« Albatross au poste de contrôle. » Il avait répété ces mots plus d’une vingtaine de fois de la journée, la voix monotone, les mots sortis mécaniquement. Cette fois néanmoins c’était la dernière fois qu’il s’annonçait bon à amarrer. Malgré la fatigue, la fin de son service donnait un dernier élan d’énergie au pilote qui s’était annoncé avec enthousiaste. La réponse est presque immédiate. Ethan reconnaît aussitôt la voix de Rosalija et ce malgré la qualité désastreuse de sa radio. Inconsciemment il accélère jusqu’au colosse de fer pour s’assurer qu’il ne la manquerait pas, de peur qu’elle soit accaparé par un autre vaisseau. Alors qu’il entre sur le quai attitré, il empresse ses voyageurs à quitter rapidement l’Albatross via l’interphone de son vaisseau, prétextant une maintenance urgente. Une excuse dont il ne se laissait pas parce qu’elle marchait à chaque coup. A peine les portes ouverte qu’il peut voir depuis sa cabine de pilotage le quai en contrebas se vider des stellariens, finalement tout aussi pressé de vaquer à leurs occupations.

Les moteurs s’endorment dans un dernier grognement quand la douanière apparaît subitement dans la cabine. Ce qui ne déplaît pas au blond qui n’avait pas à courir après elle comme prévu. L'appellation de son nom et son air renfermé ne le surprend pas. A l’image d’Ana, dès que les deux jeunes femmes portaient l’uniforme, elles devenaient conditionnées par des principes un engagement qui échappait totalement à Ethan. « Si seulement tu pouvais me donner plus d’ordre de ce genre. » Il obéit surprenamment vite, levant son bras pour renverser un bouton au-dessus de sa tête qui coupe les communications. Si elle prend place sur le siège du co-pilote, le blond, lui, se relève aussitôt en ne supportant plus d’être cloué sur son siège. « Parfait, fallait aussi que j’te vois. » Il frappe dans ses mains, aussi enthousiaste que concerné. A aucun moment il semble soucieux du sujet que Rosa veut aborder. Encore moins de savoir si ça avait à faire avec une quelconque histoire personnelle. Ils avaient abandonnés depuis longtemps les échanges de banalité lorsqu’ils se rencontraient.

Le blond s’humecte les lèvres alors qu’il s’apprête à aborder le sujet en question. A vrai dire, il est persuadé qu’ils doivent parler de la même chose. Ils pouvaient parler que de ça, après tout. Des affaires. Surtout pas de ce qui c’était passé l’autre soir. « Il faut que tu convaincs Krishvin de me renvoyer sur Keller. Ca va faire plus de six mois que j’ai pas été en mission avec vous. On a plus de stock et j’ai un liste de commande longue comme le bras. » Plus que six mois à vrai dire. Sa dernière expédition remontait à quelques jours avant qu’il se fasse surprend par la milice avec son dernier chargement. Depuis son séjour avec Lady Grace, le lieutenant des douaniers émettait une certaine réserve à renvoyer l’ancien pirate sur Keller. Avec raison, Ethan devait gagner sa confiance, redorer son blason et montrer qu’il était indispensable. Car à l’inverse, il était indispensable pour Ethan de retourner sur la station pirate.

Après quelques pas en rond dans l’étroit cockpit, il vient s’appuyer contre le dossier de son siège. « J’pense avoir de nouveau un deal avec Perrault et il pourrait nous rapporter gros. » Le trafiquant semble insatiable. Irraisonnable. Ni les condamnations, ni les menaces ne semblaient le faire flancher assez longtemps pour qu’il arrête totalement. Mais au-delà de ça, ce qui semblait réellement le motiver c’était ce nous, qu’il répétait. C’était leur trafic.

Non.

Ethan était un gamin chez qui le non ne voulait rien dire. Il y avait toujours un moyen de détourner un non. Argumenter, voler, mentir, s’enfuir. Un art multiple qu’il avait affiné avec les années. Non, ne voulait rien dire quand ça ne l’arrangeait pas. Ce qu’est en train de dire Rosalija, était pire que pas arrangeant. « Comment ça, non ? » Qu’il demande, d’abord surpris. Il est inquiet, il s’imagine toute sorte de scénario mais aucun qui met Rosa en cause. Peut-être que leur deal venait de tomber à l’eau, peut-être qu’on l’avait pris la main dans le main sac, peut-être qu’elle était mutée ailleurs. Rien qui ne pouvait pas être arrangé.

