Dire qu’elle demeure de marbre lorsque l’inconnue lui fait signe d’aller jouer ailleurs serait un odieux mensonge. Evelyn plisse le nez, peu habituée de se faire rabrouer ainsi, observant la blonde pendant un quart de seconde avec une irritation visible. Elle n’avait certainement pas fait tout ce chemin, tous ces efforts pour retourner bredouille chez elle – ce serait un premier échec et un badge que la vice-capitaine était peu soucieuse d’ajouter à son tableau de chasse. The one that got away. Le contact des doigts de la femme l’apaise un peu, comme si la langueur à elle seule lui promettait que la soirée ne s’arrêterait pas là, tout comme elle la rassure en quelques mots. La surprise des lèvres de l’étrangère contre les siennes, possessives, suffit à la convaincre de ne pas tourner les talons et abandonner la blonde à son sort. « Whatever », marmonne Evelyn, juste assez fort pour que l’autre l’entende avant de s’éclipser hors de son champ de vision.

C’est au bar qu’elle s’installe, peu enthousiasmée par l’idée de dilapider son argent pour rien. Au moins, en achetant un peu de divertissement liquide – sous la forme d'un martini qu’elle engloutit en temps record – elle aurait quelque chose de concret pour son argent. Impressionné par sa descente, ou alors témoin du râteau temporaire qu’elle venait de se mériter, le barman lui offre un autre verre, dont elle avale la moitié, ralentie par la cigarette qu’elle tenait de la main gauche. L’air las, elle alterne alcool et tabac dans un ballet enivrant pour les sens, mais qui a le mérite de passer le temps. En voyant la blonde se rediriger vers elle, elle fronce les sourcils, remarquant l’heure sur son terminal posé sur le bar. Elle avait été partie pour dix-sept minutes à peine, et ne semblait pas regretter ses mises, à voir l’air vaguement guilleret qu’elle arbore lorsqu’elle vient se rasseoir près d’elle. « I sincerely thought you’d never ask », souligne Evelyn, soufflant vers le haut une volute de fumée blanche. « I don’t usually take strangers home. I’ll make an exception, but don’t stand me up again, love. » Derrière le sourire mielleux, un avertissement sincère : si elle la laissait derrière une autre fois, elle disparaîtrait et elle ne serait plus capable de la retrouver. Quelqu’un ferait-il le lien facilement entre la sulfureuse brune fardée de noir et perchée sur d’impressionnants talons et la stoïque, rigide vice-capitaine du Colossus 5? Evelyn en doutait sincèrement.

Elle termine son verre d’une lampée, éteignant ce qui restait de sa cigarette dans la coupe désormais vide, avant d’entraîner la blonde à travers les couloirs du Tiantang. Heureusement, grâce à l’utilisation judicieuse de certains couloirs de service du Regina Mercy, ils arrivèrent promptement devant la cabine de l’ancienne médecin. Elle ne ramenait jamais ses conquêtes chez elle, c’est vrai; or, le risque était maigre avec une étrangère, qui ne connaissait sûrement pas encore les détails du fonctionnement de la flotte, et qui aurait le temps d’oublier la soirée en grande partie avant de devenir réellement à l’aise. L’heure tardive assure que les coursives sont désertes, mais elle pousse malgré tout doucement la blonde à l’intérieur, laissant la porte glisser derrière elles. « Fancy another drink or you’re an all-business kind of girl? » Evelyn ne ferait pas le premier pas, simplement pour se venger d’avoir été laissée pour compte, même pendant un quart d’heure; et puis, c’était plus amusant comme ça. Elle était patiente, presque désespérément, lorsqu’elle le voulait. « You need to tell me what you want before you can get it. »

