Est-ce qu’ils allaient réellement trouver une planète sur laquelle se poser ?

Cette question repassait en boucle dans sa tête alors qu’il contemplait le plafond de la cabine. Il n’était pas encore l’heure de se lever et d’aller sur les quais d’embarcations mais il ne trouvait pas le sommeil. Les insomnies étaient fréquentes ces derniers temps. Trop à son goût. L’ennui du train-train quotidien qui s’était installé mettait à mal ses nerfs. Avait-il fait une connerie en venant sur la Flotte ? Quand bien même cela était leur meilleur espoir il y a dix ans de cela pour découvrir de nouveaux systèmes et s’éloigner de ces colonies fantômes remplies d’esclaves : il n’en restait pas moins que sa vie de pirate lui manquait. Voyager où ils voulaient ; être mauvais ou bon et juste : il n’y avait jamais un jour qui se ressemblait. Et c’était ça qui était le plus extra ! Bien que les rentrées d’argent ne fussent pas constantes : c’était une vie qui lui plaisait. Probablement car elle avait été comme ça depuis les premiers jours. Syjad tourna sa tête pour regarder Orson qui dormait encore à côté de lui. Aucun doute que son bras droit le suivrait jusqu’au bout du monde, de la galaxie. Il avait brièvement entendu le fait que les membres de l’équipage qui ne souhaitaient pas venir sur la flotte avaient tenté de le recruter. Il n’avait pas été surpris ou bien étonné d’apprendre qu’il avait refusé. Etait-ce pour autant une bonne ou une mauvaise décision ? L’embarquer lui et les autres dans cette aventure qui avait maintenant une décennie ne remettait-elle pas en cause son aptitude à être capitaine ? Non. Probablement pas. Sans quoi il aurait perdu son titre. Mais une part de lui doutait. Il ne savait plus réellement. Avec son compagnon de route, ils parlaient souvent de cette décision, de cette envie de partir avant de se ranger du côté rationnel.
Énervé de ne pas retrouver les bras de Morphée, il se leva pour enfiler son bleu de travail et sortit de la chambre pour se mettre derrière les commandes du Wūtuōbāng. Il attrapa son termina et se mit à chercher une réponse à cette question : demandant à Charlie de l’aide quand il n’était pas certain du sens des mots. Elara avait fait un bon travail en lui apprenant à lire et en lui apprenant des choses dont il n’avait jamais soupçonné l’existence ; mais il restait des lacunes à combler. Syjad nota rapidement qu’un nom revenait de temps à autre : Inoe Naynd. Un astrophysicien. Il n’en fallu pas plus pour décider d’aller parler avec ce scientifique. Il partit en premier travailler, sans attendre Orson ou les autres. Au point où il en était : autant servir à quelque chose au lieu de ruminer.

A la pause déjeuner, il ne perdit pas non plus de temps. Commandant son plateau d’avance à Charlie, c’est vers l’Hélios qui se dirigea. Syjad faisait quelque peu tâche avec son uniforme tâché autour de ces scientifiques mais il s’en moquait. Tenant son plateau d’une main et de l’autre son terminal, il trouva rapidement la personne recherchée. Seul sur une table, il s’installa rapidement en face de lui. Un rapide raclement de gorge annonça sa présence.

« B’jour. » Syjad planta sa cuillère dans le porridge, il n’avait pas pensé à la suite ou même ce qu’il allait dire. Généralement, improviser n’était pas un souci mais en l’occurrence en cet instant : il connaissait ses lacunes sur le sujet qu’il allait aborder. « J’ai lu et à peu près compris tes articles… Je voulais te demander de vive-voix : tu crois qu’on peut trouver un éco je ne sais pas quoi où on peut vivre et s’installer ? Une planète ? Paraît que la terre était pas mal dans son genre, y’en a d’autres des comme ça ? »

Après tout… Il n’avait jamais vécu sur un sol ferme. Ses visites sur Keller ne comptaient pas réellement puisqu’il n’y a jamais vécu pendant plus d’une semaine. En réalité, il n’aimait pas passer trop de temps sur cette planète : il aimait bien trop être dans l’espace. Mais qui sait… S’ils trouvaient un lieu agréable : peut-être que son avis changerait.