Sauf qu’elle refuse de le regarder. Le sang lui monte au visage. « Comment ça, non ? » Qu’il répète pour lui faire cracher le morceau. Il comprend que ça n’a rien de tout ça et que le problème vient d’elle sans même avoir eu plus de détail. Le blond agrippe le dossier du siège contre lequel il était appuyé, crispé, dans l’attente d’une explication valable. Ou d’une blague. Il aurait tellement préféré une blague. Il l’écoute, demeure silencieux alors que son visage se transforme sous l’ahurissement de ses excuses. Il agite lentement la tête négativement, la bouche bée. Un sourire monte doucement à ses lèvres avant de rire jaune. « C’vraiment Lady Grace qui t’inquiète ? Il n’en croyait pas un traître mot. S’il voulait bien entendre les inquiétudes d’Anastasia, il entendait difficilement celle de Rosa. Tu t’es jamais dit que c’était tout cet endroit qui était toxique pour moi ? Que… » Le blond se mord les lèvres. C’était un autre sujet qui allait éclipser le principal sujet. Et il n’avait surement pas envie d’aborder la question.

A peine ouvre-t-elle de nouveau la bouche qu’il la coupe sans entendre ce qu’elle avait de plus à dire. « Attendre… Qu’est-ce que t’essayes d'me dire à la fin ? Tu quittes ? Tu te casses ? Il serre la mâchoire, contient son ton qui menace d’exploser. Ça marche pas comme ça, sergent. Tu peux pas aller et venir selon ton humeur comme sur ce putain de vaisseau. On prend pas de foutu pause dès qu’on a les nerfs à cran. T’as pensé à moi deux minutes ? Dans la merde monumentale dans laquelle tu me mettrais ? » Ce n’était pas comparable à Keller ou le reste de l’espace. Là où un client mécontent pouvait mettre fin à tes jours. Néanmoins, tout ce qu’il avait bâti jusque-là, confiance, réseaux, arrangements… Tout ça, partait en fumée sans la moindre de chance de recommencer.

Elle assure faire ça pour lui. Elle assure ne pas vouloir se retirer. Juste d’attendre. Le ton modéré de la douanière réussit à faire entendre raison Ethan. Pas le calmer pour autant. Il voulait bien lui donner raison, la croire. Jamais après toutes ces années elle s’était montré égoïste et encore moins peu fiable. Si elle exprimait ses doutes maintenant, c’est qu’ils ne pouvaient pas s’y prendre comme d’habitude. Après tout, elle connaissait mieux ce monde de politique lui. On attend. « Attendre... Attendre mon cul. » Qu’il râle dans sa barbe alors qu’il lâche son siège pour se remettre à tourner en rond dans la cabine. Il détestait cette solution, mais elle semblait malheureusement être la seule. Si eux n'attendent pas, les autres eux le feront. Krishvin ne s’engagerait pas à le reprendre dans l’équipe si la politique allait changer.

Ethan cesse son cirque. Il inspire bruyamment, tente de redescendre de sa crise impulsive. Peut-être qu’elle n’était pas fautive, peut-être qu’elle avait raison. Et peut-être même qu’elle venait de lui sauver les fesses en venant ainsi l’affronter. Chose qu’il avait du mal à considérer aujourd’hui. Le kellari détestait vivre dans l’incertitude. « Deux semaines, sergent. On reprend les affaires dès que le résultat de ces putains d’élections tombe. Le soir-même. » Finit-il par lâcher, exigeant mais convaincu malgré tout. Il rassemble ses quelques affaires et ordonne à Charlie de verrouiller les commandes et d’ouvrir la soute par laquelle il s'apprêtait à sortir. Il se tourne vers elle avant de quitter la cabine. « Je parle aux clients. Toi tu t’assures qu’aucune bouche ne l’ouvre d’ici-là, tu payes de ta poche s’il l’faut. » Attendre ne voulait pas dire rester passif. Bien au contraire. C’était un jeu d’équilibre périlleux que de mettre en pause un commerce. C’est amer qu’il conclut tout de même. « Tu comprendras p’être mieux combien ça coûte d’attendre. » Avant de laisser son vaisseau en plan.