drop the game

Devant lui, devant ses yeux, l'immensité de l’espace; une constante dans un océan de variables; la même vue, même après toute ces années: peu importe sur quel vaisseau il se trouvait, par quelle fenêtre il regardait, les étoiles qu’il observait jadis depuis le sol terrestre étaient toujours là. Il y avait quelque chose de réconfortant à retrouver des similarités dans chaque vaisseau, malgré les différents endroits qu’il avait pu visiter. Finalement, chaque endroit finissait par avoir une forme de familiarité quand on savait où regarder. C’était peut-être pour ça qu’il traînait un peu ce soir dans les couloirs de l’Argus One, cherchant un peu de sens. Après un an sur la flotte, il n’avait toujours pas adressé la parole à son frère et s'était retrouvé au milieu d’une effusion politique qui ne l’intéressait que très peu. Il en venait à se poser des questions: pourquoi était-il vraiment venu ? Était-ce une si bonne idée que ça, après tout ? Il avait encore le temps de partir comme s’il n’était jamais venu; son frère n’en saurait rien. Qui sait, leurs chemins n’étaient peut-être pas supposés se recroiser ici, ou maintenant.

Se torturer les méninges n'apporterait rien, sauf un énième mal de tête dont il pourrait se passer. Mihaly soupira mais ne bougea pas pour autant de sa position, l’épaule appuyée contre la paroi, les bras croisés et le regard fixé sur l’infini devant lui. Il n’avait pas d’obligation; il était libre d’aller et venir comme bon lui semblait, mais surtout, il attendait que Altheia lui envoie un message pour la rejoindre. Son terminal ne signalant toujours aucun nouveau message non lu, Mihaly avait tout le temps de se perdre dans ses pensées. La flotte prenait la direction de Qiang. Jouer au citoyen modèle sur la flotte était tolérable pendant quelques temps, mais il lui faudrait sûrement une bonne raison pour ne pas filer dès la première occasion — une voix le tira de ses réflexions. Mihaly jeta un coup d’oeil sur la brune qu’il n’avait pas vu s’installer, un visage vaguement familier. Une collègue, une opératrice, elle aussi. Il eut un petit rire amusé, laissant naître sur ses lèvres l’ombre d’un sourire, le temps de quelques secondes à peine. Ses hypothèses, bien que fausses, auraient très bien pu être vraies. Il y avait sûrement bon nombre de Stellariens à qui ces histoires auraient pu coller. Mais pas à lui. « Bien essayé. » concéda-t-il. « Mais non. » Il fronça légèrement les sourcils. Impossible de savoir où elle voulait en venir exactement, avec ses questions. Ils ne s’étaient jamais adressés la parole, ou du moins, pas au delà de simples bonjour le matin, et au revoir en fin de journée, s’ils se croisaient. Mais cela avait l’air de l’amuser et il ne comptait pas lui donner une réponse sur ses raisons. Sûrement, cela occuperait.

Il s’autorisa un nouveau coup d’oeil à l’opératrice, détachant éventuellement son regard du paysage pour fixer son interlocutrice avec un peu plus d’attention. Mihaly eut une moue  — à part au travail, il ne se rappelait pas l’avoir déjà vu, à moins que…  « Daisy. » répéta-t-il en observant les traits du visage de la brune, y cherchant une réponse, une confirmation. Le prénom lui rappelait en effet quelque chose, sans qu’il ne parvienne à mettre exactement le doigt dessus. Il fouilla sa mémoire pendant  encorequelques secondes, laissant le silence reprendre sa place. « Du Chancellor? » demanda finalement Mihaly, se remémorant la seule Daisy qui pouvait coller à la jeune femme en face de lui. Pas réellement physionomiste, il y avait des chances pour qu’il tombe complètement à côté de la plaque. Néanmoins, son instinct semblait lui souffler que c’était la bonne réponse. Il l’observa; un sourcil légèrement arqué, curieux; alors qu’elle continuait de manger, l’air imperturbable.

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Visiblement, son instinct avait vu juste. C’était donc bel et bien Daisy Brennan qui se trouvait en face de lui. Il garda les bras croisés sur son torse, en lui jetant un regard. « Quelle chance, alors. » répondit-il, amusé quoique un peu perplexe en même temps, devant sa réaction presque théâtrale. « Je suis ravi. » continua-t-il dans la surenchère, contrastant avec sa mine presque austère. « Je ferais mieux de me dépêcher de l’utiliser, avant qu’on se retrouve complètement paumé sur Qiang. » Une perspective, qui, d’ailleurs, ne l’enchantait qu’à moitié. Mais c’était une toute autre conversation et il ne s’y attarda pas plus.

