La barbe épaisse et drue talonnait les poils de son torse tout aussi revêches. Il avait le visage baissé, les yeux clos, les lèvres ouvertes et y coulait un déshonorant filet de bave. Il était assis à même le sol et son dos prenait appui sur un vaisseau quelconque aux couleurs jaunes vieillissantes, un affreux mélange de rouilles, de couleurs ternes et partiellement oubliées. Seuls les étoiles savent comment la main gauche de notre homme parvenait à tenir, immobile, fermement accroché au col de sa chemise pourpre sans subir les effets d'une quelconque gravité : mais reste-t-il qu'il était assoupi, que sortait de sa gorge un caverneux son dissonant pendant que de fines gouttes de bières tombaient par accoue de sa barbe.
Quelques minutes plus tôt, notre homme était éveillé quoi qu'un peu hagard, il peinait à terminer sa nuit et les yeux ne s'ouvrant qu'à peine, il avait remarqué que dans sa main droite trônait une fière bouteille de Xingji durement entamée par la nuit. Il en avait bu quelques lapées pendant que s'écoulait, entre ses lèvres et la goulot de la boisson qu'il tenait fébrilement, quelques gorgées pour arroser sa barbe. Une fois chose faite, il avait abandonné l'arrière de son crane contre le métal du vaisseau et sa main aux caprices de ses songes. Il avait fermé les yeux et la bouteille d'alcool s'était alors écoulée peu à peu sur le sol du Colossus 5 pendant qu'elle roulait lentement jusqu'à ce que l'inertie cesse.
Puis elle avait crié.
« Sacré fils de pute de raclure d'SDF de tes putains de grands morts. »
Lui avait ouvert les yeux difficilement, son visage s'était agacé de ce réveil impromptu de telle façon à ce qu'une moue s'était immédiatement vue recouvrir ses traits. Ses sourcils s'étaient froncés, ses lèvres éprirent d'un rictus disgracieux et il était allé d'un de ces étranges reniflement signe d'un bien désagréable embêtement. Peu à peu, s'habituant à la lumière artificielle inondant le Colossus 5 en cette bien étrange matinée, notre homme avait pu, finalement, voir celle qui avait aux lèvres quelques relent de haines.
Elle était à terre et l'on devinait aux traces d'alcool répandues sur le sol et à la forme que ces dernières avaient prises autour d'elle que celle-ci s'était, ma foi, bien lamentablement échouée dans les restes d'une bière de bien piteuse qualité. Bien évidemment, cette dite dernière était Moira Amarani et dans sa chute, la pilote avait également fait tomber Charlie au milieu de ce breuvage. Elle avait alors conjugué une avalanche d'insulte en voyant l'homme avachi contre le vaisseau tout en s'essayant, péniblement, à se relever pendant qu'elle tentait d'attraper du bout des doigts un Charlie qui avait glissé apparemment un peu trop loin.
« Mais t'as pas une fonction pour sauter dans ma main sale technologie de rats ? Bouge-toi ! »
Par dépit, elle fini par poser une main au sol contre le liquide froid de la Xingji afin de parvenir à prendre appui quelque part et de tendre son autre main jusqu'à l'objet convoité. Pendant ce temps, notre homme, lui, avait levé sa tête face à la situation burlesque se présentant devant lui : de telle sorte à ce que les poils de sa barbe s'étant entremêlait plus tôt avec ceux de son torse ne lui tire, en s'arrachant, une expression désagréable sur le visage. A cause de sa situation, Moira s'était alors fendue d'une nouvelle plainte vulgaire pendant que lui avait poussé un grognement devant la douleur. Ce à quoi elle n'avait su rétorquer autre chose qu'un « Toi, ta gueule. » à sa destination sans véritablement réfléchir à la portée de ses mots et au poids de ses conséquences.