De toute évidence, le capitaine ne s’attendait pas à trouver le scientifique dans cette position. Allant d’avant en arrière, il se demandait si tout allait bien là-haut. Si cela était le prix à payer pour être intelligent : il préférait être con comme ses pieds. Malgré tout, Syjad se trouvait bien idiot, là devant cet homme qui avait un QI aux moins trois fois supérieures au sien. Il n’avait pas eu une éducation soutenue, loin de là. Ses points forts n’étaient pas dans le domaine intellectuel cela se saurait. Il était doué pour bidouiller le vaisseau et piloter ; mais en dehors de cela il n’y a pas de quoi faire un éloge. Couillu comme ce n’est pas permis : c’était une des raisons qui l’avait jeté sur le devant de la scène en tant que capitaine. Il avait eu le courage d’insuffler aux autres l’idée que Zech devait être destitué. Il se souvient encore des rires et des regards qu’on lui avait jetés quand il avait lâché la bombe. Au final, l’équipage à finit par le suivre et ceux qui n’étaient pas d’accord sont partis, il ne savait pas où. C’est justement parce qu’il avait du cran qu’il était à la table d’un scientifique. Il ne cherchait nullement un conflit ou faire son intéressant : il voulait juste des réponses. Son esprit travaillait bien trop. Il était temps qu’il trouve un peu de repos et Inoe pouvait peut-être lui apporter cette paix.
Le regard de l’homme ne mentait pas : il n’avait aucune idée de qui était Syjad. Faut dire… Il n’était pas passé par quatre-chemins et au lieu de se présenter : il s’était contenté d’attaquer dans le vif du sujet. Faire des ronds de jambes, tourner autour du pot n’avait jamais été son fort. Cela ne semble pas déranger Inoe qui commence à lui répondre : le corrigeant et lui donnant de précieuses informations. S’il comprit les premières phrases : il fut rapidement dépassé par le reste de la réponse. Ce fut à son tour d’ouvrir grand ses yeux : la bouche ouverte manquant de faire tomber la bouchée de porridge qu’il venait d’enfourner. Finalement, le scientifique lui demande s’il a compris. Refermant sa bouche pour avaler la nourriture, il répondit finalement :

« Euh… Peut-être… » En d’autres termes : il n’avait rien compris. Un long soupire traversa ses lèvres : « Ecoute, je ne suis pas une flèche, je n’ai pas inventé l’eau chaude alors tu vas devoir être patient. » Autant qu’il le sache tout de suite. « Charlie a dû m’expliquer la moitié des termes que tu as choisis pour tes articles. »

Ce manque de connaissances était honteux, mais après tout : les faits étaient là. Si Inoe était si intelligent, il comprendrait rapidement l’incompétence de Syjad à comprendre le jargon scientifique. Il décida pourtant de comprendre par lui-même.

« Arrête-moi si j’ai mal compris ok ? Mais en gros si on ne trouve pas d’endroit similaire à la Terre : c’est qu’on est des tanches ou des malchanceux ? C’est ça ? »

Il n’allait pas mentir sur son incapacité à comprendre un discours soutenu concernant la science et l’espace. Syjad mentait comme il respirait, certes, mais le mec en face de lui comprendrait en un rien de temps la supercherie et l’enfoncerait probablement encore à coup de termes tous plus compliqués les uns que les autres. Alors il valait mieux arrêter les dégâts maintenant et faire patte blanche. Comme escompté, Inoe lui rappelle d’ailleurs que l’eau chaude ne s’invente pas. Il fin un sourire amusé avant de lever ses yeux au ciel e, soufflant longuement. Quelle mouche l’avait piqué pour venir voir un homme comme ça ? Et puis merde à la fin ! Il voulait vraiment comprendre ! Il voulait savoir s’il avait mené son équipage dans une épopée idiote qui pouvait leur coûter cher ou bien si à la clé il trouverait un trésor ? Le butin était le nerf de la guerre chez les pirates et s’il était partit avec seulement de l’espoir : cela restait du vent.
En voyant l’homme s’approcher, Syjad ne recula pas. Il gardait son calme : il avait l’habitude qu’on soit si proche de lui. Notamment quand il était sur Keller et qu’il devait faire des deals avec les marchands. Inoe n’avait rien à vendre cependant, sauf du rêve peut-être et apaiser son esprit de capitaine désireux de pouvoir rassurer son équipage. La question / réponse du scientifique devant lui fit arquer ses sourcils : peut-être n’avait-il jamais entendu parler du mot « tanche » ? Avait-il appris un nouveau mot à un homme de la science ? Syjad n’arriva guère à contenir une risette amusée. Il ne fanfaronne pas longtemps : le scientifique reprend ses explications. Le voilà parti avec un exemple concret. Syjad se redresse et pousse légèrement son plateau pour pouvoir se concentrer et observer les faits et les gestes d’Inoe. Déterminer à comprendre, il s’accroche, utiliser son imagination qui n’avait jamais été en reste.

« Ok… » Il passa sa main sur son crâne puis dans sa barbe : « Donc plus on essaye, plus on a de chance de réussir ? Ça semble logique… » Mais peut-être qu’ils ne pourraient jamais connaître cet Eden tant désiré. « C’est un peu comme chercher une épingle dans un capharnaüm eh ? »

Syjad remit son plateau bien en place et recommença à manger. Il comprenait petit à petit qu’ils avaient emmené dans un périple peut-être sans issue heureuse ses hommes et ça lui coupait l’appétit. Cependant, parce qu’il ne supportait pas perdre des crédits inutilement : il se força à avaler ce qu’il y avait dans son bol.

« J’espère que vous avez des plans super bien ficelés pour nous permettre de trouver une nouvelle base. » Dit-il avant d’enfourner une cuillère de porridge. « Parce qu’une théorie, ça ne veut pas dire que c’est forcément possible ? » Continue-t-il la bouche pleine sans gêne aucune.