Les années sur le vaisseau commençait à dater. Pourtant, il y avait toujours une place dans un coin de sa tête pour les gens qu’il avait croisé lors de ses voyages; Daisy faisait parti de ces visages qui existait dans ses souvenirs, sans qu’il n’ait une seconde penser les recroiser un jour. « On peut dire ça comme ça. » lui concéda Mihaly. Il se souvenait d’avoir tenté d’apprendre quelques trucs à Daisy; une Daisy qui n’était pas dans l’optique d’apprendre quoi que ce soit, d’ailleurs. Ce qui était d’autant plus amusant qu’aujourd’hui, ils travaillaient maintenant dans le même milieu. A croire que ses maigres enseignements n’avaient pas été totalement inutiles, et malgré son acharnement à refuser d’apprendre, quelques trucs avaient fini par être mémorisés. « Toujours autant d’humour, visiblement. » nota-t-il, abandonnant sa place contre la vitre pour s’installer en face d’elle, décroisant ses bras.  

Il observa un peu la jeune femme, maintenant face à lui; elle avait évidemment grandi mais n’avait pas tant que ça changé, après toutes ses années. Il esquissa un rapide sourire. « Je le prends pas mal. » Mihaly ponctua sa phrase d’un petit haussement d’épaules. Lui-même ne considérait pas avoir le profil du parfait citoyen stellarien; mais il était quand bien même là, et Daisy de même. Dans ses souvenirs, elle n’était pas non plus le genre de personne qu’on imaginait rejoindre la flotte. Le destin les avaient pourtant tout les deux menés jusqu’ici. « Je pourrais te dire la même chose. La vie sur le Chancellor ne te convenait plus ? » Il pouvait comprendre, en revanche, l’envie de ne pas passer sa vie sur le même vaisseau. Mais échanger sa vie de pirate, contre une pseudo-sédentarité, restreinte aux limites de la flotte… C’était un choix curieux. « J’avais des choses à faire. Des choses personnelles. »  expliqua-t-il simplement. Cela ne calmerait sûrement pas la curiosité de l’opératrice, mais c’est tout ce qu’elle obtiendrait de lui pour l’instant. Il n’avait aucune envie de s’attarder des heures sur le pourquoi. « Comment va ton père, au fait ? » S’il se souvenait rapidement de Daisy, il se souvenait un peu plus dans le détail du paternel de la jeune femme. Il n’avait pas vraiment chercher à avoir des nouvelles de l’homme; après tout, il s’agissait uniquement d’une relation strictement professionnel et n’avait pas pour habitude d’envoyer des lettres régulières à ses anciens employeurs; mais tant qu’il avait Daisy sous la main, pourquoi ne pas en savoir plus sur ce qui avait pu se passer depuis le temps.  

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La flotte était remplie de souvenirs alors même qu’il n’y avait jamais mis les pieds avant l’année qui venait de s’écouler. Il y avait son frère, d’abord; et avec sa présence dans les couloirs venaient son lot d’images du passé, leurs premières années sur Terre, les bons moments et les plus mauvais. Il y avait maintenant Daisy — une autre époque qui lui revenait en lui parlant. « Je vois ça, oui. Il y a des choses qui ne changent pas. »  

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. « Envie de quitter le nid et voler de ses propres ailes. Je connais. » commenta-t-il. Après tout, n’avait-il pas été pareil, il y a longtemps ? Lorsqu’il a quitté ses parents et la Terre, c’était tout simplement pour les mêmes raisons. Une envie d’indépendance, de ne pas suivre le chemin qui lui était prévu mais prendre un autre, pas forcément tracé. Il avait fait des tours et des détours pour arriver jusqu’à son but; mais s’il regrettait certains événements sur le trajet, il ne regrettait pas d’avoir suivi ce désir d’indépendance. Mihaly comprenait pleinement la plus jeune, donc. « Personnelles dans le genre qui ne regardent que moi. » fit-il, avec un sourire amusé. « Ca aurait été trop facile s’il avait suffi de ça pour savoir, tu crois pas ? » Il ne connaissait pas assez Daisy pour se laisser aller à quelques confidences. Personne ne pouvait savoir à qui elle pourrait bien répéter les choses qu’elle apprendrait — et certaines choses ne devaient pas tomber dans certaines oreilles. Il les gardait donc précieusement pour lui, Daisy pourrait insister, elle ne les apprendrait pas de si tôt.

