Elie se laisse couler dans l’étreinte chaude de Tiaan, qui la berce doucement. Elle relève ses yeux éperdus vers lui et renvoie un sourire attendri à sa réponse, puis suit son regard. Les militaires s’éloignent et les laissent en paix. Elle remarque un petit sourire différent de ceux moqueurs qu’abordent les autres ; plus doux, comme touché. D’ailleurs, celui-ci ne participe pas aux murmures incessants. L’espace d’un bref instant, leur regard se croise, elle ourle ses lèvres et il lui répond par un geste de tête imperceptible avant de bifurquer avec ses collègues. « Tu ne vas pas pouvoir faire taire tous ceux qui découvrent que tu es marié, elle glisse doucement en posant à nouveau sa tête contre sa poitrine, le ton joueur. Promis, je ne dirai rien ! » Elle sait Tiaan taiseux, particulièrement discret sur sa vie et sur lui-même. Qu’il ne s’ouvre pas à ses collègues ne l’étonne pas. Elle ne le forcera pas. Ils savent, depuis longtemps, respecter les zones d’ombres de chacun, les silences et les non-dits. Plutôt que de les voir comme des obstacles à la confiance ou des mystères à percer, ils sont devenus au fil du temps, une composante toute particulière de leur relation. Ils se diront les choses, éventuellement, le temps venu. L’image fugace de son enfant lui flotte en tête quelques secondes, sans être une idée vraiment prégnante. Tiaan ne lui parle jamais de son travail, rarement de Keller et de sa famille, ne s’ouvre pas non plus particulièrement sur ses sentiments. Elie le fait pour deux, lui raconte la Terre quand bien même il s’en fiche, brode un portrait incomplet de ceux qu’elle a laissé derrière elle, et autre un poil plus honnête de ce qu’elle a quitté. Parler du vent sur la peau, du goût de la nourriture, de la nuit, du jour, du soleil, des étoiles, des saisons, des fêtes, bien sûr, ça ne veut rien dire pour Tiaan ; c’est une myriade de petites choses qu’on oublie quand on vit sur Terre et qui se rappellent à vous une fois loin d’elle. Et Tiaan, Tiaan est patient. Il l’écoute, sourit, pose parfois des questions.

La tête se tourne du côté de la baie et son regard se perd dans l’immensité de l’epsace à nouveau. Il n’y a rien pour accrocher ses yeux, alors c’est à leur reflet qu’elle amarre ses mires. Ils sont beaux, là, comme ça. « Ce sera comment, à ton avis, Qiang ? » La question sort sans contexte, à peine liée aux pensées calmes qui lui flotte dans la tête. Ils ont rarement parlé du projet de la Flotte de s’installer sur cette planète. Pour Elie, ça lui semble être un projet pour une autre vie, un autre temps. Elle n’angoisse pas vraiment à l’idée de retrouver une planète où s’établir. Mais ça l’interroge : en une vie, elle aura quitté la Terre, vécu dans l’espace pour recommencer ailleurs. Et ça lui parait un peu fou, sur le moment. Est-ce, dans leurs projets encore tous à l’état de rêves, ils se projettent sur cette nouvelle planète. Est-ce qu’il s’y voit ? Il n’a jamais connu que l’espace, après tout. « Je peux pas m’empêcher de l’imaginer comme la Terre, elle ajoute doucement. » Derrière eux, dans le reflet, elle distingue un autre groupe de militaires passer en sens inverse des premiers. Eux sont correctement apprêtés et se hâtant sans s’attarder sur le couple enlacé – sûrement la relève en retard d’un quart. Outre ça, il n’y a que le bruit permanent des machines et l’écho des conversations de ceux qui se trouvent autour d’eux.