La soirée s’annonçait agitée. Cela faisait bien longtemps que Pavla n’avait pas vu le bar aussi rempli et pour cause, un équipage entier de pirates venait de revenir d’une prise particulièrement juteuse. Aussi, ce soir, l’alcool coulait autant que les crédits s’amoncelaient et que les ardoises ne se creusaient indubitablement.
La brune ne chômait pas, trouvant à peine le temps de souffler entre deux allers-retours plateau vide, plateau plein. L’effervescence de la nuit la transformait en une tornade miniature sans la rendre moins austère qu’à l’accoutumée, à croire qu’il y avait des traditions auxquelles l’employée ne dérogeait pas même en cas de forte affluence. Pas le temps de se répandre en politesses ou en futilités de toute manière, il y avait bien trop de gosiers assoiffés pour ça. Pavla avait cessé de compter les tournées depuis un moment déjà, ses mains servant dans une chorégraphie presque robotique les boissons pendant que ses jambes s’activaient dans une valse qui la menait d’une table à une autre sans trop réfléchir. Le mode automatique, une belle invention du corps humain.
Au détour d’un recoin de la taverne galactique, au beau milieu du vacarme, des rires tonitruants et des insultes qu’on se jetait comme autant de tapes amicales dans le dos, la bouille de Jesper sortit du lot. Un client récurrent, des fossettes familières et un regard trop enthousiaste pour elle, il était devenu peu à peu une figure de son quotidien et ce sans vraiment attendre un seul signe d’acceptation de la part de la fille d’esclaves. Pavla était d’ores et déjà prête à trouver une excuse pour ne pas se laisser distraire par ce phénomène ambulant dont elle connaissait les talents pour la détourner du droit chemin, mais le destin semblait avoir dicté que la serveuse ne méritait apparemment aucun répit ce soir.
Pour changer, il s’était encore mis dans de beaux draps ; si la minute d’avant, tout allait bien, voilà que maintenant, un des pirates les plus musclés et les moins sobres commençait à parler un peu trop fort pour que l’ambiance restât cordiale entre les deux hommes. L’un des premiers souvenirs de la jeune femme le concernant lui revint à l’esprit – c’était un de ces soirs où il avait failli se retrouver en bien mauvaise posture emplâtré par un pilier de comptoir trop éméché. Et à chaque fois que se répétait ce schéma cyclique, Drake faisait toujours en sorte de choisir la carrure la moins faible de tout l’établissement, comme une sorte de coïncidence volontaire – comme si ce n’était pas déjà assez problématique comme ça, autant rajouter une couche supplémentaire d’ennuis en perspective.
Pavla déplorait cette inconscience et malgré tout elle ne parvenait pas à rester hors du cadre, impassible et surtout passive. Le laisser se faire casser la gueule n’était pas plus dans ses intérêts que dans ses intentions et elle avait d’ailleurs encore bien du mal à comprendre ce qui la motivait tant à se soucier de lui. Quoiqu’il en fut, une fois n’était pas coutume, l’Astoriane traversait la foule plateau sous le bras pour foncer droit sur le trentenaire dont le sourire trop prononcé devait déjà lui valoir des attaques de la part du gros molosse. Avec un peu de chance, ce bêta devait penser qu’il se payait sa tête. « Jesper ! » Le menton des badauds alentours se tourna, vaguement jaloux du principal intéressé. Déjà le bras droit de la barmaid s’enroulait autour du sien comme un boa autour de sa proie tandis qu’elle l’entraînait l’air de rien vers le bar. Lorsque son visage se tourna vers Jesper, ses lèvres s’étaient étirées dans une drôle de grimace et dévoilaient quelque chose qui ressemblait à une moue crispée qui semblait dire ne commence pas. « T’as pas prévu de t’embrouiller avec qui que ce soit cette nuit, mh ? » Le ton était jovialement désapprobateur, sinon assorti à la poigne avec laquelle elle l’emmenait dans son sillage.
De retour au refuge que représentait le bar principal, Pavla poussa un profond soupir – ponctuation majoritaire de ses rares tirades –, étouffa la toux légère qui menaçait de la saisir d’un raclement de gorge avant de finalement fixer brusquement son interlocuteur, les deux mains posées à plat. « Qu’est-ce que je peux te servir ? » Elle sortit un grand verre vide qu’elle posa sur le comptoir et pressa le premier bouton du robot doseur à côté d’elle, une longue rasade de mousse bleu électrique jaillissant d’un des tubes de la machine. Pavla accorda un regard on ne peut plus méfiant à la boisson qui continuait de se déverser sans en penser moins. Décidément, les substituts d’alcools terriens que la Flotte tentait de vendre en guise d’apéritifs légaux étaient de plus en plus foireux.
(c) DΛNDELION
Sujet: (#) Re: they got me doing bad things | jesper Mer 28 Fév - 23:08