Visiblement, il aurait peut-être dû se tenir un peu plus au courant des allées et venues de certains pirates; Mihaly fronça un peu les sourcils. « Non, je suis pas au courant. » Peut-être avait-il passé trop de temps perdu au fin fond de l’espace et qu’on avait oublié de le mettre au courant; ou bien il était arrivé à un moment où la nouvelle n’était plus tellement fraîche, si bien qu’on pensait tout le monde au courant, au moins de ne plus le mentionner. Ou alors, on lui avait glissé au détour d’une conversation mais Mihaly n’avait pas jugé important de le retenir. Le résultat, au final, était le même: il l’apprenait maintenant, directement de la bouche d’une Brennan; pas déformée par les ragots et les on-dit. « Oh, je vois. Au moins on vous a pas pris votre vaisseau. » Sans doute qu’ils auraient pu être punis plus durement pour leurs actions et priver tous les Brennan du Chancellor; même si le père ne passait sûrement pas un excellent moment non plus.  Il devait alors sûrement être ici, sur le Lady Grace, la seule prison spatiale à sa connaissance. Peut-être s’agissait-il alors de la vraie raison de la présence de Daisy ici; pour garder un oeil sur le patriarche, malgré tout. Ou alors, il s’agissait de deux choses non liées et il se fourvoyait complètement. « Pas envie de jouer au capitaine sur le Chancellor ? Pourtant, niveau indépendance, capitaine, c’est plutôt pas mal. » Avec un vaisseau, on était libre d’aller où l’on voulait, comme on le voulait. Parfois, ce n’était pas l’envie qui lui manquait de filer avec un vaisseau — mais les potentiels ennuis auxquels il s’exposerait en faisant cela n’en valait pas la chandelle, cette envie resterait donc inassouvie.

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Il voyait bien ce que Daisy cherchait à faire, grattant à tous les endroits possibles pour déceler une petite ouverture, un début de confessions. « Un nid peu intéressant pour toi ? » fit-il avec un sourire amusé. Mihaly connaissait trop bien ce genre de technique pour tomber aussi bêtement dans le panneau et il lui faudrait beaucoup plus qu’une simple conversation au détour d’un couloir du vaisseau pour baisser sa garde. Il haussa les épaules. « Je t’assure, c’est pas très passionnant. Pas envie de t’ennuyer à mourir tout de suite. » Le début de son histoire était des plus banales. Il y avait sans doute bon nombre de Stellariens du même âge que lui — et même plus jeune — ayant un parcours similaire: un jeune, à peine sorti de l’adolescence, avec beaucoup trop de rêves et d’idéaux qui ne peut pas se contenter ce qu’il a sur terre, toujours à la recherche de plus. Des histoires comme ça, il y en avait sûrement à la pelle. Daisy connaissait sûrement la chanson; pas besoin de s’attarder des heures. Mais son silence et son insistance à esquiver les questions finirait par avoir raison de Daisy et à la frustrer.  « Oh, vraiment ? C’est une menace? On verra bien. » Il répondit sur le ton de l’humour, lui aussi. Mais s’il pensait qu’il plierait si facilement, elle allait être rapidement déçue. Mihaly osait penser que s’il en était là aujourd’hui, c’est qu’il savait quand même garder un minimum de choses pour lui même sans craquer aux questions de la première jeune fille un peu trop curieuse.  

Ou était-il ces huits dernières années ? Visiblement, pas dans un coin de l’espace assez proches pour subir toutes les retombées de l’arrestation du patriarche Brennan. Il leva un sourcil un peu curieux et surpris à l’explication de Daisy. « Eh bien, perdu dans un des recoins de l’espace, je suppose. » Mihaly hocha un peu la tête; un des enfants Brennan se trouvait sûrement à la tête du Chancellor, à présent et étant donné la présence de Daisy devant lui, il n’y avait pas trop de doute sur l’identité du capitaine actuel. « Je vois, pas de chance, quand même. » C’était un euphémisme, clairement. « Mais tant mieux pour le Chancellor. Un vaisseau pareil, ça aurait été dommage de le perdre. » Mihaly était peut-être seulement opérateur radio, il savait apprécier un bon vaisseau quand il en voyait un. Il avait vu un sacré lot de vaisseaux et le Chancellor s’en détachait largement, par sa mécanique comme par son équipage.

