en plus il avait faim, là il voulait mourir. Un sentiment sans doute partagé par tout ceux qui devaient subir ses geignements.

Cependant, son cher et pas si tendre reprenait déjà la parole pour l'affubler d'accusations parfaitement injuste et seulement partiellement vraie. Depuis quand c'était lui qui mettait ses mains où il fallait pas ? Et sans sa crise de violence hein, ils seraient arrivés ici, mais juste vachement plus vite, alors il fallait bien que quelqu'un se sorte les doigts du cul pour faire avancer la science et c'était visiblement pas sur Pierro qu'il fallait compter pour ça.

-Eh bah peut-être que si t'avais fait ce qu'il fallait, et que t'avais juste sucé s't'abruti comme il le demandait, on en serait pas là non plus et on aurait pu profiter de mes cailloux aussi. Et j'aurais bien voulu garder ce que j'avais dans le pantalon, mais ils ont repris les roches ces bâtards. Et je continue de penser que c'était pas normal qu'il y ai autant de garde pour surveiller des cailloux. Y en plein partout dans l'espace, pourquoi ils se font chier à mettre des plantons devant ça ?

Ils étaient peut-être passés à côté de quelque chose dans cet entrepôt. Peut-être que quelqu'un d'important cachait quelque chose de plus précieux là-dedans, quelque chose qui aurait pu les rendre riches s'ils l'avaient découvert. Ou bien quelque chose de dangereux ? Est-ce qu'il s'était exposé à des doses de radiations importantes provenant de roches spatiales ? À cette idée il se mit à avoir des sueurs froides dans sa combinaison. Est-ce que ses organes avaient déjà commencé à fondre ? Est-ce que c'était ça, la perte de poids trop rapide ?

-C'est pas le moment de s'accuser, marmonna-t-il soudain, à voix basse. Écoute, ils sont pas si nombreux, les gardes. Si on arrive à se mettre quelques taulards dans la poche, on pourra se tirer d'ici. Tu sais comme moi qu'ils voudront jamais nous faire sortir, ces enculés de stellariens, dit-il très rapidement sans hausser le ton.

Les reproches que te retournèrent Karst eurent au moins l'effet de te sortir de ta torpeur. Qu'est-ce qu'il essayait encore de te mettre sur le dos cet abruti ? « Il avait l'air plus attiré par ton cul dans lequel il voulait tremper. T'es vraiment gonflé de me mettre sur le dos ce que tu as causé, j'espère bien que quand on en aura fini ici tu auras de quoi me dédommager. Heureusement que tu t'es pas reproduit, j'imagine pas la gueule de mongolien de ta descendance. » Tu retournes à ton travail, vaguement satisfait d'avoir pu libérer un peu de ton fiel, mais la colère reste toujours coincée dans ton ventre. Par principe tu décidais de ne pas répondre à la prochaine tirade de Karst, mais la connerie monumentale qu'il venait de sortir t'assurait surtout de te faire exécuter avec lui s'il se faisait attraper. Tu te retournais à demi pour lui lancer un regard outré jusqu'à qu'un rappel à l'ordre d'un garde te fit te retourner vers tes affaires. « C'est le Lady Grace qui fait disparaître toutes tes capacités intellectuelles ? J'savais bien que t'en avais un nombre limité mais quand même. Tu espères quoi une fois qu'on se sera débarrassés d'eux ? Partir avec le vaisseau en emmenant tranquillement tous les criminels de la Flotte ? » Quoi que … tu pouvais peut-être les aider et les dénoncer par la suite aux gardes de la manière la plus repentante qui soit, cela devrait donner quelques points à ton dossier de grand criminel. « Attends, excuse moi, tu tiens peut-être une idée, je te suis. » Que tu finis par lâcher après un silence repentant et réflexif dont tu as savamment compté les secondes pour donner un peu plus de poids à ton retour.

