Elle se levait tous les jours aux aurores, comme la plupart des habitants de Byblos. Une routine pour tout le monde, habitués à ne pas perdre un instant de fraicheur de la nuit. Lorsque le soleil effleurait de ses rayons les terres, les températures montaient en flèche. Alors dès le matin on en profitait.

Elle se glissa hors du lit, laissant la silhouette de son mari endormie, et le regarda un instant, songeant que c'était encore étrange qu'ils partagent encore le matelas alors qu'ils n'étaient plus vraiment ensemble. Garder les apparences était néanmoins nécessaire pour leur famille et pour son statut de leader. Alors ils avaient gardé leurs habitudes, dormant au même endroit et menant une existence à deux qui ressemblait à s'y méprendre à celle de leurs jours heureux. Les disputes désormais régulières effacaient cette idylle, un quotidien difficile à supporter mais contre lequel elle s'était forgée une armure. Lentement elle avait accepté l'échec de son couple, transformant sa tristesse en force. Après tout elle était déjà une femme qui menait ses troupes et encaisserait bien les difficultés sur sa route. Alors détournant son regard, elle sortit de la chambre et se dirigea vers celles de ses enfants. Son ainée dormait encore, ou faisait sans doute semblant. Elle ne bougea pas lorsque Talia lui annonca qu'il était temps de se lever, et lorsque celle-ci insista, elle eut droit à un grognement bougon, qui laissait les intentions de sa fille facilement interprétables. Elle ne se léverait pas.

- Fais comme tu veux mais le petit déjeuner t'attend.

La voix ferme de Talia termina une discussion bancale, qui se répètait tous les jours. Elle essayait de communiquer avec sa fille et celle-ci lui répondait peu, et même souvent pas du tout. Ce grognement était sans doute l'unique message qu'elle recevrait. La femme était bien tentée d'insister mais elle n'avait pas le temps. Alors elle fila vers la chambre du plus jeune. Franchissant lentement le seuil, elle se rapprocha du lit et se baissa pour embrasser son fils. L'appelant doucement au réveil, elle lui dédia quelques minutes durant lesquelles elle lui donna toute la tendresse qu'elle n'avait pas donnée à sa fille.

Ils se rendirent ensuite à la cuisine et elle prépara le petit déjeuner. Son mari finit par la rejoindre pour l'aider et mangea à la va vite, tandis que son adolescente s'accorda une large marge de temps. Elle apparut enfin à table, les cheveux en bataille et les yeux engourdis. Elle ne lâcha pas la moindre parole et se contenta d'attraper de quoi manger.

Tout avait l'air de tellement trainer et cela énerva Talia qui houspilla tout le monde.

- Dépéchez-vous de déjeuner et ne trainez pas. La contremaitre doit venir ici dans un moment et je n'ai pas envie qu'elle vous trouve dans cet état.

Elle aurait même préféré qu'ils aient tous disparu à leurs tâches respectives quand Elara Hartmann s'annoncerait à l'entrée, parce que la journée qui s'annoncait allait être longue. La stellarienne avait montré un intense désir à découvrir les terres, et il fallait que la personne qui l'accompagne soit en mesure de la surveiller tout en étant capable de la protéger. Talia s'était montrée comme la plus adaptée à s'encombrer d'une telle charge. C'était après tout à elle d'assurer la diplomatie et quoi de mieux que de servir de guide. Connaisseuse de la région, elle saurait également veiller sur la jeune femme que la Flotte espérait revoir entière. Elle et tous les autres.

Son mari n'était pas tellement motivé de croiser la demoiselle, alors il prétexta des tâches à faire et s'en alla. Quelques minutes plus tard, on sonnait à la porte, et elle se dirigea à l'entrée, découvrant Elara derrière la porte.

- Bonjour Elara ravie de vous voir ! Rentrez, nous sommes en train de déjeuner. Vous vous joignez à nous ? Ensuite nous irons visiter Byblos. J'espère que cela ne vous dérange pas mais avec les enfants, je ne pouvais pas vous rejoindre aussi vite.

Elle la laissa rentrer et son regard tomba alors sur les habits de la contremaitre.

- Il va falloir qu'on vous trouve des vêtements plus adaptés aussi. Mais pas d'inquiétude on a tout ce qu'il faut ici.

Sans même lui donner l'occasion de protester, elle la précéda dans la cuisine où elle fit les présentations.

- Voilà mon ainée Aileas et mon second Anton.

L'adolescente laissa échapper un "B'jour" bougonneux, arraché de force par une mère qui l'avait menacée de la garder confinée à la maison avant que la contremaitre n'arrive, et un lancé par Anton, beaucoup plus chaleureux que sa soeur.