Nilin pianote agressivement sur son terminal, la tête baissée, se laissant guider simplement par l’habitude d’arpenter les corridors du Colossus. Même si elle n’est pas encore totalement capable de s’y diriger les yeux fermés, elle commence - au bout de sept ans - à avoir une carte qui s’affiche instinctivement dans sa cervelle pendant qu’elle marche. Elle sait, par exemple, que si elle tourne à droite au prochain carrefour, elle arrivera dans un cul-de-sac avec seulement quelques cabines. Par contre, à gauche, c’est le chemin qui mène à sa propre couchette. Et pour une fois, elle est presque pressée d’y parvenir. Sans doute que le fait d’avoir dû materner des nouveaux apprentis l’a plus épuisée qu’on ne le dirait. C’est vrai qu’elle a les traits tirés, ceci dit. Sauf que la Martienne a toujours l’air survoltée, quand elle n’est pas en train de simplement dévisager ses interlocuteurs en tentant de se demander ce qui se trame dans leur tête. Les gens, surtout les Stellariens, sont difficiles à comprendre pour elle ; au moins à l’époque où elle ne traînait qu’avec des pirates, elle savait à quoi s’attendre d’eux. Les motivations d’un Kellari sont assez faciles à comprendre, par exemple. Dans leur voie, les seuls choses qui importent sont le pouvoir, l’argent, ou la puissance de feu. Sur la Flotte, les mécanismes sont différents. Et si son psy tente de lui faire comprendre que dans le fond, le fonctionnement n’est probablement pas si différent, c’est tout ce qu’elle voit. C’est un peu ça le problème avec Nilin : elle se focalise toujours sur ce qui ne va pas.
C’est le flot d’insultes qui la coupe dans ses calculs complexes. Elle s’arrête sèchement, lève la tête, penche le corps vers l’autre couloir d’où semblent émaner les vociférations d’une femme. N’importe qui aurait continué sa route. Elle, elle a toujours été attirée par les problèmes. Ethan dit que c’est parce qu’elle n’a pas d’instinct de survie. Elle préfère dire que c’est parce qu’elle sait qu’elle peut les gérer. En règle générale, évidemment. Sale technologie de rats. Un sourcil se hausse. « Je me sens vexée. » La voix désincarnée de Charlie se manifeste avec un ton un peu boudeur. Elle tapote l’écran du terminal pour l’empêcher de réitérer. Ceci dit, à sa place, elle se serait sentie froissée aussi. Sauf que ce n’est pas tellement indiqué d’offenser une Martienne. Surtout Nilin, à dire vrai. La jeune femme glisse le terminal dans sa ceinture en s’avançant, percevant un distant « toi, ta gueule » qui lui arracherait presque un sourire amusé. Sauf que ses yeux, s’habituant à la pénombre de cette nuit artificielle, discerne une masse de cheveux roux et un type qui se redresse, visiblement mécontent de se faire malmener verbalement. Elle est trop loin encore pour sentir l’alcool dont il est imbibé. Par contre, plus ses pas s’enchaînent, plus deux choses deviennent évidentes : ça pue le Xingji et cette rouquine, elle la connait. Ce qui n’est jamais, jamais une bonne chose chez les pirates. « Amarani », qu’elle siffle de surprise. Sa voix couvre à peine le mélange entre le beuglement et le grognement que fait le barbu en tendant un majeur vers la pilote. « Toi, on t’a dit de la fermer ! » Et quand il porte son regard sur elle, visiblement peu conscient des ennuis qu’il pourrait s’attirer, elle soutient ses yeux voilés. Les embruns alcoolisés lui retournent l’estomac. A moins que ce ne soit la rancœur qu’elle a envers Moira qui ne décide de se manifester comme ça. En d’autres circonstances, elle ne lui aurait même pas adressé la parole. Parce qu’elles ont une vieille affaire toutes les deux, un contentieux qui a le don de la faire enrager en silence quand elle se le remémore en vitesse. Nilin supporte très mal de se faire surpasser. Par qui que ce soit. « J’ai aperçu un milicien tout à l’heure. J’pense pas que ça soit indiqué de souiller les parties communes comme ça. » Dans une autre vie, elle aurait juste allumé son couteau-laser pour l’intimider. Sauf qu’ici, à trop chercher la merde, on se retrouve avec des rencards interminables sur le Lady Grace.
« Tu schlingues, Amarani. » Elle fronce le nez, croisant les bras sous sa poitrine. La Martienne ne se sent pas menacée par l’alcoolique derrière la rousse. De manière générale, il n’y a pas grand-chose qui la fait frémir d’appréhension. « Ils acceptent vraiment n’importe qui ici. » Elle parle pour elle et pour Ethan, acceptés malgré leur passif. Et aussi pour la pilote. L’autre grogne quelque chose. « Ouais, n’importe qui. » Nilin roule des yeux à l’attention du barbu. Les standards pour devenir Stellarien ne sont vraiment pas assez élevés.
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Dim 28 Jan - 4:06