L'heure de la fin du service approchant, tu commences à nettoyer proprement tes outils alors que tu suis la file de forçats, attendant à peine Karst pour qu'il puisse te rejoindre comme si de rien n'était. Le garde qui t'a rappelé à l'ordre tout à l'heure vous lance un regard soupçonneux mais préfère s'intéresser finalement à une femme qui insulte copieusement un jeune gars, l'accusant de lui avoir volé ses outils pour les remplacer par les siens, abîmés. C'était une technique que tu avais utilisé à plusieurs reprises pour te défaire de ton matériel défaillant et accuser d'autres d'avoir volontairement rendus inutilisable certaines de leurs affaires. La vérification des outils et le comptage de leur nombre par les gardes n'était pas constamment effectuée avec une grande motivation, mais le moindre objet manquant était pénible pour tous et poussait généralement les responsables à être ostracisés quelques temps. « J't'écoute, t'as quoi comme idée ? » Que tu glisses à ton époux dans la file en attendant votre tour pour pouvoir déposer tes outils dans les bacs usuels.

Il allait le tuer. Karst en avait la certitude à présent. Qu'on lui donne un angle mort, un moment d'inattention de la part des gardes, qu'on le laisse ne serait-ce qu'une seule seconde seul avec Pierrino Castiglia, et Karst le tuerait. Ici ça serait facile en plus, les accidents n'étaient pas l'exception à la règle et les pugilats entre taulards avaient tendance à facilement dégénérer jusqu'au sang, lorsque la faim, la fatigue, l'énervement avait fini par rendre fou même le plus endurci des détenus. Il chargerait bien quelqu'un d'autre de le tuer à sa place pour être sûr d'avoir les mains propres après ça, mais ce petit salaud serait capable de le retourner contre lui. Non, il n'y avait vraiment que lui pour pouvoir garder les idées parfaitement claires et voir à travers le miel de ses paroles.

Cependant, il ne fallait pas que la haine qui l'habitait désormais à force de subir les insultes de son époux en plus de tout ce que leur environnement pouvait lui imposer ne soit trop visible pour le moment, aussi se contenta-t-il de lui lancer un regard de pur mépris. Ça au moins il en avait l'habitude. Pierro était un sacré con s'il ne voulait pas comprendre qu'ils ne sortiraient d'ici que par leurs propres moyens. Il ne voulait pas participer à la révolution ? Tant pis pour lui, il sortirait d'ici avec un peu d'avance, les pieds devant. Ensuite Karst se chargerait de conduire ces brebis particulièrement dangereuses jusqu'à la liberté. Ils ne manqueraient pas d'options s'ils réussissaient à prendre le Lady Grace.

Il allait le planter là pour retourner maugréer tout seul dans son coin avec ses précieux outils lorsque l'ex archéologue sembla finalement se faire une raison, sans doute un peu trop radicale pour ne pas éveiller la méfiance de Karst, puis déclara vouloir suivre le plan de celui-ci. Il allait l'envoyer proprement bouler lorsqu'il se fit la réflexion qu'il serait plus sage de l'avoir avec lui dès le départ s'il voulait effectivement lui planter son tournevis dans l’œil jusqu'au cerveau, puis touiller un peu pour être sûr.

-Je savais bien que tu retrouverais ton cerveau, mon vieux, lâcha-t-il avec un sourire mauvais.

L'idée, il ne l'avait pas vraiment encore bien développée, il avait juste observé les gardes, les tours, les détenus, mais également le nombre qu'ils étaient. Ils allaient avoir besoin de parler à certains taulards qui connaissaient mieux les lieux de leur donner des informations sur les procédures de confinement, mais aussi sur la façon dont étaient gérés les tentatives d'évasion. Certains des plus anciens devaient bien avoir vécu une ou deux tentatives avortées. Si ça n'était pas le cas, ils pourraient toujours poussé l'un ou l'autre des plus désespérés à tenter sa chance pour voir ce qu'il en était. Il se garda bien de parler trop fort pour ne pas alerter ceux qui les entouraient lorsqu'il reprit la parole.