Evelyn aurait souri de constater qu’elle avait trouvé la limite de la patience de la blonde si cette dernière ne l’avait pas prise de court. Ses yeux se ferment, par réflexe, à l’instant où les lèvres étrangères se fracassent contre les siennes et elle laisse échapper un gémissement qui laisse entendre surprise et désir à la fois, étouffé par la fougue de l’étrangère. Les doigts de la vice-capitaine se glissent d’abord dans la chevelure de l’inconnue, brièvement, avant de se tracer un chemin sur sa nuque, puis ses épaules, d’une tendresse teintée d’envie qui céderait éventuellement sa place à autre chose de moins chaste. La blonde s’écarte et les sourcils d’Evelyn se froncent, la contrariété laissant rapidement place à un amusement dont elle ne se cache guère. « Sweetheart, if I were mad at you, I’d already have disappeared and you’d never find me again. » Elle la nargue, presque, comme si elle lui adressait un défi, profitant de l’instant de latence pour défaire soigneusement les boutons de son chemisier. La vérité était que quelle que soit l’issue de la soirée, l’inconnue n’aurait plus le plaisir de la recroiser de toute manière. Il y avait à la fois art et technique dans le jeu de la nuit sans lendemain, et Evelyn en était la maîtresse incontestée, même si elle n’y puisait ni fierté, ni honte particulières.

Troquant sa douceur froide pour une fermeté doucereuse, Evelyn ravit à son tour les lèvres de l’inconnue, la dirigeant à l’aveuglette jusqu’au lit soigneusement fait sur lequel elle le fait basculer sans cérémonie. Elle y grimpe à son tour, féline, se laisse tenter un instant par la gorge exposée de la blonde avant de se redresser lentement, à cheval sur le bassin de son invitée. Du bout des doigts, la brune effleure les cicatrices qui bariolent la peau pâle de la femme, les suivant comme si elles dévoilaient secrètement des promesses qui ne pouvaient être prononcées à voix haute. La lumière blafarde, tamisée qui filtre depuis l’autre côté de la cloison l’empêche d’en distinguer les détails, mais le mystère ne fait qu’enflammer ses attentes, titille sa curiosité sans la pousser à poser la question. Lente, calculée, elle se défait de son chemisier, puis de son soutien-gorge, envoyant le tout valser dans un coin anonyme de ce qui lui servait de chambre. « You’re just passing by, or have we got all night? » demande-t-elle, offrant enfin à l’inconnue le sourire qu’elle lui réclamait, avare de combler les caprices de la blonde; suffisamment pour lui donner envie de rester, mais pas de s’attarder.

Elle passe ses doigts fins dans ses longs cheveux bruns en bataille, comme pour les remettre en ordre, même si ça relevait davantage du réflexe que de quelque véritable besoin. Le regard fiévreux d’Evelyn se pose sur la silhouette de l’inconnue, détaillant une dernière fois les ecchymoses et les cicatrices avant que les détails ne soient dérobés à sa vue sous les vêtements qu’elle s’affaire à enfiler à nouveau. La blonde lui réclame un briquet et elle acquiesce, tendant le bras dans la table de chevet pour en tirer de quoi griller la cigarette, avant de rejoindre son amante au bord du lit. La vice-capitaine lui décoche un sourire, son visage proche du sien, moins froid qu’il ne l’avait été auparavant. « Don’t you like a bit of mystery, darling? » fait-elle dans un petit rire alors qu’elle remet une mèche rebelle derrière l’oreille de la blonde. Elle allume la cigarette de la femme avant de faire disparaître le briquet dans la pile de vêtements qui jonchait le sol depuis leur arrivée, sans accompagner l’étrangère. Evelyn ne fumait que lorsqu’elle était de sortie, gardant ses vices loin du jugement potentiel de son fils.

« I don’t give out my name on the first date. » Malgré le sourire narquois qu’elle arbore, il n’y a rien de faux dans ce qu’elle avance. « But you’re fun. I like you. » De façon superficielle, comme quelqu’un qu’elle connaissait depuis quelques heures. Il y avait bien quelque chose chez la blonde qui donnait à Evelyn une impression de danger, d’interdit, quelque chose qu’on ne voyait pas sur la flotte. De là à déconstruire le système qu’elle s’était mis en place et qui fonctionnait à merveille… il y avait plus qu’un simple pas. « You can call me Ivy. » C’était suffisamment proche de la réalité pour qu’Evelyn considère qu’elle lui faisait une faveur, même si l’inconnue ne le savait pas. Elle ne le saurait jamais, non plus. Cédant finalement à la tentation, elle tire une longue bouffée de la cigarette de la blonde après lui avoir subtilisé, puis la lui rend aussitôt. Elle se lève, féline, attrapant de quoi se couvrir sommairement pendant que l’inconnue achève de se rhabiller. « Maybe you’ll find me again », minaude-t-elle, dérobant à la blonde un dernier baiser avant qu'elle ne passe le pas de la porte. « But don’t get your hopes up. »

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