Il avait donc raison : c’était bien le frangin qui avait prit en main le fameux navire. « Mieux vaut laisser aux autres le poids de prendre les grandes décisions, ce genre de chose. » Mihaly pouvait comprendre la réticence de Daisy à prendre le contrôle du navire, mais aussi de la réputation qui allait avec. Beaucoup trop de choses à porter, sans aucun doute.

Mihaly marqua une pause avant de répondre, passant ses doigts sur son menton et sa barbe. « Non. » finit-il par répondre après quelques secondes. C’était la première vraie réponse qu’il donnait à Daisy depuis ce début de conversation — c’était peu, mais Daisy allait sûrement se réjouir d’en savoir un peu plus et n’aurait pas le sentiment d’être resté sur sa faim, sans avoir aucune réponse à ses questions. Ainsi, peut-être, sa curiosité serait assez satisfaite pour un moment du moins. « Je suis venue avec une amie. » Ou plutôt, Altheia était venue avec lui. Si c’était elle qui l’avait convaincue d’aller retrouver son frère, c’était lui qui avait fini par la convaincre de le suivre. Une décision qui semble parfois peser à la jeune femme — et il comprenait parfois cette envie de retourner à cette vie sans attache qui était la leur auparavant. « Juste une amie. » précisa-t-il, devançant la question que Daisy aurait pu poser. Mihaly s’autorisa un petit sourire amusé.  

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Mihaly afficha un petit sourire amusé, comme lançant un défi à l’opératrice. « Hâte de voir tes talents dans le renseignement, alors. » Il aimait bien rester un mystère, une énigme, mais il était aussi curieux de voir jusqu’à quel point Daisy irait pour en savoir plus. Etait-ce seulement un simple passe-temps pendant qu’elle finissait son repas ou bien y avait-il une réelle curiosité qui la pousserait à vouloir fouiner un peu plus ? Seul le temps le dirait, supposa Mihaly. Il pouvait penser à toutes les éventualités, seule Daisy connaissait réellement la réponse à cette question. Il ne pouvait que formuler des hypothèses et espérer qu’elle ne gratte pas trop pour dépasser la surface. Certaines choses étaient enfouies et c’était sans aucun doute pour le mieux.

Finalement, toute agitation autour du Chancellor avait poussé Daisy a quitter le vaisseau pour prendre son propre chemin. Un mal pour un bien — dommage pour son père qui finirait sûrement ses jours dans sa cellule du Lady Grace, mais tant mieux pour la jeune femme. « J’en conclus que t’es venue seule, je me trompe ? » Mihaly l’imaginait mal venir avec quelqu’un sur la flotte, surtout si elle venait pour un plus grand besoin d’indépendance. Il pourrait être surpris, bien sûr, mais son intuition lui paraissait bonne. « Satisfaite de tes découvertes, alors ? » Il ignorait depuis combien de temps la brune avait rejoint la flotte; mais au bout d’un moment, le potentiel découverte devait arriver à sa fin, surtout dans un endroit aussi fermé.

Jalouse — il n’avait pas songé qu’elle puisse interpréter sa phrase ainsi et marqua une petite pause, un peu pris de court avant de se reprendre rapidement. « Et voilà, mon plan vole en éclats. » Mihaly eut un rire; loin de lui l’idée de réellement draguer l’opératrice — et ce bien que la jeune femme soit en effet plutôt jolie et il ne soit pas aveugle, mais ce n’était pas réellement son optique ni même ce qu’il recherchait. Néanmoins, le hongrois décida d’offrir quelques réponses à l’opératrice. « Extractrice. » D’ailleurs, il savait que son frère travaillait là-bas aussi. C’était même le supérieur d’Altheia. C’était un bon moyen, en somme, d’en apprendre plus sur lui sans trop s’approcher. Mais il ne mentionna pas cette information à Daisy; il n’avait pas fait mention de famille jusqu’à présent et comptait bien que les choses restent ainsi. Bien qu’il ne soit pas très compliqué de trouver la présence d’un deuxième Cabrero sur la flotte, en cherchant un peu. « Mais je crois pas que ca lui plaise vraiment. En fait, je suis même pas sûr que la flotte non plus lui plaise réellement. » ajouta-t-il avec un haussement d’épaules. Il en venait parfois à demander s’il se lèverait un matin pour voir qu’elle avait disparue pour retrouver sa liberté d’avant. Mihaly se sentait presque coupable de l’avoir convaincue de le suivre jusqu’ici.