-Le plan est simple. On est plus nombreux que les gardes. On est moins bien armés, mais nos outils pourraient faire suffisamment de dégâts. Faut qu'on réussisse à trouver comment les crises sont gérées ici, et le temps que les renforts peuvent mettre à venir, pour qu'on puisse faire un plan efficace. Ensuite à deux on aura pas de mal à guider ces écervelés sur le chemin de la rébellion. Donc on s'empare du Lady, on jette les gardes dans l'espace, puis on s'arrache n'importe où ailleurs qu'ici : Byblos, Keller, n'importe où tant qu'on peut se refaire ailleurs.

« Je savais bien que tu retrouverais ton cerveau, mon vieux. » Tu acquiesces avec un pauvre sourire factice, trop fatigué pour trouver la force d'utiliser l'énergie qui te restait dans les apparences. Bien sûr que tu avais retrouvé ton cerveau, si tu voulais une remise de peine ou te débarrasser de ton époux, ce n'était pas en attendant de retourner sur la flotte que cela allait se faire – et encore moins tout seul. Par contre l'inciter à se suicider en formentant un énième plan débile, voué à l'échec et de surcroît que tu pourrais cafter ? Ça c'était de la bonne idée made in Castiglia. Tu n'étais pas arrivé jusqu'ici en te contentant de sourire aux gens, tu avais dû tendre la jambe dans les escaliers aux moments opportuns devant de vieilles personnalités intellectuelles, évincer des étudiants en leur volant leurs recherches, diffuser des photos de nus de conquêtes. Aussi, quand ton époux commença à énumérer les avantages que vous aviez – aucun d'utile de ton avis – tu te retins de lever les yeux au ciel. Bien sûr que vous allez réussir à attaquer des gardes entraînés et équipés tandis que vous n'aviez qu'un burin, un marteau et probablement une anémie.

Tu opines diligemment à chaque connerie – plus grosse l'une que l'autre – alors que vous avancez dans la file pour rendre vos outils. « Byblos n'est pas alliée de la Fédération ? Ça risquerait de nous retomber sur le museau, à moins qu'on ne leur trouve une bonne raison de leur faire repousser les fédérés. Ils sont là pour quoi déjà ? Un problème de terraformation ? On a qu'à dire que c'est la faute de la Fédération qui veut devenir créancier de ce qui reste de la galaxie libre ? Je me souviens que ce genre d'histoires avait fait du bruit avant la destruction d'Astoria. » Sans faire attention aux cris derrière vous alors qu'un détenu en accuse un autre d'avoir glissé des outils dans sa tenue, tu avances vers la cantine dans l'idée d'aller chercher l'immonde nourriture pré-faite qu'ils vous proposaient au menu. Si les repas sur la flotte étaient déjà rédhibitoires – si tu avais su tu aurais refusé de quitter la Terre – alors ce qu'on vous proposait sur le Lady devait à peine être accepté par les indigents de la Fédération. « Tu comptes te renseigner où ? » Tu attrapes un plateau que tu poses sur les rails, dans la file de détenus et tu en profites pour observer ceux déjà attablés, à la recherche du plus moche, du plus horrible, du plus baraqué, que tu pointes du doigt – parce que les films t'ont appris qu'ils savent généralement plus que ce que leur tête veut bien laisser croire. « Il a l'air bien, lui. »

Karst suivit du regard la direction que son époux lui désigna, arrivant bien entendu sur le type le plus moche, mais aussi le plus menaçant présent dans la cantine. Si celui-là était pas là au moins pour meurtre avec dépeçage des victimes, et transformation en hamburger de ce qu'il restait, il voulait bien arrêter les cailloux et se reconvertir dans la biologie. Cette idée lui fit courir un frisson d'horreur dans toute la colonne et il se décida à ne surtout pas aller vérifier pour quoi il avait été incarcérer. À la place il chercha autour de lui, dans le coin opposé à ce gars-là, pour trouver le deuxième type le plus moche et le plus baraqué de la cantine, avant de lancer un regard à Pierrino. Il avait une meilleure idée.