- Aileas j'ai besoin de vêtements pour Elara et je pense que vous faites la même taille, il faudrait qu'on regarde dans ton armoire pour voir si tu peux lui prêter de quoi sortir.

Aileas eut un regard en direction de la contremaitre et leva un sourcil méprisant.

- J'avoue.
- Ne sois pas malpolie et va voir ce que tu as.

Et tandis que la demoiselle se levait en maugréant, Talia se tourna vers Elara avec un sourire d'excuse.

- Ne faites pas attention, c'est l'âge qui veut ca. Pour ce qui est de vos vêtements, les votres ne conviendront pas.

Elle voyait bien que la contremaitre avait fait des efforts mais elle avait mis des vêtements trop serrés, et il faudrait une meilleure facon d'arrêter les rayons du soleil. Talia aurait pu lui prêter les siens, mais la contremaitre était vraiment fine, et Aileas elle était suffisamment grande, c'était donc ses habits à elle qui conviendraient le mieux.

- Il faut laisser la peau transpirer sinon ca peut devenir rapidement invivable.

De toute évidence Elara n'avait pas l'habitude des déserts et elle ne l'en blamait pas. Vivre sur la Flotte était sans doute un univers aux antipodes de Byblos. La sortie serait l'occasion d'apprendre. Elara se faisait sans doute une idée des vêtements qu'elle allait enfiler en regardant Talia. Une tunique qui lui tombait jusqu'au genoux, entrouverte sur le devant, au dessus d'un pantanlon de couleur beige dans un style baggy. Des bottes pour compléter l'ensemble et un poncho aux motifs bleu pâle, surmonté d'une capuche qui laissait à peine voir ses yeux et disposait d'un tissu qui pouvait recouvrir la bouche.

Elara aurait toute l'apparence d'une locale avec une telle tenue.

Elara semblait avoir bien pris la réaction d'Aileas et elle se félicita que la contremaitre ne se fâche pas. Pas qu'elle s'en souciait réellement. Les railleries de sa fille n'étaient pas vraiment destinées à la représentante de la Fédération. Elles étaient juste pour elle. Talia n'avait pas le temps de gérer une crise diplomatique à cause d'une adolescente qui lui en voulait. C'était sa faute en plus, elle le savait bien sans jamais se l'avouer. Elle n'avait jamais été une bonne mère. Trop impliquée dans l'existence de Byblos, elle en avait négligé sa propre fille. Celle-ci en retour le lui rendait bien, testant son autorité en permanence et l'ignorant dès qu'elle le pouvait. Et comme souvent sa mère n'avait pas le temps d'arranger la situation et celle-ci ne faisait que s'effriter davantage. Et ce fut pour cette raison que Talia évita de demander à Elara si elle avait des enfants elle-même. Pas le temps maintenant. Elles devaient y aller. Elle lui demanderai plus tard.

- C'est vous qui êtes généreux de venir nous aider voyons. La moindre des choses en retour est de garantir que vous soyez à votre aise durant votre séjour. Les températures sont fortes et encore vous n'êtes pas venus durant le bimade, c'est notre mois extra comparé à ce que vous avez l'habitude et il y fait tellement chaud qu'on reste à l'abri jusqu'à ce que la situation redevenienne normale. En attendant les vêtements sont parfaitement à votre taille. Je pense qu'il est temps de bouger maintenant ! Anton dépèche toi de finir de manger !

Elle-même se mit à table pour engloutir son déjeuner et invita Elara à en faire autant, tout en évitant de la gaver. La nourriture n'était pas toujours au goût de la délégation, mais elle avait besoin de prendre des forces.

- On y va maintenant ?

Le déjeuner fut ramassé rapidement, puis Talia amena tout le monde vers l'astroport, une large étendue de sable, et les mena jusqu'à un vaisseau. Son sac à l'épaule était rempli d'eau et de vivres. Ils amenaient également une arme et un nécessaire de survie, plus basique que ce qu'à quoi était habituée Elara. Rien dont ils ne devraient effectivement avoir besoin mais on ne savait jamais ce qu'il pouvait se passer quand on s'éloignait des villes. Ce n'était pas non plus l'intention de Talia d'amener la conseillère dans un tour trop long.

- Allons-y.

Puis elle se tourna vers ses enfants qui les avaient accompagnées. Ils resteraient par ici, habitués à trainer en ville. Normalement il y avait école, mais les terribles températures avaient modifié le quotidien. Elle leur donna les recommandations que sa fille écouta à peine, et ils partirent en direction des habitations. Restée seule avec Elara, elle actionna le pannel du vaisseau, ce qui fit se déployer la rampe, et elle invita la stellarienne à la précéder à l'intérieur puis referma derrière elles.

- Mettez-vous à votre aise.

