一Entre la Terre, Mars et Bethany, Rosa a passé une enfance étourdissante, constamment trimballée de force entre les diverses affectations de sa génitrice. Au moins, jusqu’à ses six ans, elle avait comme pilier son père, compositeur de musique de films, qui travaillait essentiellement depuis la maison; un peu de stabilité dans un univers constamment en changement. Puis, le drame : le divorce. Sa mère s’établit sur Bethany, emportant avec elle sa fillette, et le père dévasté retourne sur Terre. C’est à peine quelques années plus tard que la matriarche décide de fuir, direction la flotte, pour éviter les représailles du nouveau gouvernement – et pour offrir à l’enfant qu’elle porte, fruit de sa nouvelle union, la meilleure des chances.

二 Le seul contact qu’elle aura avec son père, c’est par vidéoconférence, avant qu’ils ne soient subitement relocalisés sur la flotte. Elle pouvait passer des heures entières à discuter, à montrer ce qu’elle avait appris, et lui il l’écoutait avec entrain, jouait quelques morceaux, puis ils devaient couper la communication. Rosa a encore une très grande estime de son père, bien qu’elle n’ait eu aucune nouvelle de lui en 27 ans. Rien ni personne ne lui arrive à la cheville; c’est une idée qui est toujours vive dans son esprit, malgré tout.

三 Avec l’encouragement plus qu’insistant de sa mère, elle entreprend des études militaires sous la tutelle des formateurs de la Fédération. Si ça ne l’intéresse guère, elle se garde bien de le démontrer, de peur que la nouvelle remonte aux oreilles de sa mère et que ça la mette dans le pétrin. Du moins, au départ. La fin de ses études se montre plus houleuse, marquée par diverses désobéissances qui, si elles ne diminuent pas ses chances de réussir à l’Académie, noircissent encore davantage sa relation tendue avec sa mère.

四 Au terme de son éducation, c’est vers la douane qu’elle se tourne, obtenant sans trop de peine un poste de contrôleuse au terme d’un long stage. Lorsqu’on lui demande ce qui la motive, elle répond par des formules toutes faites : l’envie d’aider son prochain, le sens du devoir. En réalité, elle veut être aux premières loges lorsque son père débarquera inévitablement sur la flotte. Les années passent et son espoir ne tarit pas. On lui accorde le rôle de sergente, et ça lui convient; elle voit plus de noms défiler devant ses yeux comme ça.

五 Il y a quelques années que sa relation avec sa mère est froide, sinon inexistante. Si elles se parlent, c’est forcément pour crier, hurler leur mépris réciproque, laissant la demi-sœur de Rosalija entre les deux feux. Elle est réticente à vraiment l’accepter. Après tout, elle n’est le fruit que de la pire moitié du couple qui l’a mise au monde. Elle a eu droit à plus qu’elle, ne serait-ce que parce qu’elle a eu la chance de l’avoir, elle, pour l’élever et la guider pendant que leur mère était trop occupée par le travail. Peut-être qu’elle ne s’en souvient pas beaucoup; ça ne serait pas surprenant. Reste qu’elle a une sorte de dégoût incontrôlable à son égard sans pouvoir se l’expliquer.

六 Elle visait haut, Rosa. Partiellement par espoir de voir un jour le nom de son père s’afficher sur son terminal, mais aussi pour montrer à sa mère qu’elle n’était pas si sotte qu’elle pouvait le prétendre. Une sorte de défiance qui s’est rapidement retournée contre elle. Tout indiquée pour prendre la place du lieutenant de la douane qui se retirait après plusieurs années de loyaux services, c’est finalement une intervention de sa mère qui la recale, la forçant à conserver son poste de sergente. L’affront ne passe pas, d’un sens comme de l’autre, et ce sabotage prémédité de sa carrière plante le dernier clou dans le tombeau de leur relation.

七 Humiliée par le coup bas de sa propre mère, elle change de branche, rejoignant alors les ravitailleurs. Qu’à cela ne tienne - il ne lui faut pas longtemps pour trouver une façon de se venger de la génitrice impitoyable, et bientôt, c’est grâce à elle que les vendeurs du marché noir ont un peu plus de stocks à empiler dans leurs étals clandestins. Elle ne s’en vante pas, forcément. Personne ne sait sauf ses collaborateurs; mais rien que savoir qu’elle parvient quand même à faire des affronts à sa mère lui suffit.

八 Elle a une passion assumée pour le spectacle, Rosalija. Elle aime danser, chanter, et d’aucuns diront que sa propension à toujours exagérer les choses lui vient de sa passion pour le cinéma et le théâtre. Lors de ses premières années à bord de la flotte, elle a même été de la distribution d’un radioroman à succès, une page de son existence qu’elle n’hésite jamais à rappeler à ses proches. Si elle n’avait pas été forcée de suivre un entraînement militaire, elle aurait aimé œuvrer sur le Tiantang.

九 Les risques, elle en a une vague notion, mais pas suffisamment pour les éviter. Grande joueuse, Rosa mise régulièrement sa paye – et bien plus – à des jeux d’argent, pour lesquels elle semble avoir de la chance. Poker, blackjack, jeux de dés divers et variés : elle n’a aucune limite sinon la profondeur de ses poches. Si ça l’a parfois mise dans des situations peu enviables, elle s’entoure généralement des bonnes personnes pour s’en sortir. Autour de la table, cependant, il n’y a aucune amitié et aucune alliance. Rosa joue pour gagner, même si ça veut dire tricher.

十 Il va sans dire qu’elle joue aussi fort qu’elle travaille. Les heures supplémentaires ne lui font pas peur, au contraire. Dépenser tous les crédits durement gagnés dans le bar du moment non plus. Karaoké, fléchettes, cartes et autres jeux de bar sont sa façon de décompresser et de passer du temps avec ses amis, sans compter ce qu’elle peut ingurgiter pendant une seule nuit. Disons que le mal de bloc ne s’améliore pas avec l’âge.