-Bouge pas et regarde les pro en action.

Il remplit son plateau de nourriture, puis il s'en alla droit sur le type qu'il avait lui-même repéré, s'arrêtant devant lui et s'attirant un regard mauvaise de la part de tous les types qui l’entouraient. Bien entendu, il avait pris soin de prendre un air relativement effrayé (pas qu'il doive trop se forcer, ça n'était pas exactement une situation parfaitement confortable), regardant souvent par dessus son épaule comme s'il surveillait qu'on ne vienne pas l'intercepter, puis il osa s'adresser au type.

Karst ne sut alors jamais si la chance lui avait sourit particulièrement ce jour là ou si ses capacités d'orateur s'étaient particulièrement améliorées, mais le gars ainsi que ses amis/suiveurs/probables putes de prison finit par avaler le bobard que Karst avait préparé, prétendant qu'il ne lui donnait ces informations que pour être par la suite protégé par le type et sa bande. Le bobard impliquait bien entendu l'autre grand type qui fomenterait un coup de salopard pour le mettre dans la merde avec ses outils et provoquer un esclandre qui l'amènerait sans doute directement en haute sécurité.

Qu'il soit stupide ou qu'il y ai vraiment eu entre eux une rivalité marquée, le détenu ne manqua pas de voir rouge après que Karst ne lui ai donné que quelques faibles arguments qui n'auraient sans doute même pas convaincu l'un de ses CP, il se leva alors en trombe, suivit par ses forces qui bousculèrent le vieux géologue au passage, l'envoyant les fesses sur le sol alors qu'il regardait avec indignation le chaos se mettre en marche sans même un peu de gratitude envers lui, le contenu de son plateau se répandant par terre et sur son uniforme de détenu.

Il n'y eu pas de question posée, pas de demande de compte. Le plus sanguin de la bande se jeta directement à l'attaque et entraîna une réaction en chaîne telle que quelques instants plus tard, toute la cantine s'était transformée en un énorme champ de bataille où tout le monde hurlait, se lançait des plateau à la figure, en profitait pour tabasser ceux avec qui ils avaient des griefs tandis que les plus malins restaient planqués quelques part en attendant que les gardiens réussissent à remettre le calme, ce qui n'était pour le moment pas une réussite.

-Tu vois, maintenant on sait comment ils gèrent les crises ! S'écria Karst à l'attention de Pierro en écrasant son plateau sur la tête du malandrin le plus proche.

Il était resté fermement accroché à celui-ci pour ne pas se trouver désarmé en cas de soucis et avait réussi à rejoindre Pierro avant que les choses ne dégénèrent de trop. Il s'était alors joyeusement prêté au jeu en distribuant quelques coups ici et là, se défoulant pour la première fois depuis qu'ils avaient été enfermé, attaquant évidemment toujours dans le dos des autres, il fallait pas non plus abuser.

C'est sur un malentendu que Karst perdit la vie. Il avait fallu suffisamment de temps aux gardiens pour s'apprêter à gérer la crise, laissant comprendre au géologue qu'ils ne devaient pas vraiment avoir l'habitude des émeutes, mais une fois l'action lancée, il n'y eut aucun doute sur le fait que le système était suffisamment efficace. Un énorme bruit retentit dans la cantine, le genre de bruit tellement puissant que chacun arrêta ce qu'il était en train de faire, lâcha celui qu'il était en train d'étrangler, cessa de frapper sa victime pour se plaquer les mains sur les oreilles, sans amélioration notable. La panique se répandit parmi les détenus dont le crâne se retrouva scié par les ondes sonores, et dans l'affolement, l'un d'entre eux bouscula durement le vieil homme qui bascula en arrière et s'éclata la tempe contre l'un des coins de bancs de la cantine, le tuant sur le coup.