Elle indiquait le siège du copilote tandis qu'elle laissait son sac accroché à l'une des attaches, avant de s'asseoir sur son fauteuil et de lancer les moteurs.

Elara était une femme curieuse. Elle écoutait et s'intéressait à tout. A l'instar des autres stellariens, elle n'avait pas foulé un terrain ferme autre que l'acier depuis longtemps. Cela se traduisait par des clichés à n'en plus finir, avec son terminal dont la technologie avait attisé la curiosité des Bybliens.
Elara leur montrait le sien, largement plus moderne que tout ce qu'ils avaient dans le coin.

Talia y jetait un regard intéressé, désirant rattraper le retard qu'elle avait.

Des années d'isolement l'avaient maintenue en marge des avancées technologiques, mais n'avaient pas pour autant entamé sa capacité à étudier les systèmes que les stellariens amenaient. Elle se faisait même un devoir de se mettre rapidement à jour dès que ses gens seraient en sécurité. L'idée de rejoindre la Flotte la mettait dans le même état qu'Elara quand elle était sur Byblos. Elle avait déjà été dans l'espace mais elle n'avait jamais vue une Flotte tellement immense, et cela restait à voir.

Elara lui avoua n'être jamais montée dans un vaisseau comme le sien et n'avoir jamais mis les pieds sur une planète. Une révélation qui attira l'attention de la régente, si elle n'avait aucun souci à croire que Elara navait jamais vu un appareil comme le sien, elle avait en revanche plus de difficultés à s'imaginer qu'elle n'ait jamais foulé aucune terre.

- Vous êtes née sur la Flotte ?

Elara n'était pas très vieille mais peut-être assez pour avoir connu plus que la Fédération, mais elle n'aurait su dire. Au moins Talia faisait mine de vouloir mieux la connaitre, chose qui lui était un peu difficile même si elle n'avait rien contre la contremaitre. L'amabilité était loin d'être évidente. Celui qui était doué avec les gens c'était surtout son frère. Il savait mettre les gens à l'aise, même si généralement il en faisait un peu trop. Mais d'eux il était celui qui s'en sortait le mieux au niveau social. Son domaine à elle c'était s'assurer que toute la colonie aille de l'avant. Ambassadrice, c'était un nouveau challenge. Après, dire qu'elle ne voulait pas réellement connaitre la stellarienne à ses côtés aurait été mentir. C'était juste qu'elle avait mieux à faire.

- Ce doit être grisant comme sensation.

Malgré les difficultés peu engageantes de Byblos, l'idée de découvrir un monde devait être impressionnant.

- Qu'en dites-vous jusqu'à maintenant ?

Le lever de soleil ne lui attira qu'un faible bruissement d'intérêt. Sans doute que toutes les années dernières avaient évaporé son aptitude à s'émerveiller d'un quotidien répétitif, bien qu'elle ne pouvait nier que les magnifiques couleurs qui s'appliquaient à nuancer l'horizon avaient de quoi attirer. Elle la laissa s'en régaler. Une expression toutefois attendrie par l'excitation qui étreignait la contremaitre, qui ne se laissait pas de questions.

- Cela dépend en fait ! Cela différe en fonction de l'activité de chacun. Des fois les gens sont restreints à un oasis. D'autres doivent se rendre régulièrement en dehors pour assurer l'entretien de certains systèmes, par exemple nos champs de capteurs solaires que nous irons voir si vous êtes intéressée. Ils ne sont pas très loin. Globalement nous ne sortons pas beaucoup. Il n'y a pas grand chose à faire dans le désert mais nous avons développé quelques hobbies. Les courses de vaisseaux en sont un exemple. Mais mis à part cela, les loisirs deviennent vite limités.

Et tandis qu'elle parlait, elle se dirigeait vers une crevasse qui était dans les environs. L'idée était de s'éloigner au maximum des villes pour revenir ensuite, et éviter ainsi tout souci. Dans quelques minutes elles y seraient. L'architecture de roche et de sable apparut finalement et Talia dirigea le vaisseau vers le fond de cette faille de taille hallucinante. Elara allait être servie en sensations fortes, elle qui avait exprimé le désir de se dépayser.

Une fois à l'arrêt, Talia enfila son poncho et attrapa des lunettes, lancant les mêmes à Elara. A priori elles ne seraient pas utiles à cet endroit où peu de sable venait s'éparpiller contre le visage. Malgré tout elles allaient en expédition. Avoir du matériel avec elles n'était pas futile. Son arme accrochée à sa hanche, Talia s'engagea avant son hôte sur le fond rocheux et laissa son invitée s'ébahir à loisir face à la structure naturelle, le lit lisse d'une rivière asséchée, l'écho incroyable qui donnait une impression mystique, le rebord au dessus, les falaises escarpées qui les entouraient, les reliefs dans la roche.